L'arrivée des beaux jours est en train de créer un sentiment de panique dans les salles de fitness. Les adhérents savent qu'ils n'ont plus de temps à perdre pour dessiner les contours de leur silhouette et afficher une plastique de rêve cet été. Une ambition presque obsessionnelle que les professionnels de la branche observent chaque jour: «Les mecs travaillent le haut du corps, les femmes le bas», caricaturent plusieurs gérants de salle. Les premiers ne voient pas d'intérêt esthétique à dessiner les contours de leurs mollets; les secondes craignent de développer une musculature trop marquée au niveau des épaules et des bras.
La jeune femme est tellement confrontée aux craintes de certaines de ses clientes sur le sujet qu'elle ne les accueille plus sans les rassurer.
Cette préoccupation n'est pas seulement répandue dans les salles de fitness. Elle s'observe dans d'autres disciplines nécessitant la force des bras, comme la natation ou le volley.
Le physique des championnes est-allemandes tourmente encore les esprits. Une nageuse romande de 20 ans, anxieuse: «J'ai fait de la natation en cours quand j'étais petite, mais bien heureusement, j'ai arrêté avant de commencer à avoir des épaules et des bras d'hommes. Ce n'est pas joli sur une fille. J'aimerais reprendre les entraînements, mais l'idée de développer du muscle dans le haut du corps me fait hésiter».
Une inquiétude similaire a gagné les vestiaires des volleyeuses. Une ex-joueuse de Ligue nationale B suisse avoue, un peu gênée, qu'elle a «toujours eu peur de prendre du muscle aux épaules»:
Ces témoignages, et ils sont nombreux, désespèrent les sportives qui privilégient le plaisir de l'activité aux considérations esthétiques (et elles sont nombreuses). «Je n'arrive même pas à croire qu'on puisse tenir de tels discours», s'étrangle une nageuse en découvrant les craintes de sa cousine de bassin. «Surtout qu'elles sont infondées», rebondit Patrick, gérant d'un fitness jurassien. «La prise de masse ne sera en effet jamais aussi importante qu'un homme», insiste Andreia, en poste au Fitline Fribourg. La raison: les femmes ont généralement des os plus minces, une force moindre lorsqu’elles débutent, et gagnent surtout du muscle plus lentement que la majorité des hommes, du fait d’un taux d’hormones anabolisantes (la testostérone) inférieur.
Andreia a 20 ans et adore sa silhouette, qu'elle affiche crânement sur les réseaux sociaux:
La Fribourgeoise avoue pourtant avoir nourri des complexes. «A quinze ans, je trouvais toutes mes copines fines et m'interdisais de laisser apparaître mes épaules en public.» La peur a désormais changé de camp. «Beaucoup de mes amies disent qu'elles ne veulent pas faire de sport pour ne pas avoir les mêmes épaules que moi.»
Alexane rapporte une autre inquiétude, centrée sur la poitrine. «Les femmes redoutent de perdre en volume de seins si elles bossent le haut du corps», remarque la coach sportive du Club fitness de Sierre (VS). «Cette possibilité existe, mais elle dépend bien sûr de la façon dont on travaille. C'est le genre de conséquences qui peut survenir si on axe ses séances sur l'endurance et la perte de graisse.»
Alexane a 20 ans et «des épaules assez carrées».
Elle dit: «Les mecs, ça les impressionne quand je soulève plus lourd. Je le vois dans leur regard. Ils se disent: Mais c'est quoi ça?» Les critiques glissent sur elle comme la sueur en séance d'entraînement. «Beaucoup affirment que mes épaules sont trop masculines, mais je m'en fous un peu.»
Plusieurs célébrités comme Madonna, Jennifer Lopez ou Cameron Diaz s'en moquent aussi.
Il y en a bien sûr toujours pour les critiquer. Signe que les stéréotypes sont tenaces, Madonna a été vertement tancée par son ancienne coach pour son apparence.
Les magazines et «surtout les réseaux sociaux» alimentent le cliché selon lequel un haut du corps musclé nuit au potentiel de séduction, juge Andreia. «Les femmes qui s'affichent sur Instagram revendiquent de plus en plus le canon de beauté suivant: un haut mince et un bas volumineux.»
Une employée d'une salle genevoise préfère en rire. «Les fesses, on dirait des dents de sagesse aujourd'hui!» Elle est bien placée pour juger des tendances.
Le risque, en se concentrant exclusivement sous la ceinture, consiste à «créer un déséquilibre», rappelle Geoffrey, fonctional trainer chez Nessfit (Neuchâtel). «Lorsqu'on axe son entraînement sur une seule chaîne musculaire, on est forcément handicapé lors des mouvements qui en recrutent plusieurs. Car le corps est interdépendant. On a besoin du haut et du bas, même pour des exercices tout simples comme des pompes. Une fille qui ne fait que des squats est parfois incapable de réaliser ne serait-ce qu'une seule pompe.»
Une pratique sportive pensée au sens large permet donc de gagner en mobilité, mais pas seulement. La musculation offre aussi:
Autant d'arguments qui participent au bien-être, et permettent de relativiser la prise de muscles dans le haut du corps.
Adaptation d'un texte paru le 6 mai 2021 sur watson.