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Blatter-Platini, ils se marièrent et eurent beaucoup d'emmerdes

Sepp Blatter (gauche) et Michel Platini (droite) ont accédé aux plus hautes fonctions du football mondial.
Sepp Blatter (gauche) et Michel Platini (droite) ont accédé aux plus hautes fonctions du football mondial.keystone

Blatter - Platini, ils se marièrent et eurent beaucoup d'emmerdes

Ensemble, ils ont gravi tous les échelons jusqu'au sommet du football mondial. Ils rêvaient d'une grande famille mais il y avait trop de non-dits et de faux frères.
09.06.2022, 18:5713.06.2022, 18:05
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Ils répétaient que «le football est une famille», avec une maison mère à Zurich et 300 millions d'enfants dans le monde. Et ils voulaient être les parents de cette famille. En bon français: les pater familias.

Ensemble, main sur le cœur et une autre sur les fesses, comme de vieilles canailles, Sepp Blatter (Fifa) et Michel Platini (Uefa) ont accédé aux plus hautes fonctions du football mondial. Ils ont exercé leur influence au-delà de toute circonscription et ont été reçus comme des chefs d'Etat. Ils ont créé une famille puissante, riche et unie. Avec quelques traîtres évidemment, comme dans toutes les bonnes familles.

C'était certes un couple contre nature mais, il faut bien le dire, éminemment sympathique. Sepp Blatter en gratte-papier de génie, né à Viège (VS) dans une petite bassine, 17 ans dans l'ombre d'un grand despote (Joao Havelange) avant de devenir le calife à la place du calife. Michel Platini en n°10 de légende, né à Joeuf dans un petit pavillon, 17 ans dans la lumière des projecteurs avant de devenir un homme de l'ombre

Deux rapports à l'argent diamétralement opposés: l'un chaste, l'autre déniaisé. Platini avait reçu une Ferrari du président de la Juve et ne la sortait jamais du garage. Blatter avait baptisé son jet «Fifa one» et le garait à côté d'«Air force one».

Platini, le séducteur

Edmond Isoz, ancien directeur de la Ligue nationale et vieille connaissance du couple, explique dans Le Temps que «Blatter était un malin, mais il n’avait ni le charisme ni l’autorité de Havelange. Lorsqu’il a voulu lui succéder en 1998, il s’est allié l’aura et le prestige de Platini, qui était sa caution sportive».

Cette année-là, Platini co-présidait l'organisation de la Coupe du monde. Sa plus grande fierté fut une «petite magouille» (sic) qui empêchait la France et le Brésil de s'affronter avant la finale. Quand il s'est enorgueilli de sa «modeste» contribution dans le vestiaire des Bleus («alors les gars, il a fallu que j’organise un Mondial pour que vous le gagniez?»), le capitaine Didier Deschamps a eu cet hommage éclatant: «Certains sont faits pour organiser, d’autres pour gagner».

Un style décontracté.
Un style décontracté.

Michel Platini avait peut-être tout à apprendre dans les arcanes du pouvoir mais il traînait dans son sillage un halo de gloire et de sagesse, l'aisance nonchalante des n°10 à l'ancienne, habiles et faciles. Au parlement européen, on lui parlait de ses coups francs. Quand il faisait campagne dans les coins reculés de l'Est, il n'était pas un présidentiable mais Saint-Platoche, patron de tous les footballeurs. Les fédérations ne pouvaient rien lui refuser. Encore moins une voix pour le père Blatter.

A la tête de l'Uefa, Saint-Platoche a porté tous les combats de la cause prolétarienne, anti-libérale et conservatrice: le fair-play financier, l'accès à la Ligue des champions pour les petits pays, le rejet de la technologie... Mais au sein de la famille, où il y avait quelques faux frères, certaines de ses décisions étaient jugées rétrogrades et impulsives (traduction: idiotes). Son anglais faisait passer la vache espagnole pour une diplômée de Harvard. Sa connaissance des dossiers inquiétait jusqu'à de proches collaborateurs, dont l'un d'eux nous glissa un jour en aparté: «Il ne maîtrise pas tout, mais il a quand même un bon instinct, Michel». Traduction: il n'a pas de cerveau.

Blatter et Platini ont tenu la famille pendant plus de huit ans. Il était convenu que l'ancien cède le trône à son héritier en 2015, mais tout ne s'est pas passé comme promis.

Blatter, le roi de la jungle

Sepp Blatter n’était pas le plus progressiste ni le plus scrupuleux des dirigeants sportifs, mais il avait une qualité essentielle dans ce que l'on appelle souvent, sans toujours penser à mal, «le milieu» du football: il était très fort. Pas un simple animal politique: le roi de la jungle. Un gros malin parmi des centaines de petits malins, avec suffisamment d'instinct de survie, lui aussi, pour trôner au sommet de la chaîne alimentaire.

Quand Havelange lui a confié le secrétariat de ce qui était encore une entreprise de quatre personnes, Sepp Blatter a œuvré activement au premier contrat de sponsoring signé avec Coca-Cola. Il a fait de la Fifa un empire. Et de lui-même un empereur.

Un certain sens du décorum.
Un certain sens du décorum.

Dans l'exercice du pouvoir, il avait cette agilité de tous les instants, la prestance des êtres rabougris mais la contenance des grands esprits. Il avait le talent des séances joviales, pouvait chambrer en cinq langues et avait toujours une petite arvine au frais pour les amitiés de passage, dans le carnotzet de la Fifa (non loin d'une immense salle de prière). En tant qu'ancien président de l’Association mondiale des amis du porte-jarretelles, il savait aussi viser en dessous de la ceinture.

Sepp Blatter a créé un modèle économique imparable, dont les mécanismes de redistribution, notamment aux pays «en développement», ont fait la fortune de sa famille. Les promesses de subventions ont nourri sa popularité selon le principe équitable d'«une parole = une voix». Pour mémoire, dans une élection présidentielle à la Fifa, la voix de la Guinée-Equatoriale a le même poids que celle de l'Allemagne (au hasard).

Puis Blatter a amené la Coupe du monde en Afrique et, dans la position du missionnaire, il s'est mis à rêver du Prix Nobel de la paix. Sous ses bons offices, le football a connu un essor économique rare. Le gros malin est devenu indétrônable. Tous les petits malins qui, pendant 17 ans, ont entrepris de le faire chuter, ne lui sont jamais arrivés à la cheville: ils ont fini soit à sa botte (Issa Hayatou), soit dans leurs petits souliers (Jérôme Champagne), soit mis à pied (Mohammed bin Hammam).

Il ne devait en rester qu'un

La rupture du couple Blattini est survenue en 2010 lorsque, d'une amitié vieillissante, leur relation était déjà devenue une rivalité naissante. Platini sortait d’un déjeuner avec le président Sarkozy où le prince héritier du Qatar les avait rejoints au débotté (traduction: avec ses gros souliers), quelques mois avant la votation sur la Coupe du monde 2022. Le patron de l'Uefa a tué le père d'un seul coup de fil, en lui annonçant qu'il donnerait sa voix (donc celles de ses alliés européens) au Qatar. Blatter soutenait la candidature des Etats-Unis.

Ce revirement n'a jamais cessé de hanter les fidèles de Platini: comment l'enfant de Joeuf, chantre des valeurs ouvrières et des traditions impérissables, infichu de planter une caméra sur une ligne de but de peur qu'elle ne profane l’idéal humain, a-t-il pu offrir son soutien au projet qatari, mirage du soft power pétrogazier? On a souvent dit que Platini était un patriote et qu'il avait défendu les intérêts supérieurs de la France. On n'a jamais su en quoi consistaient ces intérêts - même si le Qatar a racheté le PSG l'année suivante, mais rien ne prouve que les dossiers étaient liés.

Et leurs chemins se sont séparés...
Et leurs chemins se sont séparés...

Blatter, lui, avait pris d'autres engagements. Tous les principaux contributeurs de la Fifa étaient américains (Coca-Cola, Visa, McDonald’s, Budweiser) et, s'ils avaient le sens de la famille, ils n'avaient pas celui du pardon. Après avoir réclamé la démission du président, ils ont lancé une charge d'une force sans précédent contre l'institution.

Les heures qui ont suivi le vote en faveur du Qatar ont été les dernières de l'empire Blatter. Ambassadeur de la candidature américaine, Bill Clinton a regagné sa suite du Baur au Lac où, humilié et trahi, «il a lancé un vase contre un miroir», selon l'enquête de Patrick Oberli dans Le Matin Dimanche, avant d'alerter sa hiérarchie. Quelque temps plus tard, le FBI attirait l'attention de la Suisse sur des cas de corruption à la Fifa et exigeait l'ouverture d'une enquête. Cette pression a pesé sur le Parquet helvétique durant des années.

Blatter avait promis l'élection de 2015 à Platini mais ces histoires de famille étaient terminées, il n'y avait plus ni père spirituel ni héritier du trône. Blatter s'était juré de s’en tenir à deux mandats et voilà qu'il s'échinait à en briguer un cinquième, avec les mêmes génuflexions et les mêmes poignées de main de maquignon. Cette fois, même ses suppôts lui tournaient le dos. Ils le trouvaient trop vieux, trop autocratique, trop mégalo. Le jour de sa réélection, Sepp Blatter était attaqué de partout.

Il a tout affronté sans sourciller, en plantant ses petits yeux rieurs dans ceux qui cherchaient à s'en détourner. Tout le monde a compris ce jour-là qu'il ne quitterait la présidence de la Fifa qu’avec un grand coup de pied dans le derrière, et encore faudrait-il trouver mieux, pour transformer l'essai, qu'un ancien tireur de coups francs devenu franc-tireur, infatué et harassé.

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«Il est temps d’avoir de l’air frais», claironnait le jeune coq en campagne électorale, sans craindre les allusions à l'âge de son rival (mais Blatter n'était pas Jospin) ni à l’atmosphère viciée des placards à cadavres. A ce moment-là, «Platini a l’assurance, presque l’arrogance, de celui qui a toujours tout réussi. Il se sentait fort mais il l’était parce qu’il était très bien entouré. Lui n’avait aucune compétence», témoigne encore Edmond Isoz dans Le Temps.

En réalité, Platini n’est plus entouré que d’ennemis. Blatter l'a renié et Gianni Infantino, son fidèle bras droit, commence à penser que le costume lui irait à ravir.

Infantino, le troisième homme

Infantino, c'était le secrétaire général de l'Uefa. Dans l'inconscient populaire européen, c'était surtout l'homme des tirages au sort de la Coupe d'Europe, une main baladeuse dans un bocal et l'autre sur la couture du pantalon.

Un certain savoir-faire.
Un certain savoir-faire.

Très peu de personnes étaient au courant des deux millions de francs versés par Blatter à Platini, en mars 2011, au titre d'un mandat de conseiller sportif exercé neuf ans plus tôt. Sitôt portés à la connaissance des autorités par «un chevalier blanc» (traduction: un proche collaborateur aux méthodes cavalières), ces deux millions ont ruiné la carrière de Blatter et Platini. Sans concurrent, Infantino est sorti du bocal pour devenir le nouveau président de la Fifa.

Depuis, Sepp Blatter est retiré des affaires. Il vit entre Zurich, où il passe l'essentiel de son temps, et Viège, sa bourgade natale. En janvier, il a subi une lourde opération du cœur. Quant à Michel Platini, il a quitté la commune vaudoise de Genolier, où plus rien ne le retenait, pour retrouver sa maison de Cassis, près de Marseille. Les deux hommes ne communiquent plus que par avocats interposés, comme tout bon couple divorcé.

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