Il y a d'abord un nom à rappeler: Reeva Steenkamp. Une femme, une victime. Une mannequin de 29 ans tombée sous les balles d'un athlète qui a réussi de grandes choses alors qu'il était né sans péroné et amputé des deux tibias à 11 mois. Mais qui avait sa part d'ombre, ses colères et beaucoup d'armes, visiblement.
Le coureur handisport ne s'est pas arrêté à son physique: son mental a fait la différence et sa course vers les sommets lui a permis de s'aligner avec les sportifs valides. Un destin fou, une success story comme il en existe peu.
«Blade Runner», son surnom, avait disparu des radars, on préférait l'oublier et ses exploits avec lui, alors qu'il était, comme John Carlin le soulignait dans son livre «Le héros déchu de l'Afrique du Sud», la plus grande star sud-africaine depuis Nelson Mandela.
Un destin digne des scénarios hollywoodiens, saupoudré de tragique. Il est 3 h du matin dans une banlieue riche de Pretoria, le 14 février 2013, lorsqu’on entend des coups de feu. John Carlin noircira sa première page ainsi:
Pistorius passera du tartan à la prison, de son costume de héros sud-africain à celui de vulgaire taulard. Pour se défendre, il dira cette phrase devenue tristement célèbre: «Je l’ai prise pour un cambrioleur.» Mais les paroles dégoisées ont quelque chose d'inexactes, d'indéfendables. Certains se demandent pourquoi ses deux chiens, Enzo et Silo, n'étaient pas intervenus pour donner l'alerte si un intrus avait fait irruption.
Un procureur dégomme le récit du champion, livrant l'homme en pâture sur la place publique, rappelant ses accès de colère et ses agressions répétées sur des femmes.
Tout de suite, le bougre tombe de haut et son histoire intéresse encore et encore. Ses sponsors le quittent. A contrario, des studios de cinéma se pressent et veulent adapter son destin à l'écran, et vite, un mois (!) après les faits. Ryan Gosling est pressenti dans le rôle de Pistorius, Charlize Theron dans celui de la regrettée Steenkamp. Tout s'emballe.
Un tourbillon médiatique aux accents de tragédie shakespearienne. Comme Macbeth, Pistorius est passé de fort, courageux et noble au départ, à pleutre et vil, à mesure qu'il cédait à sa soif de pouvoir (de performance). En témoigne sa double posture: dans les stades, il refusait d'être perçu comme invalide; face au juge, Pistorius préfère jouer, par l'intermédiaire de ses avocats, l'homme diminué et fragilisé par la menace extérieure.
Faut-il rappeler que l'athlète a un goût prononcé pour les armes, lié à l'insécurité chronique en Afrique de Sud? «Blade Runner» avait obtenu sa licence en septembre 2010 pour un Magnum Parabellum. Il comptait aussi dans son arsenal personnel deux Smith et Wesson (500 et 38), un Mossberg, un Maverick, une Winchester et un Vektr 223. Une obsession pour les armes qui lui a valu des dérapages, comme celui rapporté par l'une de ses anciennes conquêtes, confessant qu'il avait tiré dans le toit d'une décapotable. Il est encore accusé d'avoir tiré une balle dans un restaurant de Johannesburg, manquant de peu Kevin Lerena, un ami boxeur. Jusqu'à l'irréparable du 14 février 2013...
Huit ans après les faits, il est envoyé dans un programme de réinsertion, une première étape pour retrouver la lumière du jour. Et cette pièce a désormais un nouvel acte: Pistorius pourrait prochainement être libéré de prison, après avoir purgé la moitié de sa peine.
Pistorius, le héros national tombé de son piédestal, a toujours clamé son innocence. Au début du mois d’août 2016, il est placé sous surveillance anti-suicide 24 heures sur 24. Cette décision avait été prise à la suite d'une hospitalisation: il avait tenté de s’ouvrir les veines du poignet.
Des conclusions concernant son profil psychiatrique ne soulèvent aucune pathologie mentale. Or son handicap et la perte de sa mère très jeune ont causé des troubles de la personnalité. Des détails appelés à atténuer les circonstances, mais son sort est scellé.
Impossible de se défaire d'un tel acte. Un Bertrand Cantat, même vingt ans après, ne sera jamais un musicien libéré, à jamais considéré comme le meurtrier de Marie Trintignant. Pour Oscar Pistorius, le même refrain, le même requiem social, la même épée de Damoclès au-dessus de la tête. En déviant de l'axe vertueux, le Sud-Africain est devenu un désaxé.
Dans un entretien accordé au Daily Mail, Barry et June Steenkamp ont déclaré qu'ils avaient d'abord pardonné à l'athlète d'avoir tué leur fille. Pistorius a accepté de rencontrer les parents de Reeva, en juin 2022, mais il a refusé d'admettre le meurtre. Depuis, les parents se disent farouchement opposés à sa libération anticipée. «S'il m'avait dit la vérité, il aurait été un homme libre maintenant et j'aurais laissé la loi suivre son cours sur sa libération conditionnelle», lâche le père de Reeva.
Impossible d'avouer pour le roi déchu. Mais la questions demeure: a-t-il vraiment cru au cambrioleur? Le héros de Pretoria souffre, selon le rapport d'une psychiatre, du trouble anxieux généralisé, cet état d'inquiétude permanent et excessif. La raison de sa ruine? Le sportif n'est plus, l'homme non plus. Les bracelets de l'infamie à la place des lames en carbone, sa libération, vendredi à Pretoria, ne sera qu'une prochaine étape d'un long purgatoire.
Reeva Steenkamp restera un spectre prégnant, un talon d'Achille pour l'athlète et son ticket pour l'ombre éternelle. Ces deux prothèses high-tech spécifiquement conçues pour la course ne lui permettront plus de courir assez vite pour échapper à son destin, même hors des barreaux.
Cet article a été adapté d'une première version parue sur notre site en avril 2023.