Depuis qu'il a organisé les voyages de trois délégations helvétiques, entre les Jeux de Londres (2008) et ceux de Vancouver (2012), Gian Gilli n'oublie presque plus rien quand il part en vacances. «A part peut-être l'adaptateur», se marre l'ancien chef de mission. Le Grison reconnaît avoir développé de solides aptitudes organisationnelles dans son ancienne fonction, un métier de l'ombre qui consiste à déplacer une partie (humaine et matérielle) du pays sur le site olympique, ce qui ferait presque passer les déménageurs bretons pour des touristes en marcel.
Car les pays à forte représentation (la Suisse compte 168 athlètes en Chine) doivent acheminer des tonnes d'équipements en tous genres, des cannes de hockey aux paires de skis (Marco Odermatt en a fait acheminer 50) en passant par les bobs, dont le voyage est à haut risque. «C'est très délicat à transporter», confirme Werner Augsburger, chef de mission entre 2004 et 2008. «Ce sont des machines qui sont onéreuses et lourdes. Il ne faudrait surtout pas les abîmer.» En règle générale, Swiss Olympic fait confiance à l'entreprise de transport habituelle de la Fédération suisse de bob. Mais celle-ci s'est retirée cette année, ce qui a contrait le comité olympique à organiser lui-même le très périlleux (et coûteux) déménagement des «suppositoires carénés» en Chine.
Les bobs de 200 kg sont habituellement fixés sur des rails et protégés par un container cadenassé dans le but de prévenir l'espionnage industriel ou le vol, certains trésors de technologie valant plus de 100 000 francs pièce.
Les carabines des biathlètes sont moins coûteuses, mais ne se déplacent pas sans moins de précautions. «Transporter des armes dans un autre pays, c'est toujours délicat», reconnaît Augsburger. «Il y a des règles à respecter. Il faut surtout séparer les fusils des munitions.» Un peu comme la viande séchée des médicaments. Pour avoir oublié d'ôter un paquet de charcuterie grisonne dans un container de premiers secours à destination des JO de Turin, un membre de la délégation suisse a dû longuement se justifier à la douane italienne.
On ne plaisante pas avec les procédures. Ni avec le transport de médicaments. Swiss Olympic mandate d'ailleurs à chaque olympiade un médecin chargé de dresser la liste des produits nécessaires (et autorisés) aux athlètes, et de les étiqueter scrupuleusement.
Un travail fastidieux qui n'est rien à côté de celui demandé au chef de mission pour les accréditations. Augsburger en rirait presque aujourd'hui:
La Suisse, comme toutes les autres nations participantes, reçoit ensuite un nombre limité d'accréditations pour les athlètes et leur encadrement. C'est au chef de mission de les distribuer, en ménageant au mieux les susceptibilités. Gian Gilli: «Certains sportifs ont besoin de plus de staff (entraîneurs notamment) que d'autres, mais on ne peut pas contenter tout le monde. Il faut faire des choix afin que chacun soit mis dans les meilleures dispositions».
Toutes ces procédures se pensent pendant quatre ans mais s'exécutent en urgence. Les délais sont en effet, après le transport, l'autre challenge de la délégation. Surtout lors des JO d'hiver, puisque des compétitions de Coupe du monde sont organisées jusqu'au week-end précédent la cérémonie d'ouverture. Or, le matériel doit être sur le site olympique dès le début de la quinzaine. «Il est souvent trop tard pour remplir des conteneurs et acheminer nos équipements par bateaux», fait remarquer Augsburger. «Tout doit être transporté par avion, ce qui engendre inévitablement des coûts supplémentaires.»
La distribution du matériel sur place est une nouvelle prise de tête logistique, les athlètes ne logeant pas tous au village olympique. «Certains seraient trop éloignés du site de compétition et devraient se coltiner des heures de shuttlebus», justifie Gilli. «Nous tâchons de leur louer des maisons ou des appartements.» Fabian Cancellara en a profité à Londres et Pékin, les skieurs suisses à Salt Lake City. Ça coûte souvent très cher, les prix des locations explosant dans la région hôte des JO, «mais Swiss Olympic s'est toujours montré généreux quand il s'agissait du bien-être des athlètes», dit Gian Gilli.
La gymnastique est permanente, avant et même pendant la compétition. Les incertitudes ne partent pas en fumée avec la flamme olympique. Le chef de mission doit encore gérer les hockeyeurs de piquet, les réservistes que le sélectionneur peut appeler en cas de blessure. S'il choisit de les faire patienter sur place, comme à Turin, il doit leur trouver un logement, une cantine et des chauffeurs pour faire la navette quotidienne jusqu'à la patinoire.
Ce genre de préparation est fastidieuse, mais finalement pas très compliquée. Tout se corse quand l'imprévu s'en mêle, genre une pandémie mondiale à base de pangolin, et que les Jeux olympiques sont organisés dans un pays aux canaux de communication parfois brouillés. Pour y faire face cet hiver, Swiss Olympic a dégoté une solution VPN et recommandé aux athlètes de s'équiper de portables avec cartes SIM locales.
On comprend mieux pourquoi, quand on lui a demandé à partir de quel moment Werner Augsburger s'était senti enfin soulagé lors de ses trois missions olympiques, il nous a répondu: