Comment gagner le grand globe de cristal? Alexis Pinturault s'est acheté un bus. Il n'a pas pu le prendre à Sölden ce week-end, où la nouvelle saison de Coupe du monde a débuté – Marco Odermatt a remporté ce géant, le Français a terminé 5e. La cause: des problèmes de livraison. Mais quand la saison européenne commencera vraiment en décembre, le véhicule devrait être prêt. Et pourrait devenir l'arme secrète dans le duel pour la victoire au classement général.
La victoire pour #MarcoOdermatt sur le géant d’ouverture à #Sölden. @AlexPinturault 5e @mathieufaivre 11e #CyprienSarrazin 23e et #ThibautFavrot 27e @Eurosport_FR @FX_Rallet @GautdeTess pic.twitter.com/qFoU38oOTF
— Chalet ❄️ Club (@ChaletClub2021) October 24, 2021
L'ancien bus, avec lequel le Français a remporté la Coupe du monde l'année dernière, offrait trop peu d'espace de détente. A la place du vélo d'intérieur, il y aura dans le nouveau véhicule un divan pour les massages et autres soins. Le vélo ne disparaîtra pas pour autant, il sera juste mieux rangé.
Pour terminer l'hiver en étant le meilleur skieur, il faut non seulement bien skier tout du long mais surtout être en forme. Le mot magique: régénération. Et c'est là que le bus entre en jeu. Pinturault s'y réfugie quand la route vers l'hôtel entre deux courses ou après une escapade est trop longue. C'est son lieu de repos. Un peu de luxe. Il en est conscient:
Alexis Pinturault ne dit pas directement que la fédération française n'a pas les moyens de le faire. Mais son bus est un indice.
L'hiver dernier, son modèle a fonctionné. Le 20 mars 2021, le jour exact de son 30e anniversaire, le Français a remporté le classement général de la Coupe du monde lors des finales à Lenzerheide. Marco Odermatt, son plus grand rival, a été battu après le dernier slalom géant de la saison. Mais le Suisse de 24 ans a longtemps été l'égal de Pinturault et s'en est dangereusement rapproché.
Pinturault a donc failli rater pour un rien un très grand titre. Auparavant, il avait terminé deux fois à la deuxième place du classement général de la Coupe du monde, et trois fois troisième. Il a remporté plusieurs fois l'argent et le bronze aux Championnats du monde et aux Jeux olympiques. Mais jamais l'or dans l'une des disciplines principales. Il n'a été champion du monde qu'en combiné et en équipe. Pas suffisant pour quelqu'un dont on attendait, dès ses débuts, qu'il domine tout. Au total, il en est maintenant à 34 victoires en Coupe du monde.
Le slalom géant des championnats du monde en février dernier est symptomatique. Pinturault menait l'épreuve avec une marge confortable après la première manche. Mais il est parti à la faute sur le deuxième tracé et a été éliminé. Le Tricolore a échoué à cause d'une fragilité mentale qui accompagne sa vie de sportif par ailleurs si structurée, comme l'écrivait un journal français. Un échec en raison des trop fortes attentes sur lui.
Son père lui a inculqué très tôt que le deuxième est en fait le premier perdant. Une telle idée, ça reste forcément dans la tête. Mais Romane, l'épouse de Pinturault, a perçu un changement chez son mari:
Alors cette voix dans sa tête est devenue un peu plus silencieuse. Pinturault n'était tout à coup plus obligé de gagner, il était autorisé à le faire. Il a fallu qu'il ait 30 ans pour s'en rendre compte.
Cette saison, on a de fortes chances de revoir le duel entre Pinturault et Odermatt pour le grand globe de cristal. Un même combat, mais deux philosophies opposées. Pinturault, le guerrier solitaire, qui travaille beaucoup avec son équipe privée. Tout le contraire d'Odermatt, effrayé à l'idée de se retrouver sans ses coéquipiers.
A 24 ans, le Nidwaldien entend encore et toujours que l'avenir lui appartient. Marcel Hirscher l'a dit. Pinturault aussi. A l'époque, on a dit la même chose du Français. Mais il est resté longtemps dans l'ombre de Hirscher. Ces prophéties sont devenues un fardeau pour lui. Et pour Odermatt? Pas vraiment pour l'instant, à en croire le Suisse:
C'est toujours étonnant de voir avec quelle facilité Marco Odermatt gère la pression et les attentes démesurées. Les doutes ne le traversent que brièvement. Il met rapidement les déceptions de côté. Comme celle de Lenzerheide par exemple, où il a été privé de la possibilité de rattraper Pinturault à cause de la mauvaise météo.
Parfois, le gros investissement d'Odermatt est dissimulé par sa décontraction: le talent seul ne suffit pas pour gagner. Mais le Nidwaldien arrive intelligemment à switcher entre la rigueur de l'entraînement et une vie à côté où il prend du plaisir grâce à plusieurs activités. Pour Pinturault, ça a été différent pendant longtemps. Ses anciens coéquipiers l'appelaient «la bête», tellement il était acharné, rigoureux et méticuleux à l'entraînement. Il a d'abord dû apprendre que cette distraction en dehors du ski n'est pas une défaite. Que ce repos n'est pas synonyme de faiblesse.
Le grand-père de Pinturault a autrefois ouvert un hôtel de luxe à Courchevel. Aujourd'hui, c'est son père qui le dirige. Le bâtiment est juste à côté des pistes. Alors le ski, le champion tricolore n'a jamais pu s'en éloigner, même s'il a été un bon footballeur jusqu'à ses 15 ans. La mère de Pinturault, qui est Norvégienne, a un jour avoué à un journal français qu'elle avait souvent skié avec Alexis dans son ventre lorsqu'elle était enceinte. C'est probablement de là que lui vient son sens de l'équilibre.
Effectivement, c'est fascinant de voir comment Pinturault maîtrise les pentes les plus difficiles avec une facilité déconcertante. Quand les autres galèrent, lui skie comme s'il était guidé par la magie. Pinturault est un technicien hors pair. Dans ce domaine, il a un léger avantage sur Odermatt. Par contre, le Suisse est plus à même de repousser ses limites dans les disciplines de vitesse.
La discipline phare de Pinturault est le slalom géant, mais il est aussi à l'aise en slalom et en super-G. Odermatt est également brillant en slalom géant, mais il a aussi des qualités en super-G et en descente. Dans cette nouvelle saison, il y aura, si on additionne, le même nombre de slaloms et de géants que de descentes et de super-G. «Ça rendra le classement général de la Coupe du monde plus équitable», se réjouit Odermatt. De son côté, Pinturault a un autre avis: «Ceux qui font le géant, le slalom et le super-G ont au total une course de moins que ceux qui s'alignent en géant, super-G et descente.»
Le duel est lancé depuis ce dimanche. Odermatt, qui a pris un avantage en remportant ce premier slalom géant, veut être sûr que Pinturault aura besoin de repos dans son bus.