Une querelle est en train de prendre sur les réseaux sociaux. Aux frontières de l’Union européenne (UE), particulièrement en Pologne où affluent des milliers d’Ukrainiens fuyant la guerre, il y aurait les «bons réfugiés» et les «mauvais réfugiés». Les «bons» seraient les ressortissants ukrainiens, principalement des femmes et des enfants, chaleureusement accueillis en territoire polonais. Les «mauvais» seraient les migrants originaires d’Afrique et du Moyen-Orient, en butte à de multiples complications.
On se souvient qu’à la fin de l’année dernière, la Pologne avait repoussé des milliers de migrants, essentiellement des Kurdes, massés à sa frontière avec la Biélorussie. Allié de la Russie dans la guerre, le régime biélorusse autocrate entendait user de la pression migratoire contre son voisin polonais, en représailles à des sanctions de l'UE le frappant. La Pologne, elle, avait dressé un mur de barbelés pour empêcher l’entrée de ces migrants sur son territoire.
Au-delà du cas biélorusse, des internautes dénoncent ces jours-ci un deux poids, deux mesures, selon qu’il s’agisse de réfugiés ukrainiens ou de réfugiés «basanés». Si les premiers sont exemptés de tests Covid, les seconds seraient tenus d’en produire lorsqu’ils se présentent à la frontière polonaise.
L’argument comprend des soupçons de racisme. Comme dans ce tweet rédigé par Idriss Sihamedi, l’ancien directeur de l’association Baraka City, dissoute par le gouvernement français pour «propagande islamiste»:
Pendant que les ukrainiens sont autorisés à voyager sans pass vaccinal et sous les applaudissements de l’Europe, les africains, eux, sont refoulés par les gardes frontières et sont interdits de traverser.
— Idriss Sihamedi (@IdrissSihamedi) February 27, 2022
Ils sont bloqués et sont exposés par les frappes
L’Histoire le racontera pic.twitter.com/cVsU2X0XKd
Le même retweetait un peu plus tard un tweet contenant une vidéo montrant des individus d’origine africaine, apparemment non prioritaires pour monter dans des trains partant d’Ukraine pour fuir la guerre:
Les africains en Ukraine ne sont pas autorisés à chercher refuge ailleurs contre les bombardements russes.
— Idriss Sihamedi (@IdrissSihamedi) February 27, 2022
Les gardes ukrainiens les empêche de monter dans le train.
Ce privilège est réservé uniquement aux blancs.
Europe - 2022 https://t.co/YEBdJLkFDU
Ce lundi matin dans le train menant de Neuchâtel à Lausanne, une dame assise au wagon-restaurant, s’adressant à un groupe d’amis, affirmait, à propos des dizaines de milliers d’Ukrainiens gagnant les frontières de l'UE, la Suisse s’apprêtant à en accueillir: «C’est pas des réfugiés, c’est des Européens».
Dérapage? L’invasion russe de l’Ukraine produit depuis quelques jours un fort sentiment d’appartenance européenne parmi les citoyens de l’Union européenne, la Suisse ne faisant pas exception. Chacun éprouve le besoin de resserrer les rangs face aux menaces russes. Au détriment des migrants extra-européens, comme si l'urgence de la situation donnait aux Ukrainiens la priorité sur toute autre origine?
Est-ce un sous-entendu? Un lapsus? Toujours est-il que le 25 février à la radio Europe 1, le Français Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale, a déclaré, au sujet de la vague migratoire ukrainienne qui prenait forme alors:
«They seem so like us.» «Ils nous ressemblent tant», a écrit pour sa part dans le quotidien anglais The Telegraph l’ancien député européen britannique Daniel Hannan, du parti conservateur. Il voulait parler des Ukrainiens. Un possible sous-entendu («contrairement aux autres») là aussi, ont cru déceler ceux que ces propos ont choqués, tel ce responsable d’une ONG britannique d’aide aux réfugiés:
Refugee protection must be actively anti-racist
— Tim Naor Hilton 🧡 (@TimNaorHilton) February 27, 2022
There have been some terrible takes in the last couple of days:
1. CBS reporter describing Kyiv as “relatively civilised” – it “isn’t Iraq or Afghanistan”
2. Daniel Hannan’s “they seem so like us” piece
Il est indéniable que la crise ukrainienne, assortie d’un discours du Kremlin sur l’usage de l’arme nucléaire, favorise un «Europe first», une préoccupation des Européens pour leur propre sort.
C’est ce que signifie ironiquement ce tweet d’un journaliste de magazine français Marianne en réponse à un tweet s’indignant du prétendu désintérêt des médias occidentaux pour les malheurs des autres:
Cette carte révolutionnaire nous apprend que les Occidentaux s’intéressent davantage au monde occidental qu’aux autres pays. C’est très grave https://t.co/92iQzs39FC
— Hadrien Mathoux (@hadrienmathoux) February 27, 2022