On le croyait définitivement enterré. Voilà qu'il ressuscite. Le nucléaire civil, cette énergie si décriée, redevient fréquentable. Certes, ses partisans, encore rares, émergent aux rangs de la droite, la souverainiste, mais aussi la libérale. Leur discours, en deux mots, avant d'entrer dans le détail des arguments: on s'est bercé d'illusions. Pour faire face au réchauffement climatique et aux pénuries programmées d'électricité, le nucléaire, qu'on l'aime ou non, est indispensable. Pour certains.
Quel retournement! Il y a quelques mois à peine, le conseiller national de l'Union démocratique du centre (UDC), Erich Hess, semblait bien seul. Seul avec sa motion demandant la suppression de l’article de loi qui interdit la construction de nouvelles centrales nucléaires. Certes, Magdalena Martullo-Blocher (la fille de) avait soutenu l’idée avec force dans la presse, mais le Conseil fédéral avait, lui, sèchement répondu: «Cette question n'est pas à débattre, le peuple a voté en 2017 la sortie progressive de l’énergie nucléaire».
Lundi soir dans le téléjournal de la Radio télévision suisse (RTS), la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s’est aussi montrée sceptique quant à la réouverture du débat sur le nucléaire civil en Suisse:
Et pourtant, sur ce sujet qui semblait tabou, le vent semble avoir tourné en quelques jours. Dans l'ordre:
#France2030, objectif 1.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 12, 2021
Réinventer le nucléaire. pic.twitter.com/uifI7piTC3
Ça fait beaucoup. Dès lors, se peut-il que ce qui était impensable il y a encore quelques mois redevienne aujourd'hui d’actualité? Le nucléaire est-il redevenu fréquentable? Malgré la catastrophe de Fukushima, au Japon, en 2011?
>> d’autres articles sur le bilan humain de la catastrophe ici et ici
Si les propos de l’élu valaisan ne préjugent pas de la position officielle de son parti, l’arrivée à la tête du PLR de l’Argovien Thierry Burkart après l’échec du virage vert du parti par sa prédécesseure, Petra Gössi, pourrait changer les choses. D'autant plus que le PLR était divisé avant le vote de 2017 sur la sortie progressive du nucléaire. En mai 2019, un sondage réalisé à l'intérieur de la formation libérale faisait ressortir une majorité de 56% favorable à la construction de nouvelles centrales.
Il évoque notamment les besoins de courant électrique découlant de l’électrification du parc automobile. Aussi, pour le PLR, le «non» de la population à l’initiative «Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire», en 2016, montre que la Suisse n’est pas tant opposée à l’énergie atomique.
Au Parlement, la droite aura besoin d’alliés autres que l’UDC pour donner corps à son ambition nucléaire. La chose semble pour l'instant très compliquée. Centre et Vert’libéraux restent fermement opposés à une réouverture du débat. «Depuis la votation de 2017, la question du nucléaire est réglée et rouvrir le débat n’est pas à l’ordre du jour. Nous devons trouver d’autres solutions grâce à la production d’énergies renouvelables et au développement des technologies de stockage», développe Christine Buillard-Marbach, conseillère nationale centriste fribourgeoise.
Le PLR et l’UDC peuvent toutefois compter sur le soutien de la puissante Fédération des entreprises suisses, economiesuisse.
Contactée, celle-ci prône le pragmatisme et le réalisme. «Il s’agit d’être pragmatiques et de regarder la réalité en face», déclare Cristina Gaggini, directrice romande d'economiesuisse.
La faîtière des entreprises rappelle son credo tout en sous-entendus: «Nous avons toujours insisté auprès du Conseil fédéral et du Parlement sur le fait que nous pouvions composer avec la sortie du nucléaire à une condition: avoir la garantie d’un approvisionnement en électricité permanent et à des prix compétitifs». economiesuisse semble penser que la condition posée n'est pas entièrement remplie.
Sans surprise, la gauche bondit à l'idée de voir pousser de nouvelles centrales nucléaires. L'écologiste genevoise Lisa Mazzone, conseillère aux Etats, voit dans ces annonces «une opération de communication manipulatrice».
Elle rétorque aussi à Philippe Nantermod: «Le nucléaire ne sera jamais une énergie verte. Il suffit de penser à l’uranium, une ressource limitée que nous n'avons pas en Suisse et qui produit, comme chacune sait, des déchets dont on ne sait pas quoi faire. Sans parler des risques encourus par les populations en cas d'accident».
Modifier la loi sur l’énergie nucléaire ne pourra pas se faire en un claquement de doigts. Il faudra d’abord trouver une majorité au Parlement – «ce qui n’est de loin pas impossible», dixit Philippe Nantermod –, puis affronter la population, un référendum paraissant inévitable. Dans quelles dispositions d'esprits seraient alors les Suisses? Nul ne le sait.