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Réquisition de matériel civil: l'armée anticipe une guerre en Suisse

Le commandant de corps Thomas Süssli, chef de l'armée. Berne, 13 avril 2022.
Le commandant de corps Thomas Süssli, chef de l'armée. Berne, 13 avril 2022.image: keystone
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Réquisitions de matériels civils: l'armée anticipe une guerre en Suisse

Le chef de l'armée suisse, Thomas Süssli, demande à ses services d'examiner s'il y a lieu de réviser la loi militaire. Dans le but de réquisitionner des moyens civils, entre autres logistiques, en cas de conflit. A l'origine de cette démarche, le retour de la guerre en Europe.
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21.06.2022, 06:0421.06.2022, 12:00
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Lundi 13 juin, le commandant de corps Thomas Süssli a demandé au chef de l’état-major de l’armée, le divisionnaire Jean-Paul Theler, d’examiner s’il y a lieu de réviser la loi militaire pour pouvoir procéder à des réquisitions de matériels civils, a appris watson. «Le retour de la guerre en Europe est à l’origine de cette initiative», explique le porte-parole de l’armée, Daniel Reist, qui confirme l’information.

«On nous a dit ou nous avons cru pendant 30 ans que la guerre sur le sol européen ne serait plus possible. Le conflit en Ukraine nous démontre le contraire»
Daniel Reist, porte-parole de l’armée

La demande porte sur l’article 81 de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire. Cet article vaut pour le «service actif», autrement dit le recours à l’armée en cas de péril. En clair: en cas de conflit ou de guerre imminente. Cette disposition légale permet à l’armée de «décréter l’exploitation militaire:

  • des entreprises privées chargées de tâches publiques, à l’exception des entreprises de transport titulaires d’une concession fédérale;
  • des établissements et exploitations militaires.»

Il s’agit de voir ce qu’autorise exactement la loi. Serait-il possible pour l’armée de réquisitionner d’autorité tout bien nécessaire à sa mission de guerre? C’est ce que le commandant de corps Süssli veut savoir.

Mais de quels matériels parle-t-on? Des camions, des engins de chantier, des bus. En gros, tout ce qui touche à la logistique, à l’approvisionnement, tout ce sans quoi une guerre ne peut être menée.

Des bus de Lausanne pour mener au front à Saint-Gall

L’idée maîtresse de cette réflexion est de soulager l’armée d’une partie des tâches logistiques, afin qu’elle puisse se consacrer pleinement à sa mission première, avec l'ensemble de ses matériels, aux endroits où elle est engagée.

Julien Grand, rédacteur en chef adjoint de la Revue militaire suisse, joint par watson, imagine le cas de figure suivant:

«Le front militaire est situé du côté de Saint-Gall, à l’est de la Suisse. Plutôt que d'utiliser du transport militaire pour acheminer du matériel, ainsi que des troupes de Genève et Lausanne vers le front, on réquisitionnerait des moyens de transport civils, de même qu'on ferait appel à des chauffeurs qui pourraient être eux aussi des civils.»
Julien Grand

D’autres aspects devraient être réglés, tel que le statut juridique des civils tenus de coopérer ou se portant volontaires, relève Julien Grand:

«En cas de capture par l’ennemi, les civils ne bénéficient pas de la protection accordée aux soldats par les conventions de Genève»
Julien Grand

«On le voit actuellement en Ukraine, chez les pro-Russes, avec ces procès accompagnés de sentence de mort contre des volontaires civils engagés auprès des militaires ukrainiens, poursuit Julien Grand. Il conviendrait par conséquent de garantir aux civils embarqués comme supplétifs dans un conflit la protection juridique dont bénéficient les militaires.»

Faudra-t-il changer la loi sur l’armée et l’administration militaire ou pourra-t-on passer par voie d'ordonnance, ce qui est politiquement plus simple? C’est ce que la mission confiée par le chef de l’armée au divisionnaire Jean-Paul Theler devra déterminer.

La loi actuelle donne déjà une grande latitude à l’armée en cas de conflit. La coopération entre militaires et civils est au principe même de l’armée de milice. «La pandémie de Covid-19 a vu l’armée, le service civil et la Rega (réd: la garde aérienne de sauvetage) pleinement coopérer», rappelle le porte-parole de l’armée, Daniel Reist. Mais tout n’est pas forcément très clair en termes légaux, ni adapté aux enjeux actuels. Car il s’agit, comprend-on, de considérer à nouveau la guerre comme une perspective possible pour la Suisse.

L'armée française veut aussi réquisitionner chez les civils

La réflexion engagée par l’armée suisse coïncide avec une démarche de ce type à l’œuvre en France. Le 13 juin, le jour où le commandant de corps Süssli chargeait le chef de l’état-major de l’armée de lancer une prospective dans le domaine en question, le quotidien Le Monde informait que «le ministère de la défense réfléchit à réquisitionner du matériel du secteur civil pour refaire ses stocks d’armes», et ce, au moyen d’une loi.

La guerre en Ukraine est un coup d’accélérateur à des réflexions qui relevaient jusqu’ici du cas théorique. A présent, les armées et les gouvernements entrent dans la pratique.

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