Le scénario imaginé par beaucoup avant cette Coupe du monde aura bel et bien lieu: la Suisse et la Serbie vont se disputer face à face le deuxième billet qualificatif pour les 8e de finale – derrière le Brésil – lors de l'ultime match de groupe, vendredi à 20h00.
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Certains craignaient même cet épilogue. Et pour cause: le contexte autour du dernier duel entre ces deux sélections, au Mondial 2018 en Russie, avait été particulièrement électrique. Nauséabond, même.
Flashback. 22 juin 2018, Kaliningrad, deuxième match de groupe. La Nati bat les Serbes 2-1 au bout du suspense, dans les arrêts de jeu, grâce à des buts de Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri. Les deux joueurs d'origine kosovare miment l'aigle bicéphale albanais pour célébrer leur réussite respective. Des réactions à la provocation à leur encontre, avant et pendant le match, de la presse et des fans serbes. Qui ne reconnaissent pas – tout comme le gouvernement de Belgrade – l'indépendance du Kosovo (autoproclamée en 2008), ancienne province de Serbie majoritairement peuplée d'Albanais (dont sont issus Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri).
Le geste des deux Helvètes est perçu comme une offense par les Serbes et crée même la polémique en Suisse. Xhaka et Shaqiri récoltent chacun une amende de 10 000 francs de la Fifa. Pire: la Nati perd beaucoup d'énergie dans cette affaire extra-sportive et fait pale figure lors de ses deux matchs suivants, contre le Costa Rica (2-2) et surtout face à la Suède en 8e de finale, contre qui elle est éliminée sans gloire (0-1). En mai 2021, trois ans après les faits, Granit Xhaka rembobinait:
Alors pour éviter que pareil scénario se reproduise, l'Association suisse de football (ASF) a créé en été 2019 le poste de manager de l'équipe de Suisse, occupé par le Tessinois Pierluigi Tami. Objectif principal? Améliorer la communication au sein de la sélection et avec les médias.
Dans cette volonté de progrès relationnels, les dirigeants de la Nati ont justement rencontré leurs homologues serbes ce printemps à deux reprises, peu après le tirage au sort du Mondial, histoire de désamorcer les éventuels problèmes autour de ce match très politique de vendredi. «Le sélectionneur serbe, Dragan Stojkovic, nous a dit: "Nous souhaitons tous qu'il ne soit question que de football autour de ce match"», se réjouissait Tami en septembre. Le Tessinois ajoutait:
Parler avec les joueurs principalement concernés par ce contexte extra-sportif – Xhaka, Shaqiri et Jashari –, c'est ce que ferait Bernard Challandes s'il était à la place de l'entraîneur suisse, Murat Yakin.
Le Neuchâtelois, ex-sélectionneur du Kosovo et actuel consultant sur la chaîne blue Sports, insiste sur un point: «C'est important d'en parler, mais sans exagération. Il ne faut pas créer un événement alors même qu'il n'a pas eu lieu et qu'il n'aura peut-être jamais lieu.» D'ailleurs, Bernard Challandes est confiant: il est quasiment certain que la polémique de 2018 ne se répétera pas vendredi. «Je serais très surpris si on voyait Xhaka ou Shaqiri faire ce même geste», avoue-t-il, «parce que les joueurs et le staff sont désormais préparés à ça. Ils ont davantage d'expérience, ils ont appris de leurs erreurs.»
S'il était dans le costume (ou plutôt le polo) de Murat Yakin, Bernard Challandes n'interdirait pas, par exemple, à ses protégés d'aller sur les réseaux sociaux histoire de ne pas être confrontés à l'hostilité de l'adversaire et de ses fans. «C'est impossible de leur interdire ça!», coupe le Neuchâtelois. Il enchaîne:
On ne sait pas si Granit Xhaka, Xherdan Shaqiri et Ardon Jashari sont tombés sur la photo polémique du vestiaire serbe avant le match de la sélection balkanique contre le Brésil jeudi. On y voit un drapeau avec la carte du Kosovo, sur laquelle sont représentées les armoiries et couleurs de la Serbie avec le message explicite «pas de reddition».
Si c'est le cas, nos trois internationaux seraient bien avisés de suivre les conseils de Bernard Challandes: rester focalisé sur le jeu. Parce qu'au bout de ces 90 minutes, il y a une place en 8e de finale de la Coupe du monde qui tend les bras à la Nati. Et pour l'atteindre, elle aura besoin de toute son énergie.