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Covid et vaccination: «Nous vivrons un choc des libertés»

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«Nous vivrons un choc des libertés: les vaccinés contre les non-vaccinés»

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Assouplissements, vaccins, variants, sciences, politique, voyages. En cette période de transition pandémique, nous avons tenté de dresser un bilan Covid en compagnie du médecin et rédacteur en chef de la Revue médicale suisse Bertrand Kiefer. Vous voulez la bande-annonce? Delta ne sera pas le dernier variant.
05.07.2021, 05:4705.07.2021, 10:06
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Question triviale pour commencer: la Suisse a-t-elle bien fait d’ouvrir quasiment toutes les vannes pour l’été?
Bertrand Kiefer: Les autorités ont été un peu trop euphoriques à mon goût. Il ne faudrait surtout pas faire passer le message que le Covid est derrière nous. Il suffit d’observer ce qui se passe dans le reste du monde avec le variant Delta. La Suisse doit s’attendre à des difficultés, cet été déjà, et devra réagir vite, si elle ne veut pas se retrouver face à une nouvelle situation hors de contrôle.

Le Conseil fédéral nous a pourtant souhaité de bonnes vacances, comme en 2020 à la même période...
Et, à mon avis, c’était un peu tôt et avec des assouplissements un peu trop larges. Mais il faut rappeler que le Conseil fédéral ne décide pas tout seul, qu'il subit des pressions, notamment politiques et économiques. Il faut absolument garder à l'esprit que c’est le virus qui dicte sa loi et son agenda aux autorités, et non l’inverse. En clair, nous devons suivre la réalité de la pandémie et non nos rêves de passer à autre chose.

«Ce qui est sûr, c’est que si toute la population se vaccinait, nous serions vraiment sereins»

Tout miser sur la vaccination, il n'y a vraiment que ça pour voir l'avenir sereinement?
Traquer les clusters et agir au moindre frémissement des courbes fait encore partie de la stratégie pour maîtriser la pandémie, mais le vaccin est d’une importance capitale. Si on observe l’évolution du virus en Israël par exemple, quasi tous les cas graves se développent au sein de la population non-vaccinée.

Parmi les non-vaccinés, il n’y a pas que des anti-vax idéologiques, mais aussi ceux qui craignent les symptômes…
Les effets secondaires d’un vaccin touchent des humains qui ne sont pas malades. C’est pour cela qu’on focalise notre attention sur chaque petite réaction et qu’on en parle autant. Cela dit, ils sont très rarement graves. J’avoue même être fasciné par le peu de symptômes observés. Il faut dire qu’en Suisse nous avons la chance de n’utiliser que des vaccins de dernière génération, comme Moderna ou Pfizer. En comparaison, les vaccins qui se fabriquent à l’ancienne, avec des adjuvants, type vaccins chinois, provoquent des effets secondaires autrement plus ennuyeux. Les vaccins à ARN sont très sûrs, on peut le dire de manière claire avec le recul de centaines de millions de doses injectées.

Il n’y a presque plus de mesures anti-Covid désormais. «Presque». Après avoir protégé les personnes âgées et les enfants, on protège qui avec ces dernières mesures?
On protège précisément ceux qui ne sont pas encore vaccinés et, par extension, notre système de santé et notre économie. Ce sont les personnes non vaccinées qui vont engorger les hôpitaux en cas de rebond du virus. Et, étant donné que le variant Delta est très contagieux, nous risquons une énième vague. Ce qui nous attend pourrait être collectivement difficile à vivre:

«Le choc entre deux libertés. Celle de ne pas vouloir se faire vacciner et celle de ne pas se voir imposer de nouvelles mesures, alors qu'on a participé à l'effort collectif que représente la vaccination»

Car, évidemment, et heureusement, notre système de santé va continuer à soigner tout le monde. Nous n’allons pas abandonner les personnes malades au prétexte qu’elles ont refusé le vaccin. Mais le pays va au-devant de grosses tensions sociales. Les vaccinés se plaindront des mesures restreignant leur liberté, à cause des non vaccinés, et des coûts qu’ils engendrent. Et ceux-ci n’admettront probablement pas que le risque de développer une forme grave de la maladie et d'engorger les hôpitaux vient d’eux.

Mais avec ces «presque» plus de mesures, doit-on s'attendre à une «normalité» restreinte permanente?
Il faut absolument refuser toute surveillance inutile et intrusive. La vie n’a pas de sens sans liberté et, pour prendre un exemple concret, le modèle chinois doit nous servir de repoussoir. Mais prenez l’état dans lequel le Brésil se trouve aujourd’hui – un pays qui n’a quasiment rien fait pour combattre le virus – on assiste à la destruction de sa société. C’est une véritable catastrophe. Ce qui est sûr néanmoins, c’est que l’humanité a définitivement perdu une certaine naïveté. On ne reviendra pas à la sérénité qu'on a pu tutoyer dans les années quatre-vingt. Les maladies émergentes de toutes sortes vont augmenter. Nous vivons dans une société interconnectée et nous détruisons des écosystèmes, ce qui nous met en contact avec de nouveaux virus. Sans compter qu’on ne sait pas comment va évoluer le Covid, alors qu’on fait si peu pour aider les pays pauvres à se vacciner. De nouveaux variants vont encore apparaître, peut-être plus dangereux.

Il n’est pas rare d’entendre une même bouche épingler l’exagération des mesures et craindre l’agressivité du nouveau variant. Pourquoi ce paradoxe?
Ce paradoxe est profondément ancré dans la nature humaine. Nous avons tous un fond d’espoir et un fond d’inquiétude qui s’entrechoquent quand nous sommes face à une réalité nouvelle et dont la maîtrise nous échappe. Il n’y a pas que les gouvernements qui oscillent entre action volontariste et relâchement, entre le réalisme pénible et l’optimisme du bout du tunnel enfin atteint: tout le monde a un peu tendance à ce balancement de l’humeur et du regard.

Les scientifiques sont plus que jamais la cible de l'opinion publique en cette transition pandémique. Pourquoi tant de haine?
Les gens ont découvert très récemment que la communauté scientifique n’est pas une machine parfaitement huilée. Ce n'est pas la Science avec un grand «S», mais la science en pleine pandémie. Il y a des failles, des egos, des erreurs et aussi des scientifiques qui racontent n’importe quoi. Mais cette communauté est tout de même très solide. Cette surexposition médiatique n'a pas toujours été bénéfique.

Vous n'êtes pas épidémiologiste, pourquoi devrais-je vous croire?
(Il rigole) C’est vrai et c’est une très bonne question. Je me considère avant tout comme un scientifique généraliste qui passe son temps à lire ce qui se publie. Certains infectiologues ont eu parfois comme défaut de se barricader dans leur petit domaine de compétence, sans prendre en compte la pandémie comme un tout complexe. Il ne faut pas oublier qu'un scientifique, tout seul, a toujours un avis à lui. C'est ensemble que les scientifiques sont les plus utiles.

«Quand Alain Berset a dit «J’ai trop écouté les scientifiques», il a peut-être trop écouté certains scientifiques, mais pas la science»

A votre avis, a-t-on trop vite écarté ou muselé les scientifiques considérés ici et là comme étant farfelus?
Non, je ne crois pas. La communauté scientifique et la recherche sur le Covid sont internationales. Quand vous avez plus de 98% des scientifiques qui s’accordent sur une découverte, il me parait délicat d’offrir une place de choix à une voix discordante, simplement parce qu'elle est discordante. Bien sûr, on doit critiquer. Et il y a eu des controverses qui n’ont pas été toujours bien documentées. J’aurais par exemple préféré que les scientifiques du monde entier consacrent moins d’énergie à étudier l’hydroxychloroquine, sous toutes ses coutures et sous prétexte de sa médiatisation, pour se concentrer davantage sur d’autres médicaments potentiellement intéressants.

L’exemple de la contamination par aérosol est flagrante. Quand l'OFSP disait encore qu'une distance d'un mètre cinquante suffisait, la communauté scientifique internationale martelait déjà que la contamination par aérosol représentait un risque majeur. Daniel Koch n'y croyait pas à l'époque.

Bertrand Kiefer conseille-t-il à la population suisse de partir en vacances à l’étranger cet été?
Ah, ah. Moi je ne conseille rien à la population. Si on est vacciné, les risques sont minimes, même si la quarantaine peut être imposée au retour. En revanche, si l'on n’est pas vacciné, c’est dangereux. Surtout en période de flambée du variant Delta. Suivant dans quelle partie du globe on s’envole, une fois infecté, on risque de se retrouver coincé dans un pays où tout deviendra potentiellement très compliqué.

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