Il était prostré dans l'aire d'arrivée, alors que Clément Noël exultait pour sa première victoire de la saison, mardi soir dans la Mecque du slalom. Le Français ne lui a pas adressé le moindre regard, il ne s'est même pas approché pour le consoler. Aucun des trois premiers (Noël, Ramon Zenhäusern et Lucas Braathen) n'est allé le réconforter, ses rivaux l'ont purement et simplement ignoré. Henrik Kristoffersen, en tête après la première manche, était seul dans un coin de la raquette d'arrivée pour digérer.
Le caractère du Norvégien est souvent décrié et sur le circuit les voix s'élèvent pour le taxer de diva. «Kristo» refuse de s'effacer, sa personnalité prend le dessus tant que la gagne n'est pas au rendez-vous, quitte à irriter la caravane du ski alpin mondial.
Justin Murisier s'était même emporté lors des finales de Lenzerheide en mars 2021. «Je ne citerais pas de nom mais il y a un concurrent qui n’arrête pas de pleurer parce que les géants ne tournent pas assez», pestait-il à l'issue de la seconde manche. Avant d'enchaîner qu'il «ne s'entraînait pas pour faire de la peau de phoque», et de rajouter une dernière compresse pour bien faire passer le message:
Daniel Yule s'était montré moins virulent (ou plus diplomatique) et avait répondu au Blick alémanique qu'il trouvait que le Scandinave pouvait «se comporter différemment dans certaines situations». Nombreux sont les skieurs à déplorer son tempérament et ses coups de sang.
Le TagesAnzeiger avait révélé d'ailleurs que Kristoffersen s'était envolé avec le jet de son sponsor (Red Bull), d'Hinterreit, en Autriche, à Wengen, alors que son équipe restait au sol et avalait sept heures de route. Difficile pour la structure de gérer les émotions du talent? Jörg Roten, l'excellent entraîneur et frère de Karin Roten, ancienne skieuse de renom, expliquait que le bougre était «honnête et franc».
Dans le milieu, il est connu qu'il n'a pas beaucoup d'amis sur le circuit; il est de notoriété publique qu'il n'est pas en odeur de sainteté avec la fédération norvégienne pour une histoire de sponsor (personnel) réglée en 2019.
Lucas Braathen s'était exprimé en 2020 à ce sujet pour nettavisen.no: «Nous sommes tous les deux Norvégiens. Mais il a choisi «l'équipe Kristoffersen» avec ses entraîneurs et ses physiothérapeutes, et le reste d'entre nous est un groupe d'entraînement différent. Il ne me donne rien et je ne lui donne rien. C'est juste un autre compétiteur.»
Kristoffersen s'est retrouvé bien seul dans le brouhaha nocturne de Schladming. Lui qui avait été la cible de boules de neige lancées par des fans autrichiens, a connu les montagnes russes sur la piste Planai. Sa soif de vaincre le pousse à se retrouver dans cette position, celle de mardi soir, à l'écart et comme abandonné à sa frustration. Avec ses colères multiples, ses crises à la limite du puéril, «Kristo» récolte les fruits de sa rage de vaincre claironnée depuis qu'il joue les premiers rôles.
Mais le prodige norvégien, ce volcan prêt à dégainer, possède ses bons côtés. Jörg Roten assurait qu'il ne regrettait pas de collaborer avec le spécialiste de géant et de slalom: «Je sais toujours où j'en suis avec lui». Et même Marcel Hirscher, son grand rival devenu fournisseur de ses skis Van Deer, déclarait dans L'Equipe, qu'il n'aurait «peut-être pas dit ça il y a quelques années, mais c'est un type vraiment cool». L'Autrichien a fait savoir qu'il était impressionné par la volonté de fer du Norvégien.
Henrik Kristoffersen, lui, se moque des critiques. C'est un gagneur, un champion qui préfère avancer seul. Sa structure vit quasiment en autarcie, coupée du monde et des meilleurs skieurs de la planète. Alors que les fédérations s'entrainent ensemble, lui préfère se mesurer à lui-même avant d'enclencher en course pour conquérir le monde.