On s'était demandé, cet été, pourquoi Yann Sommer était resté au Borussia Mönchengladbach et n'avait pas signé dans un grand club. On avait alors appelé deux experts, Thierry Barnerat (instructeur FIFA et spécialiste reconnu de l’entraînement du gardien de but) et Christophe Lollichon (ex-entraîneur des gardiens de Chelsea), pour comprendre. Ils nous avaient expliqué que l'international suisse (77 sélections), la nature est mal faite, était bien trop petit pour son poste.
De fait, avec ses 183 cm, Yann Sommer est très en-dessous de la taille moyenne des portiers de son championnat (191 cm). Ce déficit d'envergure, c'est un problème que Kevin Fickentscher connaît bien pour y être confronté: il ne culmine qu'à 182 cm. Le portier valaisan du FC Sion témoigne de tout ce que sa petite taille a changé pour lui au cours de sa carrière, sur le terrain comme dans le regards des entraîneurs et dirigeants.
Kevin Fickentscher, est-ce que c'est compliqué de faire 182 cm quand on est gardien de but?
(Il réfléchit). Je constate qu'il y a de moins en moins de gardiens aussi petits que Yann ou moi-même, et je le regrette. La taille a pris le dessus sur la qualité intrinsèque de l'athlète, ainsi que sur ses capacités techniques et tactiques. Quand les clubs observent un portier, ils font désormais de sa taille un des critères principaux.
Est-ce parce que vous êtes plutôt petit que vous avez perdu votre place de titulaire au FC Sion? Vous aviez été bousculé par Anton Mitryushkin (186 cm) et c'est désormais Heinz Lindner (188 cm) qui garde les buts valaisans.
Non, je pense qu'on n'accorde pas la même importance au gabarit en Suisse qu'à l'étranger. Si vous faites 182 cm dans un des cinq grands championnats, c'est rédhibitoire. Je le sais d'expérience: j'ai rejoint le Werder de Brême quand j'étais jeune et on m'a fait comprendre que j'étais trop petit pour faire carrière là-bas.
Ils vous avaient quand même fait venir alors qu'ils connaissaient votre taille.
Oui, mais j'avais 16 ans, j'étais encore en période de croissance. Et puis avant de signer, j'avais dû me soumettre à une batterie de tests. J'avais notamment subi un scanner des poignets afin que les dirigeants allemands puissent savoir si j'allais encore grandir, et de combien. Les résultats étaient plutôt concluants mais ils se sont très vite attendus à ce que je grandisse encore davantage.
Auriez-vous eu une autre carrière si vous aviez été plus grand?
Peut-être, oui. Certainement. Je me suis déjà dit ça. Quand je vois les gardiens qui ont joué après moi au Werder... Sebastian Mielitz a, par exemple, disputé 68 matchs avec la première équipe alors qu'il était clairement le numéro 2 chez les jeunes, derrière moi. Mais il fait 190 cm.
Vos parents sont-ils grands?
Non. Je dois être le plus grand de la famille.
On imagine que ça doit être ingrat d'être un petit gardien. Il y a plein de domaines dans lesquels un footballeur peut s'améliorer avec le travail, mais il n'y a aucune méthode d'entraînement pour le faire grandir.
Ça peut être frustrant, c'est vrai, mais avec la frustration on ne fait plus rien. Quand le Werder m'a recalé en disant que j'étais trop petit, ça m'a fait un peu sourire, mais je n'étais pas dégoûté pour autant. Au contraire: je voulais montrer que même en étant moins grand que les autres, je pouvais être un excellent gardien. Ça a été une motivation supplémentaire. Et puis, les petits peuvent être avantagés dans certains compartiments du jeu, en étant par exemple plus rapides au sol. Au final, on s'y retrouve.
Les statistiques rapportent que les gardiens ont grandi de 7 cm en moyenne ces 12 dernières années dans les grands tournois (Euro et Coupe du monde). Ça vous surprend?
Pas du tout. Ces chiffres reflètent l'évolution du football. L'aspect athlétique est toujours plus important. Au Werder, les deux défenseurs centraux étaient Mertesacker et Naldo. Le premier faisait 2m, le second 1m98. Avec le temps, ces standards se sont généralisés: les footballeurs sont plus grands, plus athlétiques. Le football a beaucoup évolué physiquement, jusqu'au poste de gardien.
Les petits gardiens sont souvent masqués par leurs deux centraux, sans compter les grands attaquants adverses qui se trouveront inévitablement devant lui. Le travail d'anticipation doit être constant, non?
C'est vrai. La grande force de Sommer, c'est son positionnement tactique. Il est admirable dans ses prises de décision. Il sent tellement bien le jeu qu'il peut anticiper la trajectoire du ballon. Il ne lui faut qu'une fraction de seconde après la frappe pour savoir où retombera le ballon et l'endroit exact où il pourra aller le chercher à son point le plus haut.
Quels souvenirs gardez-vous de vos sélections ensemble chez les moins de 21 ans?
Il m'avait demandé si ça me faisait quelque chose d'être petit. Je lui avais dit que non et lui avais retourné la question. Il m'avait répondu: «Non, je suis super content comme ça, ça va très bien.» Je ne pense pas qu'il ait changé d'avis avec le temps.
Il en a simplement marre qu'on lui pose la question! Il dit, comme vous, qu'il n'y a pas que la taille qui compte quand on est gardien.
Et il a raison. Il y a 1000 exemples qui montrent qu'un grand gardien n'est pas toujours meilleur qu'un petit. On voit chaque week-end des portiers élancés qui peuvent progresser sur leur ligne ou sur les balles aériennes. Mais ce ne sont pas les images qu'on montre aux juniors, à la relève. On les freine, on les décourage en leur disant qu'ils sont trop petits alors que certains ont d'excellentes qualités. C'est dommage.
Vous est-il déjà arrivé d'aller très vite au sol et d'être battu malgré tout, puis de vous dire: «Mince, si j'avais été plus grand, j'aurais arrêté cette frappe»?
C'est clair qu'avec de l'envergure tu prends plus de place. Le gardien plus petit, lui, doit être parfait dans sa technique. Il doit faire le premier pas juste, pousser juste. En fait, il doit être beaucoup plus juste que tous les autres qui sont plus grands et peuvent compenser grâce à la taille.
Finalement, les petits ont plus de mérite.
Je pense que oui, dans le sens où... Je ne veux pas dire qu'ils partent avec un handicap mais ils ont, c'est vrai, un atout en moins dans leur poche. Cela dit, Yann compense très bien ce "déficit" avec tout le reste.
Quel est le gardien que vous admirez le plus?
Je m'entends très bien avec Thierry Barnerat, qui coach Thibaut Courtois, et je vois tout à fait ses exigences dans certaines interventions du Belge. Courtois fait une saison incroyable. Il est excellent en ce moment, il continue à progresser à son âge, c'est beau.
On reproche souvent aux portiers modernes de rester trop souvent sur leur ligne sur balles arrêtées. C'est un constat que vous avez aussi fait?
Euh... Je ne mettrais pas tout le monde dans le même panier. Les équipes se sont beaucoup améliorées dans leur organisation tactique avant le départ des frappes. Mais il est vrai que les sorties aériennes devraient être un des points forts des grands gardiens. Or ils n'ont pas toujours la volonté d'aller chercher le ballon. Ils pourraient en tout cas en cueillir davantage.
C'est encore un exemple où la taille ne fait pas tout. Pour sortir, il faut être technique, volontaire, confiant.
En effet, que tu fasses 1m80 ou 2m, si tu n'as pas la volonté d'aller chercher le ballon, tu n'iras pas. Mais le gars d'1m80 qui a décidé de sortir, lui, devra être parfait dans sa gestuelle.