C'est le réflexe naturel de tous ceux qui se sentent injustement traités: quand ils estiment que leur voix ne porte plus, ou plus assez distinctement, ils prennent un stylo et couchent sur le papier ce ce qu'ils ont sur le coeur. C'est ce qu'a fait Vladimir Petkovic cette semaine, après l'horrible prestation de ses footballeurs face à l'Italie (défaite 3-0). Comme tous les adeptes de la thérapie par l'écriture, le sélectionneur a rédigé une phrase, puis un paragraphe, sans doute s'est-il senti de mieux en mieux puisque le résultat final a donné, comme souvent dans ce genre de situation, un long texte un peu décousu. Il a été publié samedi dans la Schweiz am Wochenende.
Là où d'autres auraient commencé par «cher journal intime», Vladimir Petkovic débute par «chères/chers Suissesses et Suisses». Le message se veut solennel. Le sélectionneur s'adresse à la nation. Il y est question de profonds regrets pour cette «nuit magique» de Rome qui n'est «jamais venue», ces ambitions que lui-même et son équipe n'ont pas su confirmer, ces coeurs froissés par la déception et qu'il faudra regonfler avant le dernier match, dimanche contre la Turquie. Car dimanche est «un nouveau jour», le jour du Seigneur et de la dernière chance, où il s'agira de «mettre sur la pelouse toutes nos valeurs et nos vertus: solidarité, identification, joie et respect.» Quatre principes qui ne veulent pas dire grand-chose surtout quand, comme la Nati depuis le début du tournoi, on ne les applique pas.
Mais le contenu de cet appel au peuple n'est pas le plus important; ce qui compte, pour Vladimir Petkovic, c'est de pouvoir transmettre son message en s'affranchissant des vecteurs habituels (la presse), qu'il juge injustes avec lui. Il l'avait encore redit en mars dernier, après une victoire en amical contre la Finlande.
Le discours du sélectionneur sert évidemment à protéger les joueurs. Le coach est le premier rempart entre son groupe et les attaques extérieures, et quand il monte publiquement au créneau pour défendre les résultats de son équipe, c'est pour le bien du collectif. Mais il y a autre chose avec Petkovic, quelque chose de plus intime, de plus personnel; sa légitimité a souvent été contestée par une partie de l'opinion publique et il ne l'a jamais supporté.
Le natif de Sarajevo est admiré par certains pour son calme, sa pugnacité et ses résultats. Mais il est aussi contesté par d'autres pour son inexpérience, ses silences et ses racines balkaniques. Ce sont les mêmes qui, lorsque Petkovic fait des efforts de communication, imitent ses intonations slaves avec mépris. «Les gens n’ont pas compris qu’il y avait différentes manières d’aimer la Suisse et de l’incarner», soupirait l'auteur bernois Pedro Lenz en mars 2020 dans Le Matin Dimanche.
Vladimir Petkovic souffre d'un rejet particulièrement visible en Suisse alémanique. Il y est à la fois incompris et méconnu. «Ce n’est pas un homme que tu peux bien connaître car il se renferme beaucoup, nous dit Armando Ceroni, commentateur historique de la télévision suisse italienne et proche du technicien. Il a peur et se méfie. Il voit des fantômes partout. Il craint que s’il accorde sa confiance, cela se retourne contre lui. Mais il est très aimable en dehors du foot.»
«Vlado» était déjà contesté avant même le premier match en 2014, pour n'être que le troisième choix (Lucien Favre et Marcel Koller avaient décliné), pour succéder aux très populaires Köbi Kuhn et Ottmar Hitzfeld, et pour percevoir le salaire le plus élevé de l'histoire des sélectionneurs suisses (1,45 million par an). Le public, d'ailleurs, n'avait pas manqué de lui faire un procès en incompétence: 80% des internautes du Matin.ch estimaient que le Tessinois au palmarès trop peu fourni ne méritait pas le poste.
Sept ans après, Vladimir Petkovic possède le meilleur bilan chiffré des sélectionneurs suisses. Il est toujours contesté, et toujours présent. La preuve: il utilise le même stylo (rouge) pour écrire au public et pour prolonger son contrat, désormais valable jusqu’au terme du Mondial 2022 au Qatar.