Société
Témoignage

Ce Suisse accro au porno a «abusé» de son corps durant 21 ans

Comme 3 à 6% des Suisses, Jamal est accro à la pornographie.
Comme 3 à 6% des Suisses, Jamal est accro à la pornographie.

«J'ai abusé de mon corps»: Jamal, accro au porno depuis 21 ans

Aujourd'hui âgé de 33 ans, il passait jusqu'à cinq heures par jour devant l'ordinateur. Comment son addiction l'a séparé du bonheur et comment il tente de la vaincre.
29.01.2023, 16:2430.01.2023, 13:49
Sharleen Wüest / ch media
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Son lieu de repli est habité par des fantômes. C'est ainsi qu'il appelle les femmes qui se tortillent et se soumettent à l'écran. Jamal*, 33 ans, est accro à la pornographie. Comme 3 à 6% des Suisses. Sa dépendance l'accompagne depuis 21 ans et le demeurera sans doute à vie.

Jamal se fait remarquer quand il parle. On a envie de l'écouter, tant sa voix est convaincante et sa gaieté contagieuse. Il se tient droit sur sa chaise. Ses cheveux foncés sont parfaitement coiffés jusqu'à la dernière boucle. Il parle de son métier (qu'il aime par-dessus tout), de sa petite amie actuellement à l'étranger et qui lui manque. Quand il parle d'elle, il gesticule avec les mains et donne du poids à ses mots. «Elle est mon chez-moi.»

Un clic de souris et tout menace de céder.

Des hommes et une femme

Jamal avait douze ans quand il a découvert les covergirls dans les magazines. Lorsqu'il a, pour la première fois, imaginé les courbes des femmes observées sur l'écran de l'ordinateur. Quand elles ont éveillé en lui un sentiment qu'il n'avait jamais connu auparavant. Le désir.

Sa curiosité enfantine a été le moteur de son addiction. Tout a commencé de manière anodine:

«Au début, il me suffisait de regarder des vidéos de femmes qui se déshabillaient. Elles se touchaient»

Il les imitait.

La curiosité est devenue un rituel. Chaque jour, il se cachait derrière l'ordinateur de ses parents. D'abord une femme, puis une femme et un homme, deux femmes, deux hommes, un groupe d'hommes autour d'une femme. Ils se séduisaient mutuellement. Lui, il se séduisait lui-même.

Une vidéo, deux, trois... il avait ouvert tant d'onglets qu'on ne les voyait plus. Ses soirées étaient strictement chronométrées, jusqu'au point culminant. Qu'il ne voulait pas vraiment vivre. Il observait, sentait, imaginait - jusqu'à ce qu'il soit au bord de l'orgasme. Ensuite, il se retenait pour que l'ivresse ne s'arrête pas. C'est ainsi qu'il s'est retrouvé dans ce cercle vicieux, plusieurs heures par jour, au début de son adolescence.

Une fois soulagé, il se sentait épuisé. Jamal s'endormait. Fatigué et mécontent.

«J'étais comme anesthésié. L'orgasme n’a jamais pu m’apporter la paix que j’espérais»

Une tendresse familiale absente

C'est à cette époque que ses parents se sont séparés. Jamal ne se souvient pas de les avoir vus s'embrasser devant lui. Il n'a jamais eu droit à des câlins ou des photos représentant une famille heureuse.

«Mon père buvait régulièrement. Ma mère s'occupait de la famille.» Jamal revêtait un masque durant la journée: «J'essayais de plaire à tout le monde et de passer le plus possible inaperçu». Le soir, il se réfugiait dans la pornographie.

«Si on m'avait présenté une bouteille de vodka à l'époque, je serais probablement devenu alcoolique»

Au début, Jamal ne savait pas qu'il était dépendant. On ne parlait pas souvent de pornographie. Seul un de ses amis avait, une fois, mentionné que la consommation moyenne avoisinait les quelques minutes par jour. Il n'a pas osé lui dire qu'il y consacrait quatre à cinq heures.

«Dégoûtant!»

Même entre lui et sa mère, qui a découvert l'historique des recherches sur l'ordinateur, aucune véritable conversation n'a été engagée. «Dégoûtant! Faux!», qualifiait-elle la pornographie devant lui. Elle tentait de lui interdire cette consommation. Elle le surprendra encore plusieurs fois, mais avec le temps, elle s’y est habituée et le laissait tranquille lorsque la porte de sa chambre était fermée.

Pendant six ans, Jamal n'a eu d'orgasme que devant l'écran. A 18 ans, il a touché une femme pour la première fois.

«Je voulais donner à ma petite amie de l'époque tout ce dont elle pourrait avoir besoin»

Lui-même était alors secondaire, car il avait toujours ses vidéos pour se retrancher. Il ne se souvient pas des détails de cette première fois, si ce n'est qu'il s'était senti seul. Ils ont rompu peu de temps après.

Jamal a eu plusieurs relations après celle-là. Certaines n'ont duré que quelques semaines, d'autres des années. Elles se terminaient toutes en échec. «J'attirais surtout des femmes qui avaient une faible estime d'elles-mêmes.» Il cherchait toujours le contrôle. Avec elles, il l'avait.

«Les relations étaient souvent surchargées sexuellement, parce que je ne pouvais jamais vraiment accepter une véritable affection»

Tout était planifié autour de son addiction

Jamal décrit un processus par lequel passent la plupart des personnes concernées. Renanto Poespodihardjo, psychologue en chef du Centre pour les maladies de la dépendance à Bâle, explique: «Tomber sur des contenus pornographiques à l'adolescence n'a rien d'exceptionnel. Ces vidéos déclenchent une excitation». La situation est problématique lorsque la pornographie devient un lieu de repli et qu'elle est consommée pour viser l'insensibilité. Lorsque les contenus deviennent un élément central de la vie. C'est-à-dire, lorsque les rencontres avec les amis, le travail, tout est planifié autour de la consommation.

Mais surtout, on reconnaît une addiction au fait que l'homme concerné et son entourage en souffrent. Poespodihardjo parle des hommes parce que ce sont eux qui souffrent le plus souvent d'une dépendance à la pornographie. Car «toute l'industrie pornographique est orientée vers les hommes». Mais tout le monde peut être touché, que l'on soit riche ou pauvre, jeune ou vieux. Jamal en est victime, malgré le fait qu’il exerce un «job de rêve» et a de nombreux amis.

De nombreux échecs

A 22 ans, après dix ans de dépendance, Jamal a compris que quelque chose n'allait pas. Il avait tout et rien à la fois. «J'étais tellement loin du bonheur.» Il était conscient de sa dépendance et voulait s’en détacher. «Je m'interdisais de consommer.» Il a échoué à de nombreuses reprises.

Pendant les huit années qui ont suivi, il a essayé de se sortir seul de sa dépendance et, après chaque tentative, il sombrait encore plus profondément dans l'addiction.

«L'attrait devait être toujours plus grand. Dans les nuits les plus sombres, je finissais même par regarder des vidéos d'animaux»

Des vidéos qu'il s'était juré de ne jamais regarder. Au terme de sa transe, la peur de ce qu'il avait fait prenait possession de tout son être. En décembre 2021, il s'est finalement adressé à un psychiatre. Pendant neuf mois, il avait rendez-vous, toutes les trois semaines, avec un homme qui tentait de l'aider. Lors des séances, il assurait au psychiatre qu'il était sur la bonne voie.

Chez lui, il ne cessait de rechuter.

Selon Renanto Poespodihardjo, l'obstacle à la recherche d'aide est grand. Il existe peu de centres d'accueil. Le centre pour les maladies de la dépendance à Bâle est le seul de ce type en Suisse. Il ajoute:

«La prise en charge de ce trouble prend toutefois de l'ampleur. Avant, nous n'avions pratiquement pas de patients souffrant d'addiction à la pornographie. Aujourd'hui, c'est un quart de nos patients»

Il y a une raison simple à cela: la pornographie est partout. Selon une liste établie par l'entreprise de technologie de l'information Similarweb, pas moins de deux sites au contenu pornographique figurent parmi les 20 sites les plus recherchés en Suisse. «Les jeunes sont confrontés à la pornographie sur Internet. Qu'ils le veuillent ou non.» Une étude de l'Université de Zurich a montré cet été qu'environ la moitié des jeunes hommes regardent des films pornographiques chaque semaine; chez les jeunes femmes, ce chiffre est d'environ 10%.

Puis le pur paradis, mais...

La pornographie industrielle crée des difficultés dans la société, en rendant plus difficile la conception d'une sexualité commune et agréable. Les hommes font parfois état de problèmes d'érection ou d'éjaculation lors de contacts réels. Ils seraient devenus moins sensibles aux stimuli érotiques de leur partenaire sexuel.

Il y a bientôt quatre mois, Jamal a croisé une ancienne connaissance d'université dans la rue. Les deux se sont tout de suite compris et ont convenu d'un rendez-vous. La jeune femme était au courant de son addiction et a tout fait pour l'aider. Pendant trois mois, leur relation a été un «pur paradis». Jusqu'à ce qu'elle lui avoue ses sentiments en toute clarté et qu'il se retire par peur.

Il décrit la rechute qui s'en est suivi comme la pire qu'il a vécue. Jamal a regardé vidéo sur vidéo, «à la recherche d'un soutien».

Peu après la séparation, il a réalisé qu'il avait perdu ce qu'il avait cherché toute sa vie dans toutes ces vidéos: la sécurité.

«Enfin, je n'avais plus seulement quelque chose dont je voulais me débarrasser, mais quelque chose à laquelle me raccrocher véritablement. Une vie avec de vrais sentiments»

Il veut construire une nouvelle vie et reconquérir sa petite amie. Maintenant, après quatorze jours sans consommation, Jamal dit: «J'ai abusé de mon corps pendant des années».

Si la dépendance le rattrape, il a développé des techniques pour y faire face. Il en parle avec sa petite amie, va à la salle de sport, fait face à ses émotions. Il veut encourager: «Je serai toujours dépendant, mais il y a une vie sans consommation et je sens à quel point elle est épanouissante».

(aargauerzeitung.ch)

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