Elle a engrangé une fortune colossale en insufflant au monde des conseils en tri pour mieux vivre. Mais cet univers désencombré de toute imperfection a récemment été mis au placard. Désormais, Marie Kondo revendique vivre dans le désordre.
L'autrice du best-seller La magie du rangement (2011) a en effet admis fin janvier, dans un entretien accordé au Washington Post, ne plus faire de l'anti-bazar son cheval de bataille. Pour la Japonaise de 38 ans, la naissance de son troisième enfant a simultanément fait éclore une autre priorité: celle de davantage se consacrer à sa famille.
La nouvelle a de quoi interpeller. Car Marie Kondo, c'est douze millions de livres vendus à travers le globe, une valeur nette de huit millions de dollars ainsi qu'une série Netflix nommée à deux reprises aux Emmy Awards. Plus que cela, en deux décennies, ces astuces visant à optimiser jusqu'au plus infime millimètre carré du foyer ont fasciné et façonné plus de 700 consultants estampillés «KonMari» dans 54 pays.
Reste que cette armée d'experts ayant modifié leur mode de vie et celui des autres au service d'un désencombrement «qui suscite de la joie» fait aujourd'hui face à un paradoxe: continuer de défendre un projet qui aura visiblement fini par saturer la tête de l'empire. Poursuivre les méthodes recommandées par Marie Kondo a-t-il alors encore un sens? «Oui», affirme Ewa Kristensen, coach suisse en rangement qui a pourtant abandonné l'idée de renouveler sa certification KonMari, il y a plus de deux ans. Elle s'explique.
La Fribourgeoise reconnaît que La magie du rangement (2011) l'a sauvée par le passé. La vision humaniste de Marie Kondo sur le tri l'a en effet aidée à se retrouver au sein de son foyer. Mais une fois la cape de supercoach en rangement validée par la spécialiste en ordre, l'aspiration à une plus grande indépendance n'a cessée de grandir en elle. Pour Ewa, la joie revendiquée par Marie Kondo va au-delà de chaque objet rangé individuellement. Le bonheur devrait, à son sens, être plus global et comprendre tout l'espace d'un foyer.
Pour cette ancienne démographe qui a travaillé dix ans au sein de la Confédération, notamment sur les questions d'immigration en Suisse, «l'humain doit demeurer prioritaire». Un élément qui, d'après elle, bien qu'il eut été mentionné dans le discours de celle qui a longtemps revendiqué son «besoin de perfection», s'avérait, en pratique, difficilement réalisable:
Cet équilibre, l'élève Kristensen semblait donc l'avoir compris bien avant son Maître Kondo. Elle qui a probablement souffert d'un trop-plein de pression lié à son statut de prêtresse du rangement. Or, aujourd'hui, certains de ses pairs ne la voient plus comme cela. Comme l'a observé le webzine américain Salon, Marie Kondo est désormais décrite comme une «traîtresse» et une «imposteure».
Depuis que son nouveau train de vie plus nuancé a été dévoilé dans les pages du Washington Post, certains membres de la communauté KonMari accusent leur gourou d'avoir menti à des millions de fans qui ont tout abandonné pour suivre ses préceptes anti-désordre.
Pour Ewa Kristensen, bien qu'elles ne les cautionnent pas, ces missives peuvent, d'une certaine manière, être compréhensibles: «Il est fort probable que les récentes déclarations de Marie Kondo fassent chuter le business de certains anciens confrères», craint-elle. Mais la coach ne voit pas les choses uniquement sous cet angle. Bien au contraire, pour elle, ce revirement est une aubaine qui «humanise» d'autant plus la célèbre experte:
Plus «accessible»: tel se dessine en effet le dernier livre de Marie Kondo. Kurashi à la maison (2022) se veut moins arbitraire et plus global que n'a pu l'être le best-seller qui le précède. Mais dans l'ombre de celle qui lui a tout appris, notre coach fribourgeoise a décidé de pousser le prisme du rangement encore plus loin.
Ewa Kristensen n'a pas attendu la renaissance de l'inspirante Marie Kondo pour penser à sa propre vision d'un rangement sain. Depuis 2021, son entreprise Joy at Home, qu'elle a fondé trois ans auparavant, propose différentes techniques qui s'ajoutent à celles de l'experte japonaise.
Méthodiques, écologiques, humanistes, les conseils de la Suissesse offriraient une approche qui se concentre d'ailleurs plus particulièrement sur les femmes et leur place dans le domaine du rangement. Pour la Fribourgeoise, également mère de famille, ces dernières sont, à ce jour, encore bien trop soumises aux injonctions sociétales:
La communauté Les perles libérées d'Ewa Kristensen a ainsi vu le jour en ce sens au mois de mai dernier. Un espace d'échange où le désencombrement n'est plus seulement de l'ordre des objets de la maison, mais sert également à remettre de l'ordre dans la tête: «beaucoup n'osent pas avouer publiquement qu'elles sont débordées. Ce groupe est l'occasion pour elles de faire le vide, de trouver des moyens de mieux s'organiser et, surtout, de se retrouver.»