Jamais vêtement n'aura été si classique et pourtant si peu consensuel. Enfin bon, on parle quand même d'un pull. Noir, la plupart du temps. Qui n'a d'extravagant que de venir titiller votre menton. Pourtant, plus encore que votre nuque, le col roulé est capable de faire surchauffer une pièce aussi efficacement qu'un radiateur réglé au max.
C'était peut-être le but inavoué du ministre français Bruno Le Maire, en clamant haut et fort son amour pour ce pull décrié, sur les ondes de la radio nationale, mardi dernier:
Ça, c'était avant de se pendre un vigoureux vent de polémiques et une salve de tweets moqueurs dans la figure.
Paraît que si tu chauffes ton appartement à 20 °C puis que tu dis « Chaussette » trois fois devant un miroir, il y a Bruno Le Maire qui apparaît dans ton salon et qui t’oblige à mettre un col roulé. https://t.co/UnFyCjQby1
— PoPésie (@GPoPesie) September 29, 2022
Et à Bruno Le Maire de devoir justifier ses propos un brin infantilisants avec micro (et cravate) auprès de Brut:
Mais qu'importe la critique! La mode, c'est la mode. Cette semaine, au tour d'Emmanuel Macron d'afficher sa «passion col roulé» dans une vidéo officielle, s'attirant sa propre salve de moqueries.
"Et un col roulé ? Vous avez pensé à mettre un col roulé ?" pic.twitter.com/oksJp9yFYd
— Jean Jeanval (@JeanVal26536332) September 27, 2022
«C'est un peu décalé encore de vouloir faire porter des cols roulés à tout le monde. Trop de communication tue la communication», commente l'éditorialiste politique Bruno Jeudy sur le plateau de BFMTV.
Historienne de la mode et professeur à la HEAD de Genève, Elizabeth Fischer m'a aidée à prendre un peu de recul sur cette prise de bec vestimentaire:
Certes. Sauf que cette chronique ne parle pas du col Mao (ça fera l'objet d'un prochain article). Pourquoi le col roulé est-il devenu la risée d'un jour des Français? Rien de très surprenant, selon l'historienne: cet habit «polysémique» est porteur de 1000 connotations différentes. «Comme bon nombre de vêtements, on peut l’interpréter à sa sauce.»
Pour comprendre les racines du mal, petit cours d'histoire! (*roulement de tambour, musique de fanfare*). Oui, car ce vêtement est porteur d'une histoire aussi longue que son col, entamée sur la nuque des ouvriers et des pêcheurs pour se protéger du froid (logique, direz-vous) avant d'être adopté par les sportifs pour les loisirs en mer, le golf, le polo...
De sportswear et pratique, le col se pare bientôt d'une connotation politique. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, malgré son côté pédant, «ce n’est pas un vêtement historiquement porté par l’establishment», tient à souligner Elizabeth Fischer.
«Au contraire, il a été adopté par toute la contre-culture: hippies, activistes pour les droits des Noirs, Black Panthers, féministes… Toute cette frange contestataire qui réclamait de profonds changements sociaux.»
En parallèle, il se teinte de respectabilité, mis à l’honneur par des créateurs comme Yves Saint-Laurent ou Armani afin déformaliser la garde-robe. Exit la cravate: le nouveau chic, c'est le pull.
Bientôt, il devient le chouchou du gratin d'Hollywood, de l'intelligentsia française et des artistes pensifs. On le voit aussi bien au cou d'un Samuel Beckett, d'un Michel Foucault, d'un Andy Warhol que d'une Marilyn Monroe.
Le col roulé, c'est la marque des «électrons libres»: à la fin des années 1980, au tour de Steve Jobs d'y succomber lors d'un voyage au Japon. Faute de réussir à imposer l'uniforme à tous les employés de sa compagnie, il en fait sa propre marque de fabrique.
Résultat: il reste associé à ceux qui «pensent en dehors de la boîte», ceux qui gardent le cap quand bien même le monde entier se dresse contre eux. «L’uniforme, d’un héros en quelque sorte», conclut Vanity Fair.
«Certains le voient comme une fringue de paresseux qui, comme le sweat-shirt, n'a rien à faire dans le cadre du travail», décortique Elizabeth Fischer. «D’autres disent: au contraire, il s’accorde avec tout, il peut être très élégant, mettre en valeur la silhouette, à la fois confortable et chic. Tout le understatement américain.»
Posée sur la table de la rédaction de watson, la question divise:
Le fait est que, mercredi, deux défenseurs du pull polémique foulaient avec fierté la moquette des bureaux, enfoncés jusqu'au cou dans leur précieux col. En ce qui concerne notre experte Elizabeth Fischer, le verdict est sans appel: «Pour! C’est un vêtement super intéressant et pratique. Comme on dit en anglais: "You can dress it up, or dress it down".»
Pas besoin d'en rajouter une couche, elle prêche une convaincue.