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Coronavirus: comment un médecin suisse vit le tri des patients

Une équipe chirurgicale s'occupe d'un patient. (image symbolique)
Une équipe chirurgicale s'occupe d'un patient. (image symbolique)image: shutterstock

Report des opérations: «Il était déjà anesthésié quand nous avons annulé»

A cause des patients Covid, des opérations médicales doivent être reportées en Suisse. Un neurochirurgien raconte trois cas concrets auxquels il a dû faire face.
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10.01.2022, 05:3610.01.2022, 11:56
Corsin Manser
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Cela fait bientôt deux ans que le premier cas de Covid-19 a été détecté en Suisse. Depuis lors, le système de santé est soumis à de fortes pressions. Les hôpitaux doivent prendre en charge de nombreux patients atteints du Covid, qui nécessitent généralement des soins très importants.

Afin de soulager le personnel et de faire de la place dans les établissements, les opérations non-urgentes sont continuellement reportées pendant les vagues de cas Covid. On ne sait pas combien exactement mais il est probable qu'il s'agisse de dizaines de milliers d’opérations reportées.

Avec la vague Omicron actuelle, les patients se voient à nouveau repousser leurs opérations car de nombreux hôpitaux fonctionnent à la limite de leurs capacités. Les reports sont voulus par le Conseil fédéral. Alain Berset a réitéré sa demande à la mi-décembre 2021.

Mais qu'est-ce que cela signifie pour les personnes concernées et les professionnels qui les traitent ? Nous avons parlé avec un médecin suisse qui nous a décrit trois cas qu'il a vécus au cours des deux dernières années.

Le médecin a souhaité décrire les cas de manière anonyme afin de préserver le secret professionnel. Il est neurochirurgien et travaille dans l'un des plus grands hôpitaux de Suisse.

La neurochirurgie est une «médecine très spécialisée», dit-il en introduction. En Suisse, il y a moins de dix hôpitaux qui proposent l'ensemble des soins neurochirurgicaux. C'est pourquoi les transferts de patients ne sont possibles que dans une certaine mesure en cas de manque de capacités.

Cas 1: Tumeur cérébrale et une anesthésie pour rien

Le patient, âgé d'une cinquantaine d'années, est venu nous voir le matin. Il avait une tumeur cérébrale au cervelet, ce qui nécessitait une opération assez complexe. Il était clair qu'après l'intervention, il devrait être hospitalisé aux soins intensifs. Pendant un ou deux jours environ.

Peu avant qu'il ne soit conduit en salle d'opération – il était alors déjà sous anesthésie – on nous a dit qu'il n'y avait plus de lit de soins intensifs disponible en raison du grand nombre de patients Covid. Nous avons dû décider si nous allions quand même opérer le patient, même s'il ne pouvait pas aller aux soins intensifs par la suite. Cela aurait représenté un risque non négligeable pour lui.

Nous avons alors décidé de ne pas pratiquer l'opération. Nous avons laissé le patient se réveiller de l'anesthésie et n'avons pu procéder à l'opération que deux jours plus tard. Il a donc reçu une anesthésie pour rien, ce qui comporte aussi un certain risque.

Le patient était bien entendu très fâché. C'est compréhensible. Il était déjà sous anesthésie, puis nous avons dû interrompre l'opération.

«Tu t'endors, tu penses que tu vas être opéré, tu te réveilles et ça s'est passé complètement différemment de ce que tu pensais»

Ce cas s'est produit lors de la deuxième vague, en automne 2020. La vaccination n'existait pas encore à l'époque. Jusqu'à 500 patients atteints de Covid se trouvaient dans les unités de soins intensifs suisses. Actuellement, ils sont environ 300.

Cas 2: Tumeur cérébrale et une infection au Covid

Le deuxième cas s'est produit en août 2021. A cette date, il aurait été possible pour une grande partie de la population adulte suisse de se faire vacciner deux fois. Mais comme tous ne l'avaient pas fait, les services de soins intensifs se sont à nouveau remplis de patients atteints du Covid. Une très grande partie d'entre eux n'étaient pas vaccinés.

Une tumeur cérébrale a été diagnostiquée chez un jeune père de famille après une crise d'épilepsie. Nous avons pu constater dès l'IRM qu'il s'agissait d'une des tumeurs cérébrales les plus fréquentes. Malheureusement, il s'agit également de l'une des plus malignes.

La seule chose que l'on peut faire ici, c'est sortir la tumeur, irradier les patients et leur faire suivre une chimiothérapie. Tout cela doit être fait très rapidement.

«Si on réagit immédiatement, on peut prolonger la vie du patient de quelques mois, voire de quelques années»

Le père de famille devait donc absolument être opéré. Bien qu'il ait été vacciné deux fois contre le Covid, il a été contaminé une nouvelle fois. C'est pourquoi nous n'avons pas pu l'opérer pendant dix jours.

Ensuite, l'opération a encore été repoussée de plusieurs jours, faute de place dans l'unité de soins intensifs. Au total, il n'a pu être opéré que 16 jours après le diagnostic. Avant l'intervention, nous avons fait une nouvelle IRM et nous avons vu que la tumeur avait continué à se développer pendant ce temps. Il est très probable que le retard du traitement ait une influence sur l’espérance de vie du patient.

Cas 3: Risque de caillots plus élevé

Le cas suivant concerne une femme en âge de travailler. Il s'est produit en septembre 2021.

Cette femme avait besoin d'une opération du dos assez complexe. Elle souffrait déjà d'une grave maladie vasculaire et avait plusieurs stents dans les vaisseaux principaux des jambes. Avec de tels stents, il faut prendre continuellement des anticoagulants pour que les vaisseaux sanguins ne se bouchent pas.

Lors d'une opération précédente, la femme avait eu un caillot de sang dans les stents à la suite de l’arrêt des anticoagulants qui ne pouvaient pas être ingérés pendant l'opération. Elle était donc très sensible à l’arrêt du traitement des anticoagulants.

Maintenant, elle devait être à nouveau opérée. Elle prenait alors deux anticoagulants quotidiennement qu'il fallait arrêter pour l'opération. Nous savons exactement combien de temps avant l'opération les anticoagulants doivent être arrêtés. Selon le principe actif, cela peut être 48 heures ou jusqu'à sept jours. Une fois ce délai écoulé, nous pouvons opérer.

Après l'opération, les anticoagulants sont réadministrés le plus rapidement possible afin de réduire au maximum la probabilité d'obstruction des stents.

Nous avons donc planifié l'opération et prescrit l'arrêt des anticoagulants à l'avance. Le jour où nous devions opérer, il n'y avait de nouveau plus de places aux soins intensifs. Nous avons dû repousser l'opération de deux jours.

«Elle avait donc arrêté les anticoagulants deux jours de plus que nécessaire»

Heureusement, il ne s'est rien passé. Mais cette femme avait un risque nettement plus élevé de garder des séquelles de cette opération.

Une situation «frustrante»

Le médecin juge important de rappeler qu'en Suisse, on a toujours «l'un des meilleurs systèmes de santé au monde», même depuis le début de la pandémie. Il estime néanmoins que la situation actuelle est «frustrante». «Je ne veux pas affoler les gens avec mon témoignage. Ce n'est pas comme si nous étions en mode médecine de guerre. Mais je sais qu'on pourrait mieux traiter les patients, ils auraient alors de meilleures chances.»

Actuellement, les opérations sont reportées dans l’établissement où il travaille. Mais si elles étaient à nouveau autorisées, des cas comme ceux décrits ci-dessus continueraient à se produire.

Le médecin évoque également les hémorragies cérébrales. Elles peuvent toucher chacun d'entre nous. «Une des choses les plus délicates en neurochirurgie, ce sont les hémorragies cérébrales qui se produisent après la rupture d'une occlusion vasculaire. C'est ce qu'on appelle les anévrismes». De tels patients seraient très vulnérables. En temps normal, ils nécessiteraient une prise en charge d'environ deux semaines en soins intensifs.

En Suisse, il n'y a que très peu d'hôpitaux qui peuvent prendre en charge de tels patients. «Nous avons eu au moins trois fois la situation où des services de secours ou de petits hôpitaux ont diagnostiqué une telle hémorragie cérébrale et nous ont contactés.»

«Nous avons dû les refuser, car il n'y avait pas de place dans l'unité de soins intensifs»

Les patients ont dû être transportés vers un hôpital plus éloigné. «Ils ont peut-être voyagé une demi-heure de plus à cause de cela. Pendant ce temps, les risques pour les patients sont élevés».

Hémorragie cérébrale

Le proverbe «time is brain» prend tout son sens dans de telles situations, raconte le médecin. «Les patients victimes d’une rupture d’anévrisme doivent être pris en charge le plus rapidement possible, c'est alors qu'ils ont le plus de chances de surmonter l'hémorragie cérébrale sans séquelles».

Actuellement, il n'est pas possible de garantir une prise en charge optimale de tous les patients. Avant la pandémie, il n'était pourtant jamais arrivé que l'on doive refuser des personnes dans cet établissement.

Les cas que le neurologue a décrits ne se produisent pas uniquement au sein de l’hôpital où il travaille, a-t-il affirmé. «Je sais que cela se produit aussi dans d'autres régions de Suisse. Mes collègues d'autres établissements me racontent qu’ils font également face à de telles situations».

Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz

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