Trois blondes aux yeux bleus en sous-vêtements, lèvres pulpeuses et seins rebondis: cette photo récemment diffusée sur Twitter semble, à première vue, provenir d'un magazine masculin de charme.
It is SO over pic.twitter.com/yCEB01Wxn2
— Heart (@heartereum) January 27, 2023
Mais il y a un mais. Ces femmes qui sourient coquettement à la caméra n'existent pas. Il s'agit d'images générées par une intelligence artificielle.
L'histoire vous est familière? Watson avait déjà évoqué, il y a quelques semaines, ce phénomène — mais sur une note moins torride:
Différents programmes issus de l'intelligence artificielle (Midjourney, par exemple) permettent de concevoir des images faisant figurer des personnes en un clin d'œil. Et il est possible de tout choisir: taille, mensurations, habits, couleur des cheveux, couleur des yeux. D'un simple clic de souris, on obtient des photos de corps sortis des pages du meilleur Playboy.
Ces générateurs d'images créent des représentations basées sur le traitement de millions d'images. Lorsque le procédé sous-jacent, appelé Generative Adversarial Networks (GANs), a été développé en 2014, les premières images ressemblaient encore à des personnages des Sims. Aujourd'hui, les figures de synthèse ressemblent à de vraies personnes.
Midjourney produit des photos en masse: portraits, photos de fêtes, séries de mode. Certaines photos semblent particulièrement réalistes, comme si elles avaient été prises au cinéma, d'autres paraissent surréalistes.
Ce n'est qu'au deuxième coup d'œil que l'on remarque des incohérences: parfois, il y a quelques dents ou doigts en trop, parfois les extrémités sont trop longues. Nous en parlions déjà dans notre premier article et, honnêtement, c'est toujours aussi flagrant:
De tels détails posent encore des problèmes à l'IA, qui n'arrivent pas se forger une représentation spatiale de la physionomie d'une main. Les données utilisées pour entraîner les programmes comprennent certes de très nombreux visages, mais très peu de photos de mains.
Après que d'autres clichés ont émergé des méandres des réseaux, le hashtag «it's so over», qui signifie «C'est tellement d'hier», est devenu viral sur Twitter. Certains utilisateurs se sont moqués des idéaux de beauté et des proportions irréalistes, d'autres ont juste trouvé certaines images creepy.
Une sensation de dissonance finit souvent en effet par nous envahir lorsqu'on regarde de près une image générée par une IA. Un concept similaire à celui de la «vallée de l'étrange» pour les robots.
«Grâce à l'IA générative, des laboratoires voient le jour dans lesquels chacun peut devenir le Wagner du "Faust" de Goethe», explique Oliver Bendel, spécialiste de l'éthique de l'information et des machines à la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse. «On fabrique un homme», s'est exclamé Wagner dans Faust II. Toutefois, il ne s'agissait que d'un petit homoncule.
Il est désormais possible de réaliser son rêve et de créer un personnage réaliste selon ses désirs. Mais est-ce éthique? Peut-on simplement «concevoir» des êtres humains? La technologie donne-t-elle des ailes au rêve d'un «homme nouveau»?
Dans un premier temps, rien ne s'oppose à la création de femmes et d'hommes fictifs à l'aide de générateurs d'images basés sur l'IA, selon Bendel. «On ne fait de mal à personne si les images apparaissent sur un écran». Selon lui, l'homme a toujours imaginé des créatures artificielles.
«C'étaient souvent des êtres beaux, mais en même temps limités, par exemple en ce qui concerne la capacité de parler», explique le professeur d'éthique.
D'un point de vue esthétique, il est intéressant de mettre au monde des personnes que l'on trouve soi-même belles, mais que l'on ne rencontre ni dans les médias ni dans la vie de tous les jours, poursuit Bendel: «On développe de nouveaux gabarits et modèles de l'être humain».
L'absence fréquente de consentement à cette utilisation est toutefois problématique. En effet, on ne demande pas l'avis des personnes dont les données biométriques sont aspirées à partir de plateformes de photos comme Flickr et qui doivent offrir leur visage pour l'entraînement de systèmes d'IA.
L'exigence du consentement en matière de protection des données ne s'applique-t-elle plus lorsque seulement 0,01% des caractéristiques biométriques d'une personne sont intégrées dans un visage générique? En d'autres termes: à partir de quel pourcentage est-on encore «soi»?
De tels générateurs d'images d'IA permettent également de créer de véritables nouvelles images pornographiques. L'expert en IA Alex Valaitis a osé la thèse audacieuse selon laquelle la moitié des comptes de la plateforme érotique Onlyfans, sur laquelle des mannequins et des actrices pornographiques fournissent des photos coquines à un public payant, pourraient être générés par ordinateur d'ici 2025. L'IA met-elle aussi les mannequins érotiques au chômage? Si oui, est-ce que cela serait si grave? Les femmes virtuelles du catalogue représentent-elles une chance de rendre plus éthique l'exploitation du mannequinat et du porno?
Bendel, spécialiste de l'éthique de l'information, pense que les générateurs d'images basés sur l'IA pourraient aider à améliorer les conditions de production de l'industrie pornographique:
Il se pourrait donc que ce soient justement les machines qui rendent le monde plus humain. Cependant, là où les systèmes d'IA génèrent des textes et des images, il devient de plus en plus difficile pour l'homme de faire la différence entre le vrai et le faux.
Traduit de l'allemand (nva)