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Pékin 2022

Pékin 2022: Commenter un sport aux JO quand on n’y connaît rien

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Pékin 2022

Commenter un sport aux JO quand on n’y connaît rien

Pas tous les journalistes sont incollables sur le skeleton et le curling. Pourtant, ils s’y collent. De gré ou de force, ils le vivent en mode système D.
04.02.2022, 17:1106.02.2022, 19:54
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Un vieil adage de salle de presse dit qu’aux Jeux olympiques comme au rayon légumes, on ne choisit pas. Du moins, on évite de faire la fine bouche car «des tas de gens rêveraient d’être là», à glousser tous frais payés devant les appas bucoliques d’un 50 km classique.

Un jour ou l’autre, chaque journaliste est parachuté dans un sport qui lui est obscure, chacun en vient à tirer le portrait d’un médaillé dont il ignorait l’existence, mais dont il raconte à peu près tout, de sa première dent de lait à son dernier entraînement.

Ce qui reste abordable en presse écrite, avec un peu de temps et beaucoup de doc, devient impossible en radio et en télévision. Comme ils le répètent avec la bravade du pompier en intervention: «Ce sont les aléas du direct».

C’est ainsi que Jean-Jacques Besseaud, douze Jeux olympiques pour la Radio télévision suisse romande, s’est retrouvé à commenter de la luge:

«Mon seul point de comparaison, c’était la luge Davos en bois, avec les pieds enfoncés dans la neige pour freiner. Rien de très ressemblant avec ce que j’avais sous les yeux»

Jean-Jacques Besseaud a aussi commenté du bob, ce qu’un autre spécialiste occasionnel, Christophe Gallaz, comparait au voyage du suppositoire dans l’intestin grêle. «Je n’y connaissais rien. Que vouliez-vous que je fasse?», soupire Besseaud avec, toujours, une pointe d'émotion. «J’ai lu des listes. J’ai commenté le chronomètre. J’étais bien en peine d’évaluer le pilotage de ces messieurs, avec mes trois descentes en luge au Moléson. Par chance, ce n’était pas des heures de grande écoute.»

Ancien journaliste vedette et cadre de la RTS, Philippe Ducarroz est passé par là, lui aussi. Et il en est à peine revenu. «Un soir, à Sydney, j’ai appris par un coup de fil du producteur que j’allais commenter la finale du tir 50m petit calibre. Un Suisse s'était qualifié. J’ai dit: “Et alors?” On m’a répondu: “C’est toi qu’on a choisi.” Moi qui n’avais pas fait l’armée et jamais tenu une arme dans les mains. J’ai passé toute la nuit au téléphone à essayer de comprendre ce sport, notamment l’influence du vent sur la trajectoire de la balle, toutes ces choses-là…»

Philippe Ducarroz dirige aujourd'hui Planète Hockey et gère un café-théâtre, Le «Strap», à Fribourg.
Philippe Ducarroz dirige aujourd'hui Planète Hockey et gère un café-théâtre, Le «Strap», à Fribourg.

Ce travail de recherche aurait dû payer. «Mais quand les premières images sont arrivées sur mon écran, j’ai compris que le vent ne jouerait aucun rôle, car les compétitions se disputaient… en indoor. Puis Michel Ansermet (ndlr: médaillé d’argent) s’est mis à tirer et j’ai commencé à commenter. Sauf que c’était l'échauffement: nous étions en salle d’essai mais moi, je ne savais même pas que ça existait. Après 50 minutes de direct, je suis sorti de la cabine en flotte, trempé de la tête au pied, sous les applaudissements des techniciens sensibles à mes efforts.»

Dans ces situations d’ignorance extrême, une blessure d’amour-propre est vite arrivée. «Ne pas prendre de risques inutiles. On s’en tient aux généralités les plus criantes et uniformes. C’est un exercice de style, en somme», abdique Jean-Jacques Besseaud. Sa recette toute faite: «Éviter de dire des bêtises et ajouter une pincée de chauvinisme.» Et de rappeler: «Ta chance, c’est que les gens en savent aussi peu que toi. Il faut juste éviter de vexer les 2-3 spécialistes qui regardent». Autre danger, selon JJB: «Les Romands font des gorges chaudes des commentateurs français. Il serait malvenu de redoubler d'inepties».

La France a aussi employé des stars du show-biz, Michel Drucker, Jean Rochefort, mais surtout Léon Zitrone, expert des courses hippiques et qui, parachuté aux Jeux de Grenoble pour y chanter des louanges, s’exclama devant une patineuse allègre: «Ah, la belle pouliche!»

Léon Zitrone en vidéo

Zitrone, également dévolu aux mariages princiers et qui commentait les dernières foulées dans l’église comme une arrivée à Longchamps, fut ensuite commis à l’exégèse du hockey sur glace, toujours en 1968. Jean-Jacques Besseaud en frémit encore: «Je ne suis pas le seul… Zitrone avait notamment commenté un match Canada - Allemagne. A 9-0 pour les Canadiens, prouvant en cela sa maîtrise du sujet, il avait déclaré: “Nous entrons dans les deux dernières minutes de jeu, les Allemands vont enfin pouvoir sortir leur gardien”. Je crois qu’après cette brillante démonstration du grand Zitrone, nous étions tous décomplexés».

Le hockey sur glace fut aussi, dans un premier temps, la hantise de Laurent Bastardoz, autre habitué des Jeux olympiques à la RTS. «A la base, j’étais footballeur, j’avais joué à un certain niveau et arbitré plusieurs années. Quand on m’a demandé de commenter du hockey, au début, je ne l’ai pas senti du tout. J’ai commencé aux JO avec des Slovénie - Kazakhstan et tous les matchs de l’équipe suisse féminine.»

Laurent Bastardoz travaille aujourd'hui chez MySports.
Laurent Bastardoz travaille aujourd'hui chez MySports.

Mais Laurent Bastardoz a vécu une immersion bien plus aventureuse. «A Salt Lake City, on m’a mis sur le curling. J'étais seul, sans consultant, à expliquer un sport que je ne comprenais absolument pas. Heureusement, c’était le milieu de la nuit en Suisse et les grands matchs étaient commentés depuis Genève par Pierre-Alain Dupuis et Patrick Lörtscher (ndlr: champion olympique à Nagano). Mais c’était une vraie galère et oui, très angoissant.»

«Si les réseaux sociaux avaient existé, je me serais fait démonter. Je n’ai jamais osé revoir mes reportages»

Jean-Jacques Besseaud en ricane et joue les baroudeurs: «Angoissant? Non. Tu connais tes limites. En l’occurrence, ces limites sont totales». Philippe Ducarroz confesse même une pointe de masochisme. «Les cassées de gueule, j’adore ça. J’étais toujours le premier à partir sur des sports que je ne connaissais pas.»

Et ses désirs furent comblés. Philippe Ducarroz rappelle que la RTS l’a envoyé deux ans sur la Coupe du monde de ski alpin alors qu’il «faisait du chasse-neige». «Je ne pouvais que déplorer des fautes sur le ski intérieur, comme tout le monde, mais pour le reste, je n’y pigeais que dalle.» Sans parler des régates du Rotsee où ses voisins d’Eurosport et de la BBC «s’extasiaient devant des exploits que je ne percevais même pas».

«Le meilleur moment de la journée, c’est quand il s’est mis à pleuvoir et que les régatiers ont dû écoper. Là, je pouvais en parler parce que j’avais déjà vécu ça dans ma cave»

Mais Philippe Ducarroz, stakhanoviste notoire de la corporation journalistique, pense qu’avec du temps, tout s’apprend. «Pour le ski alpin, j’ai parlé avec énormément d’athlètes et de coachs, j’ai étudié une foule de données, comme la topographie des courses, et j’ai fini par saisir certaines complexités. Mais mon rôle à moi, ma qualité, c’était de faire vivre le chronomètre. Pas d’analyser comme un expert que je ne serai jamais.»

Un retraité de la RTS raconte ce collègue ébaubi que ses chefs avaient envoyé sur le skeleton parce qu’il avait des notions… de bobsleigh. «Ça glisse et ça va vite, mais sinon, quel rapport? C’est comme si tu couvres le Tour de France et qu’on t’envoie commenter du cyclisme sur piste aux JO. Tu sais reconnaître un vélo, bravo. Mais à part ça?»

Laurent Bastardoz a bien potassé ses sujets: il a commenté la finale de hockey à Vancouver et développé de réelles connaissances en curling. «Mais à mes premiers JO, j’étais un béotien. J’avais juste pris une heure avec Patrick Lörtscher au Curling Club de Genève, le temps d’apprendre trois stratégies et quelques éléments de langage. J’avais aussi acheté un livre. Sur place, j’ai profité un max des interviews pour gratter des infos et des clés de compréhension. C’était de la débrouille.»

Mais les JO n’offrent jamais de chemins tout tracés et, après les écueils du programme, surgissent les imprévus: «Avec Patrick Lörtscher, on avait terminé notre journée et on était parti manger, raconte Laurent Bastardoz, en invoquant le droit à l'oubli. Patrick aime les plaisirs de la table… En plein repas, on a reçu un appel de Genève pour nous annoncer que les épreuves de ski à Sestrières étaient annulées et qu’il fallait reprendre l’antenne rapidement. On attaquait la deuxième bouteille... Je vous laisse imaginer notre état de forme».

Jean-Jacques Besseaud.
Jean-Jacques Besseaud.

«Aux JO, un journaliste est amené à tout faire, c’est la règle», conclut Jean-Jacques Besseaud. Son pire souvenir: «Aux Jeux de Munich 1972 (ça remonte, mais voyez à quel point je reste imprégné de ce souvenir), j’avais enfin obtenu un rendez-vous avec la fille qui tenait la librairie-papeterie du village olympique, où j’allais chaque jour dans le seul espoir de ce dîner. A mon grand désarroi, l’équipe suisse de fleuret s’est qualifiée pour la finale et mon chef m’y a envoyé. Je n’ai plus jamais revu la fille». Cette souffrance pouvait-elle rester tue à jamais?

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