Son nom restera à jamais lié à celui du plus grand fiasco judiciaire français: Fabrice Burgaud, le jeune et énigmatique magistrat emporté par le tourbillon de l'affaire d'Outreau. Le responsable désigné d'un immense échec institutionnel, qui a mené des dizaines d'innocents à être incarcérés pour pédophilie.
Et pourtant, nulle trace du juge en charge de l'affaire dans le nouveau docu-fiction qui lui est consacré sur France 2. Ni des policiers ayant pris part à l'enquête. Secret de fonction oblige, décrété par le Ministère de l'Intérieur, ils ne répondront à aucune question.
Lorsqu'il est catapulté à la tête de l'affaire de pédophilie qui choque la ville d'Outreau, par le seul hasard d'un tableau de permanence, Fabrice Burgaud n'a que 29 ans et huit mois d'expérience professionnelle.
Etudiant moyen, «ni leader, ni cancre», «sans imagination ni fantaisie», c'est une personnalité lisse et dénuée d'aspérité que décrit l'Obs en 2006. Pour les avocats qui l'ont côtoyé tout au long de l'affaire, c'est un homme «courtois mais peu ouvert à la contradiction». Pour les acquittés qu'il a interrogé, Burgaud est un monstre, qui a «le droit de vie et de mort» sur les accusés.
Trop jeune, trop inexpérimenté, submergé par la charge émotionnelle et l'ampleur du dossier, Fabrice Burgaud se prend les pieds dans son instruction et commet des négligences. Trop.
Avec, pour conséquence, treize innocents jetés en prison.
Très vite, Fabrice Burgaud cristallise les critiques sur la gestion désastreuse de l'affaire d'Outreau. A lui d'endosser l'échec collectif de la justice. Traqué par les photographes, menacé dans des lettres anonymes, le jeune magistrat est placé sous protection policière et engage deux avocats. Démis du dossier, il laisse derrière lui l'image d'un «petit garçon apeuré».
Pour tenter de faire la lumière sur le «fiasco» qui a traumatisé tout le système judiciaire de France, Burgaud est auditionné publiquement le 8 février 2006. La réalisatrice de L'affaire d'Outreau témoigne pour RTL Belgique: «Comme beaucoup de Français, j'étais devant mon poste de TV pour assister à l'audition du juge Burgaud».
«Je me questionnais: comment un juge pouvait être responsable, à lui seul, d'une telle débâcle, qui a conduit autant d'innocents, aussi longtemps, en prison, et mobilisé pendant près de 5 ans de procédure autant de policiers, magistrats, journalistes?»
Au terme de son enquête, le Conseil de la magistrature conclut à un «manque de rigueur, notamment dans la conduite des auditions et des interrogatoires». Fabrice Burgaud écope d'un blâme - la sanction la plus basse. Personne n'a jamais été réellement inquiété.
Le magistrat, qui a toujours défendu ses méthodes, a poursuivi sa carrière. En 2011, il rejoint la Cour de cassation, comme auditeur puis comme avocat général. «Ce n'est pas une promotion», a objecté son son avocat, Me Patrick Maisonneuve, à RTL. «Il est un peu caché aujourd'hui à la Cour de cassation, c'est comme ça qu'il faut l'interpréter.»
L'affaire d'Outreau se rappelle au souvenir de Fabrice Burgaud en 2015, à l'occasion du procès de l'un des acquittés d'Outreau. Désormais quadragénaire, ce «bel homme élégant» au costume sombre, comme le décrit Libération, n'est pas présent à la barre pour témoigner.
Par visioconférence, le magistrat justifie, une fois de plus, le travail d’instruction mené à l’époque. Il convient, une fois de plus, des faiblesses dans son travail. Il se défend, une fois de plus, en invoquant la «pression médiatique» et le «peu d'expérience qui était la [sienne]».
S'il lui est arrivé de sortir du silence, dont une rare interview il y a dix ans au journal Le Point, le magistrat Fabrice Burgaud cultive la discrétion.
Il est pourtant un rouage indispensable à la compréhension du scandale. Un rouage dont la réalisatrice Agnès Pizzini n'a pu se passer pour son propre documentaire, L'affaire d'Outreau.
La réalisatrice et l'ancien juge ont échangé ensemble de «longues conversations», explique-t-elle à franceinfo: «C'était important pour moi qu'il ait voix au chapitre. Il fallait qu'on ait sa parole, qu'on puisse lui poser des questions et que l'on ait des réponses.» Selon elle, vingt ans après le drame, le regard porté par le juge Burgaud sur son instruction n'a pas changé. Pour lui, il n'a pas failli. Pas de regret à avoir.
Fabrice Burgaud a finalement refusé de participer au documentaire. Il n'est plus question, pour lui, de revenir publiquement sur l'affaire. Ni de rouvrir les plaies ouvertes à Outreau.