Depuis le début des vacances d'été, le Conseil fédéral n'a rien fait ou presque pour anticiper la crise énergétique à venir l'hiver prochain. Voilà une crise estivale dont le gouvernement se serait bien passé.
Les conseillers fédéraux en charge de l'énergie Simonetta Sommaruga et de l'économie Guy Parmelin, responsables de l'approvisionnement du pays, se sont présentés au début des vacances d'été devant les médias avec trois représentants de la branche et ont souligné la gravité de la situation. Dans le même temps, il est apparu que la Suisse n'était que mal préparée à une interruption de l'approvisionnement en électricité et surtout en gaz.
Mais depuis ce moment clé de la politique suisse de 2022 — silence radio. Rien ne s'est passé, ou du moins rien n'a filtré à l'extérieur des murs du Palais fédéral. Alors que l'Union européenne (UE) élabore de manière transparente des plans d'urgence et lance des appels à l'économie, la Suisse, Conseil fédéral compris, profitait tranquillement de l'été. Simonetta Sommaruga a tout de même annulé quelques jours de vacances prévus à Trieste, en Italie.
Une «campagne de sensibilisation» aux économies d'énergie devrait voir le jour fin août — au plus tôt. Une mesurette qui indique qu'aucun travail solide n'a été effectué pour l'instant. Pourtant, la Suisse est sous pression en ce qui concerne le gaz car contrairement à l'électricité, aucun plan de mesures à ce sujet n'existait jusqu'il y a quelques semaines.
Fin juillet, les Etats membres de l'UE ont décidé de réduire leur consommation de gaz de 15% d'ici mars 2023. Un plan d'urgence est entré en vigueur la semaine dernière. Pendant ce temps-là, la Suisse a fait comme si cela ne la concernait pas:
La réponse laconique et faible du département de Sommaruga surprend, d'autant que le plan d'urgence de l'UE, avec son caractère incitatif et assorti de quelques exceptions, est assez facilement applicable.
Car en ce qui concerne le gaz, nous sommes dépendants des pays voisins, la Suisse ne disposant pas de capacités de stockage étendues. C'est bien simple: à l'exception de deux citernes de petite capacité situées à Schlieren, dans le canton de Zurich, il n'y a pas de réservoirs de gaz sur le territoire suisse.
La question de savoir si des capacités de stockage situées à l'étranger peuvent être «réservées» et disponibles en cas d'urgence reste ouverte. De fait, la Confédération commence timidement à se rendre compte qu'il est temps que la Suisse fasse des efforts... ou alors se comporte de manière solidaire envers ses voisins pour espérer un geste en retour.
Le comportement helvétique est suivi de près et une fois de plus, Berne est soupçonnée par l'UE de faire du «cherry picking». Le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, n'a pas manqué de critiquer l'attitude de la Suisse dans une interview donnée récemment aux journaux de CH Media.
Le Conseil fédéral a reconnu que la Suisse ne peut pas se permettre de continuer à ignorer le sujet des économies d'énergie:
Simonetta Sommaruga a été encore plus claire dans la dernière édition du Sonntagsblick. Elle y a déclaré que la Suisse devrait, elle aussi, «se fixer un objectif d'économie d'énergie». Elle a qualifié la réduction de 15% proposée par l'UE comme «judicieuse» et n'a pas exclu la possibilité de s'en inspirer. Mais elle a tenu à préciser:
Ce serait bien qu'il le fasse dès mercredi, lors de sa première séance de la rentrée.
Sur le plan géopolitique, Vladimir Poutine exploite la dépendance allemande et européenne au gaz russe. Le groupe Gazprom a réduit l'approvisionnement par le gazoduc Nord Stream 1 à 20% de la quantité transmise habituellement.
Les Allemands — et indirectement la Suisse — pourraient toutefois s'en tirer à bon compte, le remplissage de leurs réservoirs de gaz semblant progresser rapidement malgré des livraisons limitées. Si la quantité actuelle de gaz livrée est maintenue, l'objectif légal de 95% pourrait être atteint au 1er novembre. Les autorités estiment que dans ces conditions et si l'hiver est «normal» en termes de températures, il n'y aura pas de pénurie de gaz.
Mais il est aussi possible que Poutine bluffe, car la dépendance est réciproque. La Russie ne peut pratiquement exporter son gaz que vers l'ouest, les pipelines vers l'Extrême-Orient faisant défaut, tout comme les capacités de production de gaz liquide. Et Poutine pourrait bien avoir besoin de cet argent pour remplir son trésor de guerre et atténuer les conséquences des sanctions économiques.
En matière d'électricité, la Suisse est, à première vue, dans une situation plus confortable. Elle est en grande partie autosuffisante grâce à l'énergie hydraulique et aux centrales nucléaires, et il existe un plan d'économie élaboré. Néanmoins, il n'est pas exclu que la situation puisse devenir critique en hiver, et cela n'a qu'un rapport limité avec la guerre en Ukraine.
Car en raison de la sécheresse, les niveaux de remplissage des barrages risquent d'être bas. En hiver, lorsque se scénario se produisait jusqu'à présent, la Suisse avait l'habitude de compenser cette perte par une importation d'électricité étrangère, notamment du nucléaire français.
Mais cette année, celles-ci ne sont pas assurées, plusieurs centrales nucléaires de l'Hexagone ayant été arrêtées en raison de dommages dus à la corrosion. Si une centrale nucléaire suisse en venait à tomber en panne une fois ces conditions remplies, la situation pourrait rapidement devenir critique.
Werner Luginbühl, président de la Commission de l'électricité (Elcom), n'a pas hésité à recommander à la population de faire des réserves de bougies et de bois de chauffage face à la menace de coupures de courant, dans une interview à la NZZ am Sonntag.
Le Conseil fédéral est conscient que la situation est grave. «Et pas seulement depuis la guerre en Ukraine», a déclaré Simonetta Sommaruga dans les colonnes du SonntagsBlick, comme pour enfoncer le clou.
Mais le tournant énergétique n'avance que trop lentement et le Conseil fédéral pourrait bientôt être pressé de prendre des décisions fermes et claires dans le domaine de l'électricité. Il ne suffira alors plus de proposer quelques campagnes de sensibilisation...
Traduit et adapté par Alexandre Cudré