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Témoignage watson

«Pour des soins infirmiers forts»: épuisée, elle claque la porte du Chuv

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Infirmière aux urgences du Chuv, elle a tout abandonné, épuisée

Sophie* a traversé un bout du Covid-19, au front, avant de craquer et d'abandonner son métier d'infirmière. Les raisons? Manque de reconnaissance, fatigue, ambiance délétère et conditions de travail infernales. Un constat partagé par une grande partie de la profession, à deux pas de la votation «pour des soins infirmiers forts» le 28 novembre. Témoignage.
11.11.2021, 05:5511.11.2021, 06:44
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A deux semaines de la votation «Pour des soins infirmiers forts», elle dit ne plus ressentir de colère. Juste une tristesse étrangement familière qui a pris le dessus au fil des mois. Cette mélancolie qui embue souvent le rétroviseur de ceux qui abandonnent une vocation.

Sophie* a été infirmière aux urgences du Centre hospitalier universitaire vaudois (Chuv) suffisamment longtemps pour en parler comme d'un vieux pote qui vous tire dans le dos. Un machin qui ronge, «à force de ne pas être considérée, écoutée, soutenue». Aujourd'hui, et à l'orée d'une reconversion qui devrait lui éviter de «mourir à petit feu», cette professionnelle de la santé est pessimiste pour ses collègues. «Je voudrais croire très fort que les revendications des petites mains en blouse blanche seront entendues, mais autant croire au Père Noël.»

«Une infirmière est considérée soit comme celle qui amène le bidet, soit comme un demi-médecin. C'est comme ça»

Pas un seul grain de rancoeur dans sa voix. Sophie dresse calmement le constat que son métier prend l'eau depuis plusieurs années et que rien n'est réellement entrepris pour que les employés ne coulent pas à pic. «Je ne suis pas la seule à avoir craqué. L'absentéisme est grandissant, et beaucoup changent de métier. La pandémie n'est qu'une goutte d'eau qui a révélé un océan de dysfonctionnements». Elle interrompt soudain son explication pour préciser que tout n'est pas complètement négatif dans cette crise Covid. Que le Chuv a globalement bien géré la pandémie. C'est plutôt dans les petits détails que se planquent les grandes lassitudes.

Une nuit, alors qu’on était en sous-effectif, j’ai dû abandonner mes deux patients, pourtant instables, pour aller faire un massage cardiaque sur le parking, sous la pluie. Le fils était là, tout près, complètement perdu et personne pour s'occuper de lui. A ce moment précis, je me souviens m'être dit que je ne faisais rien de bien. Que mon travail était bâclé. Plus tard dans la nuit, je n'ai pas eu d'autre choix que de prononcer cette phrase: «Désolée madame, je ne peux pas vous emmener aux toilettes, j’ai une personne qui est en train de mourir à côté et je suis toute seule. Il faut que vous fassiez pipi dans votre protection.» Ça a été inhumain pour moi.

Sophie n'a jamais réclamé le compte en banque d'Elon Musk ou une couronne de fleurs chaque matin dans son casier. Mais peut-être une tape sur l'épaule entre deux coups de stress, une poignée de mercis sans autres formalités et une prime Covid tant débattue, mais toujours dans un tiroir. «Plus qu'une reconnaissance, je crois qu'une rémunération décente, c'est une validation de notre souffrance.»

Ce n'est pas un scoop, les infirmières comme Sophie enchaînent des shifts de nuit et de jour, se mangent douze heures de boulot saupoudrées de petites respirations, croisent leur famille en coup de vent et encaissent quotidiennement la mort, la douleur, le sang, la solitude, les larmes et l'angoisse des patients. «J'ai choisi ce métier et j'ai choisi sa dureté. Je n'ai pas choisi ces conditions de travail.»

«Oui, j'ai un meilleur salaire qu'une caissière, mais il est moins élevé que celui d'une enseignante. Je ne dis pas que son métier est facile, mais, moi, si je me trompe d'une virgule, je peux tuer quelqu’un»

La décision de quitter le métier, Sophie l'a prise les yeux grands ouverts: elle ne veut pas être là quand un drame, un mort ou une erreur irréparable surgira d'un manque mathématique d'effectifs. Et la pandémie de Covid-19 lui a offert un aperçu des limites humaines. «Nous avons eu peur de mourir nous aussi, au début. Aucun épidémiologiste n'est venu nous expliquer le virus. On nous disait que les sur-blouses n'étaient pas nécessaires, puis les gants non plus. Que le masque chirurgical avait soudain une durée de vie plus grande que d'ordinaire. Et nous étions tellement peu nombreux au front.»

Bienveillance envolée

Mais au-delà de cette déstabilisante élasticité des certitudes sanitaires, c'est encore une fois dans les petites rainures de la besogne qu'elle s'est cognée contre un essaim de fatigues. Celles, plurielles, de tous ses collègues.

«Pendant la deuxième vague de la pandémie, nous étions tous épuisés au point que la bienveillance et la camaraderie avaient disparu entre nous. Pas parce que nous sommes de vilaines personnes, mais parce que nous n'avions plus le temps ni l'énergie de nous soucier du voisin. Tout le monde était agressif, tendu, complètement à bout.»

Une agressivité qui s'est peu à peu répandue chez les patients. Confinement, mesures sanitaires, incertitudes, crise économique, pour Sophie les raisons ne manquaient pas et elle peut comprendre. «Mais ils étaient de plus en plus ingérables aux urgences. On devait leur dire de mettre le masque sur le nez, ils nous aboyaient dessus à la moindre contrariété, plus personne n'avait de patience.»

«Je fais partie des gens qui ont détesté les applaudissements au balcon. J'aurais préféré que la population soit un peu plus tolérante une fois à l'hôpital»

Et Rebecca Ruiz, ministre vaudoise de la Santé, elle en a pensé quoi durant cette crise? «J'imagine bien que son métier est tout aussi compliqué. Mais je l'ai trouvée un peu maladroite quand elle parlait du personnel de santé. On nous a très vite affichés comme des super-héros que nous ne sommes pas, pour nous abandonner progressivement à nos tâches.»

Aujourd'hui, Sophie a repris des forces et voit en l'avenir une première salve de sérénité. Elle quitte le front, mais ne lâche pas tout à fait la profession. Pas question donc d'ouvrir un food-truck ou d'investir dans le bitcoin. «Je me suis dit que je pouvais me lancer en oenologie, mais je risquais de boire tous les vins qui me passeraient sous le nez!» Elle se marre au bout du fil. Voilà peut-être déjà un petit morceau de reconversion.

* Sophie est un prénom d'emprunt

Cet article a été publié une première fois dans le cadre de la grève d'une partie du personnel du Chuv en juin dernier.

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