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Avion de combat: et à la fin, ce sont les Américains qui gagnent?

Le F-35 américain de Lockheed Martin.
Le F-35 américain de Lockheed Martin. image: keystone, shutterstock, watson

Avion de combat: et à la fin, ce sont les Américains qui gagnent?

La décision du Conseil fédéral concernant l'avion de combat est proche. Le modèle retenu sera-t-il américain, comme le craint la gauche? Dans ce débat passionné, l'expert suisse en armement Alexandre Vautravers détaille les raisons qui président, selon lui, au choix d'une arme parmi les plus spectaculaires de l'arsenal militaire.
24.06.2021, 19:1025.06.2021, 17:37
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Avec l’avion de combat, le suspense est à son comble. Ces jours-ci ont l’intensité de ceux précédant la désignation des villes hôtes des Jeux Olympiques. Le Conseil fédéral, en ce moment, c’est le CIO. Ultimes coups de pression, fuites de dernière minute.

Deux médias alémaniques, Rundschau et la Neue Zürcher Zeitung, accordent une longueur d’avance au F-35, l’avion furtif de l’américain Lockheed Martin. Il aurait les faveurs de la cheffe du Département de la défense (DDPS), Viola Amherd. Au détriment des trois autres encore en lice: le Rafale du français Dassault, l'Eurofighter Typhoon de l'européen Airbus, le F/A-18 Super Hornet, également américain, de Boeing.

La décision doit tomber prochainement. «Avant la fin des deux premiers trimestres», précise, tout en restant vague, le service de communication du DDPS, joint par watson. Au plus tard le 30 juin, si l’on comprend bien.

Qui dit vrai?

Les jeux seraient-ils faits? La rumeur attribuant à Viola Amherd une préférence pour le F-35, la technologie la plus avancée parmi les quatre modèles se livrant bataille, dévoile-t-elle le fin mot ou vise-t-elle au contraire à relancer les chances d’un des concurrents? Il se dit que le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, serait favorable à un appareil européen. Afin de réparer la mauvaise impression créée par la rupture de l'accord-cadre.

F/A-18 Super Hornet. Payerne, 30 avril 2019.
F/A-18 Super Hornet. Payerne, 30 avril 2019.image: keystone

Mais se pourrait-il que la partie échappe aux Américains? Depuis 1976, ce sont eux qui équipent la chasse helvétique: les 110 chasseurs légers F-5 E Tiger, renforcés par l’acquisition de 34 chasseurs bombardiers F/A-18 Hornet, approuvée par le référendum de 1993. Nos Top Gun de la Broye et de la base de Dübendorf auraient un côté Yankee. Plus Ray-Ban que Vuarnet, en lunettes de soleil. Le commandement des Forces aériennes partagerait cette culture américaine, forgée par des décennies d'étroite coopération. Bref, les jeux du futur avion de combat de l’armée suisse seraient faits. Au profit, donc, du F-35 – les pilotes ne remercieront jamais assez le peuple d'avoir dit «non» en 2014 à cette brèle de Gripen, l'avion de chasse du pauvre.

Des stéréotypes?

Rédacteur en chef de la Revue militaire suisse, Alexandre Vautravers entend ces stéréotypes sur les Forces aériennes, supposément inféodées aux Etats-Unis, depuis trente ans au moins. «Ils ne font pas honneur à notre système d’évaluation des armements. Nous avons la chance d’avoir un pays où le débat est démocratique, dans lequel il est possible de choisir librement les équipements de notre armée. Ce n’est pas le cas en France, aux Etats-Unis ou ailleurs, où les choix sont souvent dictés par des coopérations militaires ou industrielles», affirme-t-il.

Alexandre Vautravers.
Alexandre Vautravers. image: Dr

Le spécialiste des questions militaires, dont la thèse de doctorat portait sur l’histoire de l’industrie suisse d’armement, ne conteste pas l’existence de liens entre les aviations suisse et américaine. «Comment n’y en aurait-il pas? Les Forces aériennes volent sur des appareils américains ou emploient des armements de ce pays depuis les années 1950: Mustang, missiles Sidewinder et Falcon, Tigre, Hornet... Mais ces attaches ne sont pas exclusives. On trouve autant de coopérations et de liens historiques avec la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et d’autres pays européens encore, nouées dans le cadre de formations ou d’exercices conjoints, ou encore de partenariats industriels», replace l'expert suisse.

«Les cadres d’une armée de milice penchent également en fonction d’affinités personnelles, des régions et des langues. Une part importante des officiers supérieurs lit et suit de près les choix et les expériences de l’Allemagne. D’autres s’intéressent aux coopérations opérationnelles rendues possibles avec la France», fait observer Alexandre Vautravers. La décision qui sera prise obéira à des critères techniques, politiques et économiques (les fameuses compensations pour les entreprises suisses).

A Rafale fighter jet is pictured during a test and evaluation day at the Swiss Army airbase, in Payerne, Switzerland, Tuesday, May 21, 2019. (KEYSTONE/Peter Klaunzer)
Un Rafale français en cours d'évaluation par l'armée suisse. Payerne, 21 mai 2019.image: keystone
«Le Rafale français a de bons atouts, mais il est moins facile de l’intégrer dans l'écosystème technologique et logistique actuel suisse ou européen»
Alexandre Vautravers

«La sélection d'un avion américain ne signifie pas pour autant un alignement sur les Etats-Unis, estime le rédacteur en chef de la Revue militaire suisse. Le F-35 américain et l’Eurofighter équipent déjà plusieurs flottes en Europe: l’Italie et la Grande-Bretagne engagent les deux modèles d’avion côte à côte.»

«Il est bien difficile de prévoir ce qui peut se passer dans les pays fournisseurs, au cours des trente prochaines années. Ainsi, il est rassurant de pouvoir se dire que d’autres nations partagent avec nous le même appareil. C’est important en termes d’accès aux technologies et aux pièces de rechange. Il ne faut pas perdre de vue que la signature d’un contrat nous lie pour des dizaines d’années à un constructeur et à un ou plusieurs pays», souligne l’expert en armement.

Le cas belge

Le Rafale, lui, est surtout présent au Moyen-Orient, en plus de la France. En Europe, pour l’heure, seules la Grèce et la Croatie ont passé commande, chacune d’une quinzaine de ces appareils, d’occasion dans le cas croate. Alors qu'on retrouve le F-35 américain, outre en Italie et en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Belgique.

Le cas belge retient l’attention. En 2018, la Belgique, cherchant à renouveler sa flotte de F-16 américains, a opté pour le F-35, au grand dam de Dassault, le constructeur du Rafale. «Quand la Belgique choisit le F-35, elle choisit un parapluie de défense américain plutôt que franco-allemand», relevait à l'époque un spécialiste d’aéronautique militaire, cité par le site de BFM.

Alexandre Vautravers apporte d’autres raisons au choix belge. «Les forces armées de la Belgique et des Pays-Bas sont sous-critiques, trop petites pour pouvoir opérer seules, et sont donc profondément intégrées». Que s’est-il passé? «Les Néerlandais ont commandé trop de F-35, afin de garantir un prix unitaire le plus bas possible. Si bien que la Belgique a subi de fortes pressions de son voisin pour reprendre les appareils excédentaires. Mais il est vrai par ailleurs que l’industrie belge d’armement est aujourd’hui majoritairement entre les mains de sociétés américaines.»

Le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU). Berne, 2 décembre 2020.
Le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU). Berne, 2 décembre 2020.image keystone

En Suisse, le Groupe pour une Suisse sans armée a annoncé tenir prêtes deux initiatives populaires. Elles s’opposeraient soit au choix du F-35, soit à celui du nouveau F/A-18, deux appareils américains. «Le F-35, que certains disent favori, n’est pas adapté à notre ciel. Il est trop lourd, pas assez maniable», affirme le conseiller national Pierre-Alain Fridez (PS/JU), membre de la Commission de politique de sécurité.

«De plus, c’est un avion qui nous lie aux Etats-Unis, or la Suisse doit se lier à l’Europe, reprend le député jurassien. Nous savons très bien que notre neutralité n’est qu’une façade et que notre aire de coopération s’appelle l’Otan. Mais au moins soyons-y européens. » Verdict dans les jours qui nous séparent de la fin juin.

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