S'il y a un sujet dont on n'aime pas parler, c'est la mort. Et pourtant, les choses sont peut-être en train de changer en Suisse. La fin de vie devient-elle un peu moins taboue? C'est ce que le concept derrière la société fribourgeoise Good Mourning, lancée ce lundi, laisse à penser.
«Vous n’êtes pas encore mort? Ça tombe bien», peut-on lire sur leur site internet, au style très flashy et coloré. Le ton est donné. Littéralement «bon deuil» en français, Good Mourning propose des «outils actuels et simples» pour préparer votre décès. Sa spécialité? Les fêtes pré-mortem. «Il s'agit de veillées qui ont lieu avant le décès de la personne», explique Marie Riley, fondatrice de l'entreprise.
Né dans les années 1990 aux Etats-Unis et au Japon, ce rituel serait pratiqué spontanément en Suisse, estime la responsable de Good Mourning, qui propose également de produire des contenus personnalisés destinés à ceux qui restent. La start-up s'occupe aussi des cérémonies funéraires proprement dites. «Nous collaborons avec des sociétés qui ont une vision, dans l'objectif d'amener un peu de vie pendant l'enterrement», complète Marie Riley.
Pour la fondatrice de Good Mourning, l'objectif est avant tout de «briser les tabous autour de la mort et de libérer la parole». Et de fournir une alternative.
«Nous n'avons rien contre le sacré et nous ne voulons pas bousculer ce qui existe déjà», tient à nuancer Riley. «Les rites actuels ne sont pas là pour rien. Mais on constate qu'il y a un vrai intérêt pour des pratiques différentes».
Good Mourning n'est pas un cas isolé. Les projets proposant une autre manière de prendre en charge la fin de vie se multiplient en Suisse. Un autre exemple? Le cercueil-étagère inventé en 2017 par Kyril Gossweiler. Suite à une discussion avec son fils, cet ancien cadre de la Loterie Romande décide de construire son cercueil lui-même et de le faire signer par ses proches.
«En le dessinant, je me suis rendu compte qu'il ressemblait à une bibliothèque. Et du coup je me suis dit, pourquoi ne pas en faire un objet qu'on peut utiliser dans son vivant?», raconte-t-il. Ainsi est né le concept My Last Home, validé par des centres funéraires: une étagère qui, privée de ses plans horizontaux, fait office de cercueil après le trépas du propriétaire.
Bien que le cercueil-étagère soit avant tout présenté comme une alternative écologique, économique et durable (il est réalisé localement dans des ateliers protégés) aux coûteux cercueils classiques, il participe également de ce mouvement de libération de la parole.
«En permettant aux gens de penser à l'avance à leur mort, mon concept est un cheval de Troie, une manière d'aborder le sujet», explique Kyril Gossweiler. Et d'ajouter:
Marie Riley et Kyril Gossweiler sont conscients que leurs offres ne s'adressent pas à tout le monde. Ils constatent pourtant qu'elles ne laissent pas les gens indifférents. «Il y a beaucoup d'intérêt, même si c'est un achat qui demande du temps», confirme le créateur de My Last Home. A ce jour, le Vaudois a vendu une trentaine de cercueils-étagères, disponibles depuis un an et demi.
«Depuis qu'on a décidé de lancer ce projet, beaucoup de personnes nous ont félicité», affirme de son côté la fondatrice de Good Mourning. Celles et ceux qui ont déjà manifesté leur intérêt sont souvent des parents âgés de 30 à 40 ans, qui veulent «se préparer et laisser quelque chose au cas où».
Face à l'émergence de ces pratiques, une question s'impose: quelle est la part de ces rituels alternatifs en Suisse? Vont-ils un jour supplanter les cérémonies religieuses traditionnelles? Pour François Gauthier, anthropologue et professeur de sciences des religions à l'Université de Fribourg, c'est très probable.
«C'est un phénomène difficile à mesurer, mais il ne va pas s'arrêter, au contraire, il va devenir de plus en plus mainstream», explique-t-il.
Adeptes d'une spiritualité basée sur l'équilibre et le bien-être, les baby-boomers veulent célébrer la vie, pas la mort. Refusant les pratiques uniformisées de leurs parents, ils vont faire appel aux rituels alternatifs, poursuit le professeur.
Ces types de rites sont proposés par ce que François Gauthier appelle les «nouveaux entrepreneurs rituels». Ceux-ci proposent des services très variables, mais reliés ensemble par une matrice commune:
Des caractéristiques qu'on retrouve dans les offres de Good Mourning et My Last Home, qui visent à fournir des prestations qui correspondent à chaque individu. Une tendance qui n'épargne pas les acteurs classiques du secteur, à en croire François Gauthier. «Les salons funéraires et les églises commencent à personnaliser les rituels et à impliquer les personnes», note-t-il. «Ils n'ont pas le choix, ils doivent s'adapter ou disparaître».
A la lumière de ces explications, les choses seraient effectivement en train de changer dans la manière d'approcher la fin de vie. «Mourir, cela arrive à tout le monde», conclut Marie Riley. «Le fait d'en parler et de se préparer est tout sauf triste, au contraire. Pour nous, c'est une manière d'empoigner sa vie».