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Coupe du monde 2022

Mondial au Qatar: la plupart des boycotts sont inutiles

La Coupe du monde 2022 a fâché de nombreux fans de foot.
La Coupe du monde 2022 a fâché de nombreux fans de foot.

Contre le Mondial, la plupart des boycotts sont inutiles: la preuve

De nombreux appels aux boycotts se sont fait entendre. Pour autant, tous ne sont pas efficaces. On a décrypté quatre méthodes et leurs effets.
19.11.2022, 08:46
Pierre Rondeau / slate
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Depuis la rentrée, c'est à qui critiquera le plus le Mondial de foot 2022. De toute part, on s'indigne et on s'insurge. On répète sans cesse que le Qatar, le pays hôte, aurait obtenu l'organisation de la compétition par des moyens plus que douteux, entre corruption et échange de bons procédés. On souligne encore que les conditions de travail de la main-d'oeuvre étrangère sur les chantiers ont été catastrophiques et ont provoqué, selon une enquête du Guardian, plus de 6'500 morts.

On indique aussi que la plupart des droits humains les plus fondamentaux ne sont pas respectés dans le pays, lieu de la pénalisation de l'homosexualité et de l'affirmation du patriarcat sur les femmes. Enfin, on crie contre les gabegies environnementales, concernant les sept stades climatisés à ciel ouvert et l'usage intempestif de l'avion (un décollage toutes les dix minutes), uniquement pour transporter le million de supporters sur place, tous ne pouvant séjourner au Qatar pour une question de place.

Les critiques sont nombreuses et évidentes. Il y a un sentiment de trop autour de cette compétition et beaucoup appellent au boycott. D'ailleurs, selon un récent sondage Odoxa pour Winamax et RTL, un Français sur deux pense ne pas regarder une seule seconde de la Coupe du monde. C'est la première fois dans l'histoire qu'un événement sportif suscite un tel mouvement d'indignation: peu avaient donné de la voix lors de la Coupe du monde en Russie, en 2018, ou lors des Jeux olympiques (JO) d'hiver à Pékin en début d'année.

Néanmoins, il existe plusieurs types de boycott, plusieurs types d'actions, et chacun a ses spécificités et ses conséquences, plus ou moins efficaces. Il convient de distinguer ici les boycotts sportif, diplomatique, politique et, enfin, citoyen.

Le boycott sportif: pas vraiment efficace

Le boycott sportif concerne ici le retrait des footballeurs de la compétition. Comme en 1980, lorsque la délégation américaine, après l'invasion de l'Afghanistan par les Russes, avait refusé de se rendre à Moscou pour les Jeux olympiques. Idem quatre ans plus tard, quand les délégations du bloc de l'Est, en représailles, n'avaient pas fait le déplacement à Los Angeles pour les JO états-uniens.

Mais cette action n'a pas vraiment eu d'effets. Les sportives et sportifs ont subi une décision imposée au sommet et ont dû renoncer à la possibilité de remporter une médaille olympique. Politiquement, la guerre froide ne s'est pas arrêtée pour autant et les conflits internationaux, notamment en Afghanistan, se sont maintenus malgré les deux boycotts sportifs successifs.

C'est ce que reconnaît Jean-Baptiste Guégan, auteur du livre «Géopolitique du sport».

«En réalité, [le boycott] posait un problème. Il pénalisait sportivement le pays qui le décidait, tout en laissant la place au camp adverse. Il flattait l'ego national, mais il était contre-productif et ne changeait pas les rapports de force»
Source: Le Monde

Pour le cas du Qatar, le boycott sportif n'aura pas vraiment lieu. Même si l'équipe de Norvège avait un temps agité cette menace, sa fédération a reconnu qu'elle se rendrait quand même à Doha, avant de devoir y renoncer définitivement, ayant échoué à se qualifier. D'ailleurs, peut-on réellement imposer aux footballeurs de ne pas jouer lors d'une compétition sur laquelle ils n'ont, à aucun moment, eu leur mot à dire et qui représente le graal sportif? Ils ont besoin de l'événement pour affirmer leur notoriété et auraient beaucoup à perdre de ne pas y aller, tant sportivement qu'économiquement.

Le boycott diplomatique: pour se donner bonne conscience

Autre type de boycott, le diplomatique: les représentants ne se rendent pas à la compétition, n'y assistent pas, laissent un siège vide au stade. C'est ce qu'ont notamment fait les élus américains durant les Jeux olympiques d'hiver de Pékin, en février dernier, pour s'indigner du traitement des Ouïghours au Xinjiang.

Ainsi, aucun représentant du pays ne s'est rendu en Chine, afin d'alerter sur «le génocide et les crimes contre l'humanité en cours». Quelles conséquences? Pas grand-chose, d'autant plus que cette action n'a pas eu beaucoup de succès. Ce qui serait presque une «victoire pour la Chine», selon Carole Gomez, chercheuse en géopolitique interrogée par France Info: Pékin aurait bénéficié de ce boycott trop peu suivi et pas assez constructif côté américain. Et la situation des Ouïghours ne s'est pas améliorée pour autant.

Concernant le Qatar, la Première ministre française, Élisabeth Borne, a déjà indiqué qu'elle ne comptait pas se rendre à Doha. Il ne s'agirait toutefois pas ici d'un boycott diplomatique en bonne et due forme, mais plutôt d'une technique pour ne pas cautionner un événement sans le dire. Juste ne pas s'y rendre, pour un soi-disant problème d'agenda.

Le boycott politique: histoire de redorer son image

Les politiques veulent aussi témoigner et s'indigner contre la Coupe du monde. Or, on pourrait leur reprocher de n'avoir rien fait depuis 2010, lorsque le Qatar a obtenu l'organisation, et de ne s'offusquer que deux mois avant l'événement. D'autant plus que leurs moyens d'action, en plus de leur communication, sont très légers.

En France, une dizaine de villes ont par exemple décidé de ne pas installer d'écrans géants et de fans zones pour suivre le mondial.

«Nous ne pouvons pas être complices d'une telle gabegie écologique, sans parler du reste. Surtout au moment où on appelle nos concitoyens à la sobriété», indique ainsi le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, sur RMC.

Le souci c'est qu'en coulisses, certains ont admis que tout d'abord, les écrans géants n'étaient pas automatiquement installés: en 2018, ils ne sont apparus qu'à partir des 8es de finale, voire des quarts, une fois la France qualifiée. Puis, à l'ère de la sobriété et de l'explosion du prix de l'électricité, avec une Coupe du monde en plein hiver, installer de telles structures aurait coûté beaucoup d'argent. Les villes se sont donc d'abord et avant tout évité des dépenses supplémentaires.

Il n'y a donc pas vraiment de boycott ici, c'est surtout une affaire de communication politique. Les choses ne changeront pas au Qatar, qu'il y ait ou non des écrans à Rodez, Strasbourg ou Nantes.

Le boycott citoyen: celui qui pourrait donner de l'espoir

Alors si les boycotts diplomatique, politique et sportif ne marchent pas, qu'est-ce qu'il nous reste? Le boycott citoyen. C'est à nous, supportrices et supporters de football, de dire stop et d'exiger un changement profond. Nous ne pouvons plus continuer à accepter l'inacceptable, à fermer les yeux sur les critiques, à nier l'évidence.

22.10.2022, Nordrhein-Westfalen, Dortmund: Fußball: Bundesliga, Borussia Dortmund - VfB Stuttgart, 11. Spieltag, Signal Iduna Park. Dortmunds Fans zeigen ein Transparent mit der Aufschrift ·Boycott Qu ...
Les supporters de Dortmund le 22 octobre dernier.Image: DPA Deutsche Presse-Agentur GmbH

Oui, le Qatar pose problème. Et si nous ne faisons rien, cela continuera encore longtemps. L'Arabie saoudite a déjà obtenu l'organisation des Jeux asiatiques d'hiver en 2029, dans une zone désertique où les chutes de neige sont considérées comme exceptionnelles, sans parler des manquements aux droits humains. Et que dire du Mondial 2026, qui aura lieu sur le continent nord-américain, avec 48 nations participantes réparties dans trois pays (Canada, États-Unis, Mexique) où l'usage de l'avion pour le déplacement des supporters sera normalisé et automatisé. Une gabegie environnementale annoncée.

Sauf si nous décidons d'arrêter. Si personne ne regarde la Coupe du monde et si tout le monde s'indigne, les choses peuvent s'améliorer. Si demain, le Mondial de football fait un flop, s'il n'atteint pas le milliard de téléspectateurs, comme cela avait le cas lors de la finale France-Croatie en 2018, les choses pourront bouger. Exactement comme en avril 2021, lorsque douze clubs européens ont annoncé la création d'une Super Ligue: des supporters anglais et espagnols ont manifesté contre, se sont élevés contre le projet, qui a pris fin en moins de 48 heures.

Ce type de boycott, s'il est suivi par le plus grand nombre, peut faire bouger les choses et accélérer le changement. Parce qu'il doit être populaire et citoyen, collectif avant d'être individualiste. Contrairement à tous les autres, diplomatique, sportif ou politique, qui n'ont jamais porté leurs fruits et n'ont, dans l'histoire, été que des échecs.

Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre. Cliquez ici pour lire l'article original

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