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La bataille contre l'achat de l'avion de combat F-35 est lancée

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image: keystone/shutterstock

La mère des batailles contre l’achat du F-35 est lancée

L'initiative populaire contre l'acquisition de l'avion de chasse américain F-35 sera officiellement lancée mardi à Berne par le Groupe pour une suisse sans armée et ses alliés de gauche. Quelle sera la riposte du Conseil fédéral? Le combat qui commence s'annonce mémorable.
28.08.2021, 08:0629.08.2021, 17:26
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Une nouvelle bataille du ciel commence en Suisse. Parions qu’elle sera mémorable. D’un côté, les partisans de l’avion de combat F-35, choisi fin juin par le Conseil fédéral pour remplacer la flotte vieillissante des F/A-18. De l’autre, les opposants à cet achat, décidé mais non encore acté. Ce sont eux, les opposants, qui engagent les hostilités. Leur arme: l’initiative populaire.

Les premiers à tirer sont les socialistes. Réunis en congrès samedi à Saint-Gall, ils ont apporté leur soutien à un texte appelant les Suisses à dire «non» à l’appareil militaire américain. Une mise en bouche qui sera suivie, mardi, à Berne, du lancement officiel de l’initiative. A la manœuvre: le Groupe pour une Suisse sans armée (GSSA) et ses alliés, les partis de gauche, le PS et les Verts.

La guerre des horloges

Sur la ligne de départ, deux concurrents, deux timings: le Conseil fédéral, qui soumettra l’an prochain aux Chambres un crédit de six milliards de francs pour l’acquisition de trente-six F-35; les initiants, qui devront récolter un minimum de 100 000 signatures dans un délai imparti de dix-huit mois.

Voilà pour la théorie. En pratique et à compter du mardi 31 août, les initiants vont devoir très vite marquer les esprits. Comment? En montrant que leur initiative fait un «carton» parmi les citoyens.

«Nous avons déjà reçu 80 000 promesses de signatures. Bien sûr, les promesses doivent à présent se concrétiser»
Thomas Bruchez, secrétaire romand du GSSA

Mais 80 000, avant même le lancement de la récolte, est un nombre impressionnant. A 20 000 du seuil exigé. Les anti-F-35 seront-ils aussi vernis que les référendaires opposés au pass sanitaire (180 000 paraphes réunis en trois mois)? Pourront-ils déposer leur initiative à la Chancellerie fédérale avant Noël?

«Nous n’avons pas l’intention d’attendre la fin de la récolte des signatures pour les faire valider auprès des communes. Nous les leur enverrons au fur et à mesure, afin que tout aille plus rapidement», explique Thomas Bruchez. Le secrétaire romand du GGSA admet sans difficulté les aspects psychologiques de l’enjeu. Des questions se posent. Serait-il judicieux de soumettre au peuple et aux cantons une initiative au terme d’une campagne poussive? Pire, dont l’étape de la récolte des signatures se serait achevée après et non pas avant le vote du parlement, lequel confirmera sans doute le choix de l’exécutif en faveur de l’avion américain?

Même pas peur

Prenons la température du camp adverse, favorable au F-35. Tout est affaire de timing, là aussi. «J’ai parlé avec le Conseil fédéral. Il n’attendra pas de voir dans quel sens tourne le vent de la campagne anti-F-35 pour agir de son côté», affirme le conseiller aux Etats UDC bernois Werner Salzmann, vice-président de la commission parlementaire de la politique de sécurité, qui la présidera l’an prochain.

«Le Conseil fédéral procédera dans les temps, poursuit Werner Salzmann. Il y aura d'abord la réception par les parlementaires du message de l’exécutif relatif à l’achat des F-35. Ensuite viendra le vote des Chambres. Tout cela se passera en 2022. D’après ce que je sais, le Conseil des Etats votera en premier, lors de la session d'été, le Conseil national en deuxième, à la session d’automne.»

«C'est le meilleur»

L’achat de F-35 pourrait donc être entériné par le parlement en septembre de l'année prochaine. Werner Salzmann est un chaud partisan de l’avion américain: «La procédure d’évaluation a montré que c’était le meilleur appareil, tant sur le plan technique que sur le plan financier», déclare-t-il. Mais ce sénateur est aussi un ferme défenseur des droits populaires – là-dessus, l’UDC ne peut se déjuger. Par conséquent:

«Même si le parlement approuve l’acquisition de F-35, il est important que le dernier mot revienne au peuple, puisqu’initiative il y a et qu’elle aboutira sans doute. Le Conseil fédéral ne signera pas le contrat tant que la décision populaire ne sera pas tombée.»
Werner Salzmann

Tout cela est-il bien constitutionnel et légal?

La situation est peut-être inédite: une initiative populaire, de portée constitutionnelle, entend «détruire» une œuvre non seulement parlementaire (l’augmentation de 1,4% du budget de l’armée en vue de l’achat de nouveaux avions de combat), mais aussi populaire (le vote favorable, certes ric-rac, à cette acquisition de principe, lors du référendum du 22 septembre 2020). Est-on encore ici dans l’esprit de la Constitution suisse?

«Oui», répond Pascal Mahon, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Neuchâtel.

«Ce que le peuple fait, le peuple peut le défaire. Juridiquement, rien n’interdit de remettre l’ouvrage sur le métier six mois plus tard. Et puis, il n’y a pas de limite à ce qu’on peut mettre dans la Constitution. A l’exception de mesures qui violeraient ce qu’on appelle le droit international impératif, ou jus cogens, à savoir le droit de pratiquer la torture, par exemple.»
Pascal Mahon, professeur de droit constitutionnel

Seule condition à observer: l’unité de matière et l’unité de forme, rappelle Pascal Mahon. «On ne pourrait ainsi pas voter sur une réduction de moitié des dépenses militaires et en même temps sur l’affectation de l’économie réalisée à l'AVS. En effet, toutes les personnes favorables à la réduction de moitié des dépenses militaires ne seraient peut-être pas d’accord avec la deuxième proposition.»

Chasser un mauvais souvenir...

Ce point de droit a retenu toute l’attention des rédacteurs de l’initiative anti-F-35. «Nous nous souvenons qu’une initiative du Parti socialiste qui demandait de diviser par deux le budget de l’armée pour en consacrer une moitié à l’humanitaire avait été invalidée dans les années 90 car ne répondant pas à l’obligation d’unité de matière», abonde Thomas Bruchez.

Le présent texte du GSSA s’opposant à l’achat de F-35 se veut donc clair tout en restant ouvert sur l’usage des six milliards. «Notre initiative dit: non au F-35 et adaptation du budget de l’armée en conséquence», précise le secrétaire romand du GSSA.

Enfin, est-il légal de soumettre au vote des Suisses un objet se rapportant à une décision d'ordre budgétaire (l'augmentation de 1,4% de l'enveloppe accordée à l'armée)? Pour l’UDC Werner Salzmann, ce n’est pas clair, du moins dans le cadre d’un référendum. Or nous sommes ici en présence d’une initiative populaire, de nature constitutionnelle. «Même si nous avons un doute, nous laisserons la procédure populaire aller au bout», promet le conseiller aux Etats bernois.

Le GSSA, auxiliaire de l'armée?

Le GSSA et les partis de gauche, opposés au F-35, un appareil auxquels ils trouvent de nombreux défauts, dont celui d’être américain, entament une partie de poker. L’environnement national et international – notamment afghan – leur sera-t-il favorable? Défavorable? En se mêlant du choix d’un avion de combat, ne deviennent-ils pas des auxiliaires de l’armée, eux les antimilitaristes?

Les initiants savent qu'ils trouveront du soutien chez une partie de leurs adversaires habituels, au centre comme à droite, et jusqu'au sein de l'institution militaire. Chez tous ceux qui auraient préféré que le Conseil fédéral choisisse l'Eurofighter ou le Rafale français, plutôt que le F-35. Chez tous ceux qui veulent couper le cordon atlantiste avec les Etats-Unis.

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