Une équipe de TF1 devait venir en reportage à la piscine de Porrentruy ce lundi 7 juillet. «Vu le temps pourri annoncé pour aujourd’hui, je leur ai proposé de repousser à jeudi, il devrait faire à nouveau beau et chaud», raconte Philippe Eggertswyler, le maire de cette ville jurassienne dont tout le monde parle en Suisse et en France.
Début juillet, à la majorité de ses sept membres, l’exécutif bruntrutain votait une mesure peu banale, qui interdit aux étrangers sans permis d’établissement ou de travail en Suisse, touristes exceptés, la fréquentation de la piscine municipale. En cause: des incivilités commises par des «bandes» venues de France voisine.
Jeudi 10 juillet, la première chaîne de télévision française TF1 est donc attendue à Porrentruy. Le même jour, le maire devrait recevoir dans son bureau de l’Hôtel de Ville à la belle façade baroque XVIIIe, la visite de Matthieu Bloch, le député de la troisième circonscription du département voisin du Doubs, qui comprend Montbéliard, une ville avec ses petites cités à problèmes. «Il souhaite me rencontrer», affirme Philippe Eggertswyler, 56 ans, allure svelte, vêtu d’un jean et d’un sweat-shirt. Matthieu Bloch appartient au groupe UDR, qui s'est séparé du parti de droite Les Républicains pour faire alliance avec le Rassemblement national aux élections législatives anticipées de 2024.
En France comme en Suisse, depuis quelques jours, c’est l’emballement. La première interdiction de piscine frappant les «étrangers», prise en 2020 par la même municipalité, pour les mêmes raisons, n’avait pas provoqué un tel émoi.
Lundi soir à Paris, l’ambassadrice de Suisse, Tania Cavassini, donnait une réception. Le député Matthieu Bloch, vice-président du groupe d’amitié franco-suisse à l’Assemblée nationale, devait y assister, a indiqué son entourage à watson. L'affaire de la piscine de Porrentruy, qui n’est pas sans conséquences diplomatiques et qui a fait réagir en Suisse la Commission fédérale contre le racisme, devrait être abordée à cette occasion. Elle le sera à coup sûr ce mardi par les groupes d’amitié franco-suisse de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui se réunissent fort à propos.
Dimanche soir, CNews interviewait en duplex Lionel Maitre, le responsable politique espace-loisirs du Syndicat intercommunal du district de Porrentruy (SIDP) et à ce titre partie prenante dans la décision concernant la piscine. Le plateau de cette chaîne française classée à l’extrême droite buvait du petit lait en écoutant ce représentant de la démocratie suisse, où tout semble être plus simple qu’en France.
«Comment appelez-vous ces jeunes venus de France et qui se comportent mal?», demandait l’animateur. «Des délinquants, la racaille», répondait du tac-à-tac Lionel Maitre, par ailleurs maire de Boncourt, à la frontière française – le terme «racaille», s’il a de tout temps désigner la «mauvaise graine», décrit depuis quelques années de façon généralement stigmatisante et à mot couvert les «Noirs» et les «Arabes» de banlieue au comportement violent.
Dans cette affaire, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment médiatique. Mais pour Philippe Eggertswyler, il n’y a pas d’ambiguïté, «parce qu’il n’y a ni xénophobie, ni racisme, dans notre décision».
Philippe Eggertswyler l'assure:
La semaine dernière, Lionel Maitre avait renseigné watson sur ces comportements prohibés: harcèlement, violences verbales et physiques, baignades en sous-vêtement, etc. Philippe Eggertswyler cite de son côté le cas d’une famille revenant de baignade et qui ne retrouvait plus ses affaires, déplacées ailleurs par ces jeunes devenus indésirables. Sur la vingtaine d'individus appréhendés, la quasi-totalité provenait de France voisine, avec un profil «issus de l'immigration».
Elu PCSI, le Parti chrétien-social indépendant, émanation de l'ex-PDC, Philippe Eggertswyler ne voulait pas transformer la piscine de Porrentruy en une espèce de camp sous surveillance, «avec des maîtres-chiens patrouillant dans l’enceinte du bassin et des fourgonnettes stationnées à l’extérieur».
Le maire rejette les leçons de morale. «Dans le civil, je suis éducateur et je dirige un établissement accueillant justement des jeunes aux comportements parfois violents. Par expérience, je sais qu’un éducateur seul ne peut rien face à des phénomènes de bande, de meute, comme ceux que nous avons constatés à la piscine. Dans notre métier, la prévention est capitale, mais il faut aussi parfois réprimer en disant tout simplement non.»
A une quinzaine de kilomètres de Porrentruy, Delle, en France, face à Boncourt, le garde-manger des frontaliers suisses, tout y est abondant et moins cher. A La Voinnaie, un quartier populaire où se sont installées il y a une cinquantaine d'années des familles immigrées venues travailler en France, Viviane, la cheffe, et Mourad, son adjoint, veillent sur le Club Ados, une structure d’accueil destinée aux adolescents. Il faut insister pour qu’ils veuillent bien s’exprimer sur la situation. «On est apolitique et laïque, j’insiste sur laïque», affirme Viviane.
Parmi les ados rassemblés ce lundi matin au Club Ados, des têtes brunes et des têtes blondes. On croit comprendre que les piscines sont des lieux à éviter ou dont on n'est jamais sûr de leur ouverture au public en raison des incivilités, un phénomène généralisé en France. Alors l’été, pour les baignades, les jeunes de La Voinaie vont à la base de loisirs de Brognart ou à celle de Malsaucy, toutes deux situées dans les environs. Mais le «clou», cette année, sera la semaine de vacances au Parc des Eaux-Vives, à Huningue, en Alsace. Tous s’en réjouissent.