Même de loin, Sarah Atcho rayonne. «En fait, elle rit toujours», assure l'entraîneur de l'équipe nationale de sprint Patrick Saile. Mais la Lausannoise de 27 ans, qui a atteint les demi-finales du 60 m vendredi à Istanbul, n'a pas toujours eu envie de rire. Loin de là.
Sarah Atcho a pulvérisé son record personnel sur 60 m aux championnats suisses à Saint-Gall il y a deux semaines, en 7''21. Quand elle a franchi la ligne d'arrivée en deuxième position derrière Mujinga Kambundji, les larmes ont coulé. Des larmes de joie.
C'est que, dans la tête de la Vaudoise, les images des années précédentes ont défilé. Et elles ont souvent été associées à du désespoir: une opération du genou en 2020 avec complication lors de la guérison, une dépression pendant et après les Jeux olympiques de Tokyo et, plus récemment, un long combat contre une péricardite consécutive au vaccin anti-Covid.
Autant de tuiles qui l'ont fortement affectée sur le plan sportif, mais aussi et surtout sur le plan personnel. «Les sentiments après la course de Saint-Gall ressemblaient à un lâcher-prise», rejoue Sarah Atcho. Pourtant, comme le révèle Patrick Saile, elle n'avait pas du tout l'intention de participer à ce 60 m. Elle souhaitait se concentrer sur le 200 m.
Flashback. La Lausannoise est au sommet de sa forme et de sa carrière en 2017 et 2018. Elle bat ses records personnels (11''20 sur 100 m et 22''80 sur 200 m). En 2017, elle devient même vice-championne d'Europe des moins de 23 ans sur 200 m, sa discipline de prédilection. Ça reste son plus bel exploit. C'est simple: ses 13 meilleurs chronos sur cette distance datent des années 2017 et 2018.
Fille d'un père ivoirien et d'une mère marocaine, Sarah Atcho s'entraîne alors à Lausanne avec Lea Sprunger et Ajla Del Ponte sous l'aile de Laurent Meuwly. Mais quand ce dernier déménage aux Pays-Bas fin 2018 pour devenir entraîneur de l'équipe nationale, Atcho ne veut pas quitter la Suisse, contrairement à Sprunger et Del Ponte.
Elle rejoint un groupe d'entraînement autour de Salomé Kora à Saint-Gall, mais n'y trouve pas le foyer qu'elle recherche. Avec du recul, la Lausannoise reconnaît:
Plus tard, Sarah Atcho change d'avis et veut rejoindre son entraîneur de longue date aux Pays-Bas. Mais ce n'est plus possible contractuellement. Alors, elle intègre un groupe en Belgique. Mais là-bas, l'accent est mis sur les athlètes du 400 m et non sur le sprint. «Ce n'était pas une expérience convaincante», admet la Vaudoise.
Ensuite, son année 2020 est marquée par une grave blessure au genou en janvier. L'opération du ménisque est suivie d'une deuxième intervention en raison de la formation d'un kyste. Sarah Atcho ne retrouve pas la forme souhaitée. L'année suivante – avec les JO de Tokyo en ligne de mire – commence aussi par une blessure, au muscle ischio-jambier cette fois. Un pépin qui entrave sa progression. Et comme la Lausannoise ne parvient pas à réaliser ses meilleures performances jusqu'aux Jeux olympiques, elle perd sa place dans l'équipe nationale de relais 4 x 100 m à Tokyo.
Pour Sarah Atcho, c'est un choc. L'équipe de relais était comme une famille. Elle en a fait partie en 2016 aux Championnats d'Europe à Amsterdam, en 2018 aux Championnats d'Europe à Berlin et en 2019 aux Championnats du monde à Doha. A chaque fois, la Vaudoise et ses coéquipières Mujinga Kambundji, Salomé Kora et Ajla Del Ponte se sont classées 4e. A Tokyo, le quatuor rêvait d'une médaille. Mais ce rêve s'est donc écroulé pour Sarah Atcho avant même le début des JO. Ses larmes ne sécheront pas de sitôt. Elle tombe en dépression.
La Lausannoise parle ouvertement de cette période. D'une part, parce que ça colle à sa nature extravertie. De l'autre, parce que c'est important pour elle de briser un tabou. Elle explique avoir suivi une psychothérapie pendant plusieurs mois. «C'était très important pour moi et ça m'a beaucoup aidée. Je ne peux que le recommander», rembobine-t-elle.
Mais traverser pour la première fois de sa vie une phase dépressive, malgré sa personnalité ensoleillée, est pour elle un autre choc, selon ses termes. Contrairement à une blessure physique, la guérison d'une cassure psychologique se fait à tâtons, on perçoit rarement l'évolution.
Sarah Atcho est une personne très ouverte. Son entraîneur Patrick Saile la décrit comme «un esprit libre toujours ouvert». La Romande ne parle pas seulement en profondeur des moments difficiles de sa carrière, elle s'est aussi exprimée plusieurs fois de manière décidée sur le racisme qu'elle a elle-même vécu en Suisse. Quand elle est attaquée sur les réseaux sociaux, mais aussi en public, en raison de la couleur de sa peau. Un fléau que sa famille a dû supporter bien trop souvent.
Malheureusement, la joie et la sérénité retrouvée grâce à la psychothérapie ne durent pas longtemps. En janvier 2022, Sarah Atcho fait le rappel du vaccin contre le Covid. Quelques jours plus tard, elle sent que quelque chose cloche avec son cœur. Diagnostique? Une péricardite, qui l'affecte très fortement pendant deux mois. Le souci cardiaque a encore des conséquences aujourd'hui lors de certains entraînements par intervalles.
Ce pépin a aussi eu des effets collatéraux. Quand Sarah Atcho a critiqué sur les réseaux sociaux le manque d'informations sur les effets secondaires possibles du vaccin, son discours a été récupéré par les opposants à la vaccination et les coronasceptiques. Elle s'est distanciée de ces personnes, mais cette affaire lui a amené une charge mentale supplémentaire, dont une athlète déjà atteinte physiquement se serait bien passée.
Toutes ces expériences négatives, la Lausannoise les a balayées à Saint-Gall grâce à sa performance, mais surtout grâce à son explosion d'émotions.
Une autre raison est aussi à la source du bonheur retrouvé de Sarah Atcho. Celui qui lui permettra d'être présente aux championnats du monde de Budapest cet été, même si elle doit encore améliorer son meilleur temps sur 200 m de deux dixièmes de seconde pour atteindre la limite. Cette raison, c'est son entourage.
Elle habite avec son fiancé à Saint-Prex, près de Lausanne, et va se marier cet été. Elle a aussi trouvé en Patrick Saile un coach qui lui laisse les libertés dont elle a besoin et qui lui «font du bien». Elle constate:
Ces dernières années, elle a également appris à connaître son corps et à décider elle-même de ce dont elle a besoin ou non. La Lausannoise a aussi pris conscience de la nécessité d'être bien dans ses baskets hors de la piste. «Pour pouvoir donner le meilleur de moi-même, c'est très important que je me sente bien en dehors du stade», observe-t-elle. Elle s'entraîne deux fois par semaine avec Patrick Saile, et pour le reste, elle écoute son corps et sa tête.
Sarah Atcho a appris à gérer son impatience. C'est avec cette nouvelle sérénité qu'elle participe aux Championnats d'Europe en salle à Istanbul ce week-end. «Avec un plan, mais en même temps sans pression», avoue-t-elle en riant. Comme c'est si souvent le cas.
Adaptation en français: Yoann Graber