Les Transports publics genevois (TPG) ont-ils enfreint la loi cantonale sur la laïcité? Photographié vendredi dernier dans le quartier de la gare, l’arrière d’un bus de la ligne 19 arborait en grand une affiche portant l’inscription religieuse suivante: «Tu es le Dieu qui me voit». Tirée de la Genèse, premier livre de l’Ancien Testament, cette citation, accompagnée de la mention «La Bible», occupait un espace habituellement dévolu à la publicité. De fait, c’est une publicité. En l’espèce, pour la foi en Dieu et le christianisme.
Publiée sur Facebook par une abonnée du réseau social, la photo de cette pub religieuse en lettres jaunes sur fond bleu a «choqué» pas mal de monde. Certains, en effet, y voient du «prosélytisme» (action visant à recruter des fidèles), dont les TPG, une régie autonome de droit public, se feraient les «complices».
Or l’article 3 alinéa 2 de la loi sur la laïcité de l’Etat (LLE, entrée en vigueur le 26 avril 2018 dans le canton de Genève) interdit «toute forme de prosélytisme» de la part des pouvoirs publics et de leurs agents, tenus à la «neutralité» en matière religieuse. Pour Pierre Conne, député au Grand Conseil et vice-président du Parti libéral-radical de la ville de Genève, «cette publicité contrevient clairement à la loi».
Le client à l’origine de cette communication religieuse est l’Agence C, domiciliée à Lyss, dans le canton de Berne. A dominante évangélique, spécialisée dans la diffusion de messages bibliques, elle existe depuis une quarantaine d’années. «Nous sommes présents avec nos affiches dans vingt-cinq villes de Suisse», affirme son président, Peter Stucki, joint par watson.
Nous lui faisons part de la loi genevoise sur la laïcité. Notre interlocuteur n’en tient pas compte:
Réplique du député PLR genevois Pierre Conne:
En 2018, à Bienne la bilingue, l’Agence C avait habillé des bus municipaux de divers messages bibliques. Le conseiller de ville Mohamed Hamdaoui, un militant laïque alors inscrit au Parti socialiste, s’était opposé à cet affichage, sans toutefois réussir à le faire ôter. Il avait déposé un postulat, dans lequel il dénonçait un prosélytisme bénéficiant d'un support public.
A l’appui de son postulat, Mohamed Hamdaoui faisait alors valoir le cas de figure où des militants du Conseil central islamique suisse, une association islamiste emmenée à l’époque par un Biennois, souhaiterait, elle aussi, apposer des messages de nature religieuse sur des bus de la ville.
A la différence du canton de Berne, celui de Genève est laïque. En acceptant la publicité religieuse de l’Agence C, les TPG ont-ils ignoré la loi cantonale? La régie s’en défend:
Dans l’affaire, c’est la régie publicitaire TP Publicité SA, partenaire des TPG, qui a traité avec l’Agence C, le client. Tout a été fait selon les règles en vigueur, comprend-on. La campagne avec pour slogan «Tu es le Dieu qui me voit» a été validée par TP Publicité SA «en accord avec son conseil d’administration et en conformité avec ses clauses de déontologie», explique François Mutter, le porte-parole des TPG.
Jointe par watson, Céline Amaudruz, conseillère nationale genevoise membre de l’UDC, présidente du conseil d’administration de TP Publicité SA et vice-présidente du conseil d’administration des TPG, invoquant un devoir de réserve, n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
Une question se pose particulièrement: qui, des TPG, de TP Publicité SA ou de l’Agence C de Lyss a pris l’initiative de cette campagne publicitaire de nature religieuse? Le porte-parole François Mutter dit «[ne pas disposer] de [cette] information, qui relève en l’occurrence du secret des affaires (…).»
L’affaire en restera-t-elle là? Le député Pierre Conne pourrait déposer une interpellation auprès du Conseil d’Etat lors de la prochaine session du Grand Conseil, qui s’ouvre dans deux semaines. La Libre-Pensée romande, qui lutte contre l’expansion du religieux, pourrait entamer une action en justice contre cette campagne publicitaire, «si nous avons assez d’argent et d’énergie pour le faire», confie son président, Thierry Dewier.
Mais c’est au Conseil d’Etat que ce «bus gate» sera peut-être tranché d’une façon ou d’une autre. Sollicité lundi matin par e-mail, le président de l’exécutif cantonal genevois, Mauro Poggia a répondu à watson par la voix du directeur de la coopération et de la communication, Laurent Paoliello:
Critique des «extrémistes de la laïcité», le député socialiste au Grand Conseil genevois Sylvain Thévoz estime que la campagne publicitaire en question «ne relève pas de loi sur la laïcité».
A l’époque, chargé du suivi de l’élaboration de la loi sur la laïcité pour le Département de la sécurité, André Castella n’est pas certain que la publicité contestée par les tenants d’une stricte application de ce texte introduit en 2018 soit illégale.
Et si, par exemple, une association musulmane du canton de Genève souhaitait à son tour publier un message religieux à l’arrière d’un bus des TPG, une éventualité soulevée par des Genevois opposés à l’actuelle campagne chrétienne de l’Agence C?
Ancien pasteur de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, devenue temple protestant à la Réforme, Vincent Schmid plaide pour le «respect de la loi sur la laïcité ».
La campagne publicitaire que s’est offerte l’Agence C dans le canton de Genève avec l’accord des TPG était-elle un ballon d’essai? C’est finalement bien tard qu’elle aura suscité la controverse. Présente sur un seul bus des TPG, elle se promène dans le canton depuis près d’un an. Elle est, en effet, apparue le 3 novembre dernier. Et c’est le 1er novembre prochain qu’elle prendra fin. Pour toujours?