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Succession: pourquoi les abrutis sont indispensables à la série

Les deux idiots de Succession, se dévoilent peu à peu comme des chaînons importants du succès de la série. Comme Joey dans Friends ou Dewey dans Malcolm.
Les deux idiots de Succession, se dévoilent peu à peu comme des chaînons importants du succès de la série. Comme Joey dans Friends ou Dewey dans Malcolm. images: hbo, getty, montage: fred valet

Pourquoi les abrutis sont indispensables

Plus une série affiche des héros inaccessibles, plus le spectateur compte sur les seconds rôles pour survivre. Des idiots utiles et rassurants, simplement parce qu'ils sont aussi naïfs et pitoyables que nous. Succession, qui vient de s'achever après quatre fantastiques saisons sur HBO et RTS, est un cas d'école.
30.05.2023, 19:0031.05.2023, 07:01
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Gregory Hirsch, la vingtaine maladroite, vomit par le trou des yeux globuleux d'un absurde costume de chien. La scène, pitoyable, se déroule sous le regard médusé d'une dizaine de gamins, dans un parc d'attractions détenu par sa puissante famille. C'est ainsi, à quatre pattes sur le fruit de ses tripes vulnérables, que Greg dévoile du même jet son ambition de jouer dans la cour des grands. Et que le spectateur fera, par la même occasion, la connaissance de ce petit-fils naïf, à peine sevré, pas encore riche, pas encore cynique, pas encore toxique des puissants Roy.

Une dynastie menée à la cravache par Logan, un patriarche intraitable mais vieillissant, soucieux de la Succession de son empire médiatique. Ses quatre enfants ont beau être ingérables, leurs dents sont aussi affûtées que leur allure est irréprochable. Tout le contraire de ce pauvre Greg, qui mettra ensuite plus volontiers les pieds dans le plat que la main à la pâte. Oui, un loser.

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A peu près au même moment, mais un poil plus au coeur de la dynastie, Tom Wambsgans tire déjà son épingle du jeu. Du moins, en apparence. Maqué avec Shiv, la seule fille de la descendance Roy, ce quadra ambitieux, caractériel mais insignifiant, se dévoilera aussi soumis à sa belle-famille que cruel envers Greg. Qu'il exploitera sans vergogne comme un gamin à tout faire et, si possible, pour le sale boulot. Désireux d'épouser sa Shiv, il acceptera, poing serré dans sa poche en lin italien, une «relation ouverte». Comprenez, la future héritière veut baiser ailleurs. Oui, un loser, lui aussi.

Le binôme, pourtant très en retrait des tribulations financières de la fratrie Roy, est la clé de la réussite de cette fantastique série d'HBO, qui a poussé son dernier râle ce week-end, après quatre saisons inouïes.

Greg et Tom, c'est nous en mieux (parfois) et en pire (souvent). Les êtres à la fois les plus ordinaires et les plus faillibles de la bande. Alors, forcément, le spectateur s'en sert pour décharger ses émotions les moins défendables et calibrer sa (bonne ou mauvaise) conscience.

Depuis la nuit des temps, les scénaristes bourrent machinalement les personnages secondaires de toutes les névroses qu'il serait malvenu d'affubler aux héros. Et avec elles, souvent les répliques les plus efficaces et grinçantes.

«C’est comme si les seconds rôles développaient un trait caractéristique tellement poussé que cela provoque quelque chose de cathartique en nous»
Marie Turcan, spécialiste en séries TV, à Slate.

Les séries regorgent de ces défouloirs autorisés

Que serait Malcom sans son petit frère Dewey? The Office sans Dwight? Breaking Bad sans l'avocat Saul Goodman? Ross et Rachel sans Joey? La famille Roy, sans Greg et Tom, ne serait finalement qu'un amas d'humains très (très) riches et, c'est le plus important, absolument inaccessibles. Les idiots et les cinglés de service ouvrent la voie, brisent la glace et se chargent de jouer les entremetteurs entre un spectateur qui fantasme et des héros auxquels il est impossible de s'identifier.

On découvre en même temps que Greg the egg (son doux surnom, conséquence d'une carrure pas facile) l'indécent QG de la société Waystar Royco, la coke snifée sur les culs, les coups bas, les hautes trahisons, les cargaisons de dollars et les cadavres dans les placards. Mieux que ça: c'est par ses pupilles de baby-connard qu'on se permet de juger très fort l'immoralité des cravatés de Wall Street. Autant de seconds couteaux, à l'humanité béate, comme des baromètres à notre frêle morale. «Les seconds rôles mettent l’humain au premier plan», disait d'ailleurs le rigolo Jean-Paul Rouve en 2018 et en pleine promotion de son film Lola et ses frères.

Et la magie opère dans tous les sens, sans qu'on s'en rende vraiment compte. Si Greg ne cautionne pas certaines attitudes excessives, on ne les cautionnera pas non plus. Si Tom se venge d'une épouse un poil abusive, on lui trouvera des circonstances atténuantes. Un duo toxique, qui fonctionne grâce à des biais particulièrement pervers, mais toujours dévoué à la survie de notre équilibre mental.

Une scène permet à elle seule de saisir l'utilité de leur présence, en marge de la fournaise financière: Tom est à la tête d'ATN, la chaîne de télévision (très) conservatrice du conglomérat de Logan Roy et calquée sur le bébé de Rupert Murdoch, Fox News. Greg, malgré les costards et les flûtes de champagne, n'est toujours qu'un esclave torturé et manipulé, mais quasi consentant. Le gamin ne tentera qu'une seule fois de quitter le paquebot nauséabond.

Greg à Tom:

«C'est un peu… contre mes principes»

Tom à Greg:

«Ne sois pas un abruti Greg. Tu n'as pas de principes»

Greg qui ressaie:

«Je suis contre le racisme!»

Sans succès:

«Tout le monde est contre le racisme»

C'est un peu sournois, parce que l'abruti est toujours un peu moins vertueux qu'on le voudrait. Mais c'est bien pratique. Surtout quand ce boulet peu avenant prend du galon, commence à tirer ses propres ficelles et dégoupille ses premières saloperies et tentatives de chantage. C'est au milieu de la saison 3 que la mue s'opère, dans l'esprit modulable du cousin Greg the egg: «Qu'est-ce que je ferais d'une conscience de toute façon, hein? La conscience c'est ennuyeux, fuck la conscience».

De l'autre côté de l'écran, toujours bien calé sur l'épaule de cet ancien novice bêtement sympathique, le spectateur se surprend à encourager sa prise de muscles. En mode foutu pour foutu, autant gober deux ou trois parts de ce gâteau faisandé. Autrement dit, avec et grâce à Greg, on se surprend à déterrer des émotions des méandres capitalistes et à ressentir des sentiments pour les cafards infréquentables de la famille Roy.

Dans les séries, les seconds rôles sont aujourd'hui si bien écrits et dessinés qu'on les croirait assis à nos côtés sur le canapé. Souvenez-vous quand Ross dans Friends jurait qu'avec Rachel, ils «étaient en pause» pour qu'on excuse son petit coup de canif. Qui regardions-nous pour juger l'affaire, pour trancher une bonne fois pour toute? Joey.

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