Suisse
LGBTIQ+

Coup de force LGBT à l'Uni de Genève: «Nous ne nous autocensurerons pas»

Intimidation LGBT à l'Uni de Genève: «Nous ne nous autocensurerons pas»

L'organisatrice de la conférence interrompue mardi livre son témoignage à watson. Nous avons aussi recueilli le point de vue de la coordinatrice du groupe LGBTIQ+ du Parti socialiste genevois.
19.05.2022, 20:1220.05.2022, 11:22
Plus de «Suisse»

Mardi soir, il n’y a pas que les fiches du conférencier Eric Marty qui ont été déchirées par des activistes LGBTIQ+. «Les miennes aussi», raconte l’organisatrice de la conférence, Nathalie Piégay, directrice du Département de français moderne de l’Université de Genève, où les faits se sont produits. Eric Marty, professeur à l’Université de Paris, invité à présenter son livre «Le sexe des modernes» (éditions Le Seuil), n’avait pas prononcé trois mots lorsqu’une «trentaine d’activistes masqués», rapporte Nathalie Piégay, ont fait irruption dans la salle Ferdinand-de-Saussure, située dans le bâtiment d’Uni Bastions.

«Il était 18h20, Eric Marty venait de se lever pour prendre la parole, moi, j’étais assise à côté de lui, à l’avant de la salle, face à une quinzaine de personnes venues écouter le conférencier», relate la directrice du Département de français moderne.

Les intrus étaient plus nombreux. «J'ai voulu entamer un dialogue avec eux, je leur ai proposé d’exposer leurs revendications, mais ils n’étaient pas là pour ça. Ils voulaient qu’on parte. Ce que nous avons fait vers 19h30. Entre-temps, ils avaient jeté de l’eau au visage d’Eric Marty, détruit ses fiches et les miennes, jeté par terre des exemplaires de son livre. Ils voulaient qu’on se "casse", nous disaient-ils.»

«De mon côté, j’ai surtout essayé de faire en sorte qu’on n’en vienne pas aux mains. Etant donné les éclats de voix, la sécurité est venue, mais elle n’est pas entrée dans la salle»
Nathalie Piégay

La directrice du Département de français moderne l’assure: «La conférence d’Eric Marty, dont le livre retrace cinquante ans d’histoire de la théorie du genre, passant en revue ceux qui l’ont nourrie, Jean Genet, Michel Foucault, Jacques Derrida, entre autres, n’était en rien une provocation. Qu’elle ait coïncidé avec la Journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie était totalement fortuit. La date de cette conférence, qui fait partie d’un cycle, avait été planifiée l’automne dernier déjà. Mais, je peux comprendre que cela ait pu être interprété comme une provocation.»

Nathalie Piégay pense que le rectorat, qui a décidé de déposer plainte contre inconnus au lendemain du coup de force, est dans son rôle.

«En ce qui me concerne, je suis soucieuse de maintenir un climat de travail serein, ouvert à la contradiction, sans intimidation. Je pense que la controverse est nécessaire à la vie démocratique et intellectuelle. Ella a par définition toute sa place à l’université. Je suis prête à rencontrer, à dialoguer avec des membres de la communauté trans, qui doivent admettre de leur côté qu’on doit aussi pouvoir entendre des propos avec lesquels on n’est pas d’accord.»
Nathalie Piégay

La journaliste et essayiste française Peggy Sastre affirmait mercredi dans watson que ces actions militantes distillent le poison de l’«autocensure». «Il n’y a pas le projet de s’autocensurer, affirme Nathalie Piegay. Nous allons continuer à travailler. Nous invitons les personnes selon nos projets d’études, pas en fonction des risques encourus.» Le Département de français moderne, dans son prochain cycle de conférences, pourrait-il inviter l’écrivain à succès Edouard Louis, coqueluche de la gauche radicale? «Bien sûr», répond sa directrice. Et réinviter Eric Marty?

Nathalie Piegay
Nathalie Piegay.Image: dr

Mais pourquoi cette colère?

Alors, pourquoi cette colère trans mardi, contre le conférencier Eric Marty, trois semaines plus tôt, à l'Université de Genève déjà, contre les psychanalystes Caroline Eliacheff et Céline Masson, qui, elles non plus, n'ont pas pu présenter au public leur ouvrage, «La Fabrique de l’enfant-transgenre» (éditions de L’Observatoire)?

Nous avons posé la question à Dorina Xhixho, la coordinatrice du groupe LGBTIQ+ du Parti socialiste genevois. Sa réponse:

Dorina Xhixho.
Dorina Xhixho.image: dr
«A mon avis, c’est parce que les autrices et auteurs de ces livres sont des personnes non concernées qui font en quelque sorte la leçon aux personnes qui ont un vécu de transidentité. Ces autrices et auteurs avancent ainsi des thèses ou hypothèses déconnectées de la réalité. Et cela, dans la logique des études de genre et féministes, se traduit par un malaise. Pour la raison que les LGBTIQ+, dont je fais partie, n’apprécient pas que la classe dominante leur dise ce qu’il faut dire et ce qu’il faut être, en leur envoyant parfois des tartes LGBTIQ+phobes dans la gueule.»
Dorina Xhixho

Pour autant, Dorina Xhixho, qui a suivi un master en études de genre à l'Université de Genève, ne cautionne pas l'intrusion, non dénuée de violence, mardi soir et il y a trois semaines, des activistes trans. «Je n’adhère pas à ce mode d’expression de la colère dans le cadre d’une institution comme l’université, même si c'était à l’occasion de la présentation d’ouvrages considérés comme transphobes par ces militants. Mais cela m’amène aussi à comprendre le malaise, encore une fois, dans lequel se trouve la communauté trans, qui ne dispose pas de suffisamment de canaux pour faire entendre sa voix par rapport aux violences vécues.»

«Ces intrusions témoignent d’une grande inquiétude chez les personnes trans»
Dorina Xhixho

La coordinatrice du groupe LBGTIQ+ du PS genevois prône la discussion:

«C’est en posant les choses qu’on a pu avancer à l’université sur les questions de genre, de l’identité et de l’orientation sexuelle. Sur la transidentité, il est important que les autrices et auteurs, écrivant sur ce sujet, s'enquièrent de la vie des personnes trans, tiennent compte de leurs points de vue avant de rédiger leur livre.»
Dorina Xhixho

Mais peut-on écrire en se sentant surveillé?

On a testé le filtre Snapchat «sad face» à la rédac!
Video: watson
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
Des élus veulent parler du mandat de la RTS avant de baisser la redevance
La commission du National refuse la proposition du Conseil fédéral de réduire la redevance radio-TV, préférant débattre de la concession et du service public.

La redevance radio-TV ne doit pas être abaissée pour l'instant. La commission compétente du National rejette le projet du Conseil fédéral. Elle veut d'abord discuter de l'étendue de la concession et du contenu du service public.

L’article