«Le malheur des uns fait le bonheur des autres.» Un précepte qui trône sans doute bien haut sur la cheminée de Kanye West. Cette semaine, le ô combien fantasque rappeur américain n'a pas caché sa jubilation à l'annonce du célibat fraîchement retrouvé de son ex-femme, Kim Kardashian.
A croire que le phénomène «Kimye», contraction logique de Kim et Kanye, est une histoire sans fin. Qu'on les aime ou qu'ils nous agacent, comment se lasser des frasques d'un power couple aussi débordant d'amour, de fric et de scandales qu'un rainbow cake saturé de crème au beurre?
2003. La route vers la lumière de Kim et Kanye se croise pour la première fois sur un plateau de tournage. Lui, c'est une petite pépite du rap débarquée tout droit de Chicago, au succès encore intimiste et limité à un petit cercle des connaisseurs. Elle, c'est la fille du célèbre avocat Robert Kardashian et l'assistante dévouée d'une héritière autrement plus célèbre, une certaine Paris Hilton.
Leur rencontre ne provoque pas (encore) d'étincelles, quoique tous deux brûlent de goûter à la gloire et aux crépitements des flashs. Kanye ignore encore tout de cette petite brune dont le fessier (moins rebondi qu'aujourd'hui) n'est pas encore mondialement célèbre. «C'est qui ce mec, Kim Karda...jan?», s'enquiert-il auprès de ses amis.
Huit ans plus tard, l'anonymat est derrière eux. Outre son rôle principal dans une sex tape tristement célèbre, Kim est devenue la vedette de «Keeping Up With the Kardashians», show de télé-réalité familial délicieusement décadent, où le clan étale sans limite ni vergogne son quotidien chaotique et mouvementé.
A l'instar de l'Amérique, Kanye se prend de passion pour ce bout de femme de 1 mètre 57 aux formes surnaturelles.
Une décennie plus tard, marquée par la constante persévérance du rappeur, quelques miettes d'amour lyrique disséminées dans ses chansons, deux brefs mariages (pour elle) et plusieurs relations amoureuses épisodiques (pour lui), le couple officialise enfin sa relation en 2012.
Le duo se rend vite spécialiste des témoignages d'affection extravagants et criards, quand ils ne frisent pas le kitsch absolu. En octobre 2013, Kanye dépense 3,3 millions de dollars pour faire sa demande en mariage sur fond de Young and Beautiful de Lana Del Rey, jouée par un orchestre de 50 musiciens, le tout au cœur du AT&T Park de San Francisco.
Si ce couple fascine autant, au-delà de sa marginalité, c’est surtout, selon le journaliste François Saltiel interrogé par Madame Figaro, parce qu’il est totalement en phase avec les problématiques de notre époque. Tout en cultivant très fort leur volonté de réussir en s’affranchissant des codes. Hors-sérail.
«Kimye», c'est la combinaison gagnante de deux ovnis de la pop culture. Une histoire d'amour autant que de pouvoir, rythmée par «ses moments de conquête et de promotion croisée, d'influence et de richesse accumulées, de terrains de jeu égaux et de retournements», comme le décrit très bien le magazine Vulture.
Au moment de leur union, Kanye incarne une figure du rap respectée, un ponte de la musique. Le hic: c'est un artiste de niche, qui ne brasse qu'une «petite» dizaine de millions d'abonnés. Quant à Kim, malgré une émission de télévision appréciée du grand public et des centaines de millions de fans sur les réseaux sociaux, elle traîne une réputation crasse de «vulgarité» et un manque flagrant de crédibilité. L'association de ces deux mondes sera gagnante. D'un côté, l'aura artistique et la «street cred». De l'autre, les paillettes et le glamour. Mais, surtout, la puissance de la communication.
Sous l'impulsion de Kanye, tout le clan Kardashian-Jenner rejoint soudain un cercle fermé de plus grandes célébrités du hip-hop et du sport, où gravitent des Travis Scott, Tyga, Lamar Odom, A$AP Rocky ou encore Ben Simmons.
Kanye fait aussi irruption dans le dressing de sa femme pour un grand ménage, au terme duquel elle fait ses adieux à quelque 250 paires de Louboutin et autres sacs Louis Vuitton franchement... criards. Fini les «robes léopard moulantes Hervé Léger» et le «shopping chez Intermix»: Kim, parée d'une petite robe noire griffée Balmain et d'un sens du style tout en sobriété, passe d'infréquentable à désirable aux yeux impitoyables du monde de la mode.
Même la toute-puissante rédactrice en cheffe de Vogue, Anna Wintour, après avoir clamé longtemps son dégoût, change de chemise. D'un mythique:
Wintour réalise finalement le rêve de Kim en lui offrant la cover de son magazine et un ticket d'entrée pour son célèbre Met Gala.
Mais, pour Kanye, Kim est bien plus qu'un corps à habiller ou un fessier accueillant sur lequel poser sa main (quoiqu'il le fasse souvent). Elle incarne aussi une force, un point d'ancrage. La possibilité d'un foyer et de stabilité pour un homme fracturé par le décès de sa mère, Donda, des suites d'opérations de chirurgie esthétique.
Les années 2014 à 2016 marquent le véritable âge d'or de «Kimye». Avant que le subtil équilibre des mondes ne flanche. Le braquage de la chambre d'hôtel de Kim à Paris, le 3 octobre 2016, sonne le début du plongeon. Au beau milieu d'une tournée et de grosses difficultés, Kayne interrompt son concert et s'envole pour la France. Un mois plus tard, il est interné de force pendant huit jours dans l'unité psychiatrique du Ronald Reagan UCLA Medical Center. En décembre, le verdict tombe: Kanye West est atteint de troubles bipolaires.
Kim fait barrage au reste du monde, et se charge de traduire les comportements toujours plus inexplicables de son époux au commun des mortels. Les remous que traverse son couple et les diatribes erratiques de West, notamment sur les réseaux sociaux, sont lissés à grand renfort de publications rassurantes sur le compte Instagram de Kim.
Kayne perd pied, Kim gagne en puissance. Il rêve de présidentielle? Elle s'avance dans le Bureau ovale pour parler avec le président de la réforme des prisons. Il s'enfonce dans une énième bouffonnerie incompréhensible? Elle oeuvre à la libération de prisonniers victimes d'erreur judiciaire.
La déchirure devient inévitable le 21 février 2021. Kim Kardashian demande le divorce, invoquant les traditionnels «différends irréconciliables» de rigueur.
Cette relation épique de presque dix ans (autant dire une éternité dans le royaume de l'éphémère chez les people) se solde par une bataille juridique forcément ultra-médiatisée.
Aujourd'hui, la fortune de Kanye West, estimée à une centaine de millions de dollars en 2010, s’élève à deux milliards. Quant à celle de Kim, elle atteint un milliard en 2021, selon le magazine Forbes. Pas une raison suffisante pour se tourner les pouces. Tandis que Kanye a donné naissance à deux albums et à une école pour enfants (tous trois baptisés «Donda»), Kim poursuit son ambition d'obtenir son diplôme d'avocate, en menant de front ses activités de femme d'affaires, d'activiste et de mère. Difficile de dire qui sera le plus enclin à mener la course à la présidentielle.
Quant à leur relation, elle est toujours aussi aussi peu traditionnelle. Toujours aussi débordante. Une épopée médiatisée, à mi-chemin entre cyberharcèlement flippant de (l'ex)-nouveau compagnon de Kim, l'humoriste Pete Davidson, crises de nerfs et témoignages d'amour.
Comme l'explique Jeetendr Sehdev, expert en stratégie de marque et auteur d'un livre sur le couple, à Madame Figaro: «Ils nous ont montré qu’ils ne sont pas parfaits. Ils sont humains, ils ont des défauts comme tout le monde. Ce genre de contraste est incroyablement attirant, car ce sont vos imperfections qui vous rendent parfait. C’est cela qui les rend inspirants et attachants, ensemble comme séparément.»
