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Duplantis bat un nouveau record du monde de saut à la perche (6m22)

Le plus fascinant chez Duplantis, c'est la répétition des records du monde

Entraîneur de Lavillenie et lui-même ancien perchiste, Philippe D'Encausse pose son regard d'expert sur les prouesses d'Armand Duplantis. Le Suédois a battu pour la sixième fois le record du monde (6m22), samedi à Clermont-Ferrand.
26.02.2023, 16:3026.02.2023, 18:29
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Armand Duplantis a encore battu son propre record d'1 cm, samedi à Clermont-Ferrand. 1 cm pour le commun des mortels, ce n'est rien du tout, mais pour les perchistes, c'est énorme. Ça représente quoi, dans votre sport?
Philippe D'Encausse: En réalité, c'est anecdotique. Le plus difficile, sans parler de la hauteur, c'est de réussir à reproduire chaque fois les mêmes sauts, car il y a énormément de paramètres très complexes à gérer.

Il y en a combien, exactement?
Ouh la. Sauter à la perche exige une accumulation vraiment pas simple de mouvements. D'abord, c'est tout bête, mais les athlètes n'atteignent jamais les mêmes hauteurs à l'entraînement qu'en compétition.

Pourquoi cela?
Tout simplement parce que dépasser les 6m, c'est très compliqué. Cela nécessite un engagement psychologique, des risques qu'on ne peut prendre qu'en compétition. Ce n'est qu'à ce moment-là que l'athlète sera prêt à sélectionner la perche la plus dure possible pour qu'elle l'emmène très haut.

Les perchistes sautent donc avec du matériel qu'ils n'ont pas l'habitude d'utiliser aux entraînements.
C'est exactement ça. Durant la semaine, ils répètent les mêmes gestes, mais pas avec la même intensité qu'en compétition.

Le nouveau record en vidéo

Vidéo: watson

Pour essayer d'améliorer sa propre marque, le sportif travaille-t-il en deux temps (physique et technique) ou découpe-t-il le mouvement?
Découper un saut est très compliqué. En fait, on va bosser le physique et la technique en même temps, car les deux sont intimement liés. Mais à trop vouloir combler leurs lacunes athlétiques, à travailler la force et la vitesse, les champions prennent le risque de perdre en coordination, en feeling. On ne peut pas se dire: «Pendant 3 mois, je me concentre sur la préparation physique et je ne saute pas.» C'est une histoire de balance à trouver.

Le juste milieu entre poids et puissance...
Oui, parce qu'il y a une histoire de gravité dans ce truc-là! Il faut éviter la prise de masse, ne pas s'alourdir. Car pourquoi s'emmerder à être plus costaud, si c'est pour prendre des perches plus lourdes et plus dures et, au final, sauter moins haut?

Quelles qualités faut-il, au départ, pour devenir un bon perchiste?
Le truc incontournable pour sauter 6m, c'est courir vite. Bien sûr, il ne s'agit pas d'être aussi rapide qu'Usain Bolt. Mais un gars comme Duplantis vaut quand même 10''50 au 100m (réd: le record du monde sur la distance est de 9''58). Or plus vous arrivez vite, plus vous emmagasinerez de l'énergie dans la perche.

Armand Duplantis of Sweden competes during the men's pole vault city event of the Athletissima IAAF Diamond League international athletics meeting, in Lausanne, Switzerland, Wednesday, September  ...
Duplantis en pleine course dans les rues de Lausanne.Image: KEYSTONE

La piste d'élan fait en moyenne 45m. Il ne s'agit donc pas d'être rapide sur 100m, mais sur 45. C'est encore différent.
Oui, et ce n'est pas la seule différence. Il faut aussi optimiser sa vitesse en sachant qu'on a en même temps beaucoup de choses à faire avec les bras et les jambes. En saut à la perche, on parle toujours de «vitesse maitrisée». Il ne s'agit pas de courir comme un dératé, puis «piquer» de travers. Il faut avoir une justesse technique en permanence.

La course d'élan est donc plus importante que le gainage, le sens du timing ou la coordination?
La base, c'est la vitesse. Mais ensuite, bien sûr, il faut être gainé pour éviter la déperdition d'énergie. Il faut avoir des capacités d'impulsion, de la force de fermeture, des qualités gymniques. Il y a beaucoup, beaucoup de choses à travailler.

Un perchiste peut-il atteindre le maximum de tous ces paramètres?
C'est très rare. Quand tout se déroule très bien, on dit que c'est «un saut parfait». Mais LE saut parfait, je ne sais même pas s'il existe.

On évoque souvent le ski de fond ou le triathlon comme des sports très complets. Mais le saut à la perche semble l'être encore davantage.
Le ski de fond ou le triathlon, ça reste des sports avec une dominante aérobie. L'entraînement y est assez simple: il s'agit d'augmenter sa vitesse aérobie. Chez nous, il faut être à la fois fort, souple et rapide. Il faut avoir des qualités de sauteur en longueur, de gymnaste, le tout sans avoir peur. Car à chaque saut, on se jette un peu dans l'inconnu.

Philippe D'Encausse avec son poulain Renaud Lavillenie.
Philippe D'Encausse avec son poulain Renaud Lavillenie.Image: Instagram

Quand on fait 6m22 comme Duplantis ou 6m16 comme Lavillenie, n'est-ce pas paradoxalement un peu ingrat? Ces champions savent très bien que pendant des années et des dizaines et dizaines de sauts, ils seront beaucoup moins performants...
Oui, certes, mais tout l'intérêt est justement de trouver des solutions pour progresser. Sergueï Bubka (ndlr: qui a battu 35 records du monde au cours de sa carrière) disait que le fait d'améliorer sa propre marque lui permettait d'entretenir sa motivation.

Donc au lieu d'évoquer une éternelle frustration, on peut parler d'éternelle insatisfaction. C'est un puissant moteur.
Oui, c'est ça. Il y a chez chaque athlète l'envie de faire toujours mieux.

Le fait d'échouer souvent, et parfois longtemps, ne risque-t-il pas de créer un blocage psychologique?
Je ne pense pas. Prenez Renaud Lavillenie: il a fait 6m16 en 2014. Il sait qu'à son âge aujourd'hui (ndlr: 36 ans), il aura d'autres satisfactions.

Lesquelles?
Faire 6m, c'est déjà une performance (ndlr: le record personnel de Philippe D'Encausse est de 5,75). Donc il trouvera sa satisfaction en atteignant cette hauteur, mais aussi en faisant des sauts de qualité ou en remportant des titres.

Vous évoquez son âge. A partir de quand devient-on moins bon dans votre discipline?
C'est difficile à dire. Renaud a fait 6m06 à 35 ans. Cela dépend de la carrière que le perchiste a eue, de l'historique de ses blessures, mais aussi de ses qualités. Ce qu'on perd en premier avec l'âge, c'est la vitesse. Mais certains compenseront cette perte en étant très justes et propres techniquement.

Dans la plupart des sports, l'évolution du matériel a rendu les athlètes plus performants. On a pourtant l'impression que ce n'est pas le cas en saut à la perche.
C'est vrai. Sur les 35 dernières années, le matériel a peu évolué. Notre sport représentant un marché de niche, la recherche et le développement y sont fatalement limités. Le vrai plus, ce serait d'avoir des perches plus légères. Parce qu'à présent, les meilleurs ont un peu l'impression de courir avec un jerrican de 20 litres.

Ça pèse combien, une perche?
4,5 kg au milieu. Mais quand vous vous en saisissez à l'extrémité, le poids ressenti est de 20 kg. On aimerait que ce soit moins. Le problème, c'est que les matériaux légers, comme le carbone ou le kevlar, sont rigides. Or la perche doit rester élastique.

D'Encausse et Lavillenie en 2016 sur un meeting de la Ligue de diamants.
D'Encausse et Lavillenie en 2016 sur un meeting de la Ligue de diamants.

Quelle hauteur Duplantis atteindra-t-il dans le futur, selon vous?
C'est très difficile à dire. Pour être honnête, je n'en sais rien du tout.

Vous venez de répondre à de nombreuses questions de béotien, et on vous en remercie. Y'a-t-il un sujet sur lequel les gens vous interrogent et qu'on aurait oublié?
On me demande souvent si les perches peuvent casser.

Et que répondez-vous?
Que c'est possible, bien sûr (il rit). C'est souvent un problème de matériel. Quand ça arrive, c'est un peu comme un accident de voiture: c'est bruyant, violent et parfois ça fait mal.

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On a encore une question pour vous: certains perchistes ont-ils le vertige?
Non. Enfin, peut-être que certains l'ont au bord d'une falaise, mais pas en sautant. D'abord parce qu'ils progressent de façon linéaire, en débutant à faible hauteur, ensuite parce que 6m, c'est peu impressionnant pour un athlète. Ce qui est important à cette hauteur, c'est que la sécurité soit assurée.

Cet article a été adapté d'une première version parue sur notre site en mars 2022.

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