C'est une affiche que vous avez peut-être aperçue, dans les rues de Lausanne ou Genève. Elle montre une jeune femme en petit short moulant se cambrer pour soulever ce qu'on devine être une kettlebell, un appareil d'entraînement souvent utilisé lors des séances de musculation. Le tissu est rare, la pose suggestive. Deux mots en caractères gras entourent un logo velu, symbole de Gorilla Sports, une enseigne d'équipements sportifs disponibles en ligne dans plusieurs pays (dont la Suisse).
La publicité est-elle de mauvais goût? Porte-t-elle atteinte à l'image de la femme? Oui, selon des Romands qui ont décidé d'agir.
À Genève, une habitante a alerté l'association féministe DécadréE alors que dans le canton de Vaud, des citoyens remontés ont interpellé les autorités afin de faire retirer cette publicité qu'ils jugent sexiste.
Directrice de DécadréE, Valérie Vuille estime elle aussi que l'affiche est «juridiquement inattaquable». «Il faut tenir compte du produit. Il s'agit ici de matériel de sport. Il semble légitime que la personne sur l'affiche soit montrée en plein exercice», appuie-t-elle, sans pour autant encourager la diffusion de telles images. «Cette publicité est problématique parce qu'elle représente, une fois de plus, le même type de corps de femme blanche, mince et lisse, qu'on considère comme étant légitime à être montré dans l'espace public.»
Quand il a découvert l'affiche pour la première fois, le Valaisan Patrick Flaction pensait qu'il s'agissait d'une réclame pour une salle de fitness. «Je n'ai jamais imaginé que le but était de vendre des appareils de gym. Pour moi, Gorilla Sports a vraiment utilisé le corps de la femme sur cette image», trouve l'ancien préparateur physique de Lara Gut, dont l'oeil d'expert du mouvement décèle certaines incohérences dans la posture de l'actrice.
La marque s'est un peu arrangée avec la vérité, et pas seulement dans la posture. «On voit bien qu'il manque un bras à la jeune femme et que sa main ne serre pas la kettlebell, pointe Flaction. Or c'est impossible de soulever une charge aussi lourde sans l'empoigner fermement.»
«Il est possible qu'elle ait tenu à l'origine un sac à mains, ou quelque chose de plus léger», songe Pedro Simko, publicitaire et fondateur de l'agence Saatchi & Saatchi Simko à Genève.
Lui observe la campagne publicitaire avec une légèreté teintée d'indifférence. «Si vous devez vendre du matériel de sport, vous n'allez pas mettre un mec comme moi sur l'affiche. Ça serait drôle, mais ce n'est pas le but recherché par la marque! Montrer une jolie fille, c'est plus raisonnable. Bon, c'est vrai qu'on voit un peu trop son derrière, mais sans exagération non plus. Au final, c'est une pub qui manque de créativité. Elle n'est pas méchante, ni idiote. Plutôt gentille.»
Ce n'est pas la première fois que Gorilla Sports, qui n'a pas répondu à nos sollicitations, diffuse une image dont la mise en scène laisse pour le moins songeur. Sur leurs affiches, les hommes y sont souvent représentés comme des dieux grecs aux muscles gonflés d'orgueil.
Les femmes comme des objets de désir, caricaturées dans des poses parfois érotiques.
Le genre de clichés qui exaspèrent Valérie Vuille. «Ce sont les mêmes parties du corps qui sont sans cesse mises en avant et qui sont sexualisées, souligne-t-elle. Il faudrait des morphologies plus réalistes en termes d'esthétique, de posture et de diversité.» Montrer un peu plus d'humains, et un peu moins de comédiennes surphotoshopées.