Le ministre des Finances Ueli Maurer (UDC) a déjà prouvé à plusieurs reprises, pendant la pandémie de Covid, qu'il ne mâche pas ses mots lors de ses apparitions publiques et qu'il n'est pas rare qu'il critique les décisions de ses collègues du Conseil fédéral. Il s'offre «le luxe d'avoir sa propre opinion», a-t-il expliqué pour justifier ses déclarations, avec lesquelles il a parfois poussé le principe de collégialité à l'extrême.
Vendredi soir, Ueli Maurer s'est exprimé à Bühler (AR), à l'invitation de la section locale de l'UDC, et a parlé des défis que la guerre en Ukraine pose à la Suisse. Une fois de plus, le membre le plus ancien du Conseil fédéral s'est fait remarquer par des propos qui contredisent la position officielle du gouvernement national.
Maurer a qualifié la guerre en Ukraine de guerre par procuration entre l'Ouest et l'Est, entre les Etats de l'Otan et la Russie: il s'agit d'une lutte pour le droit au pouvoir, qui se fait «sur le dos de l'Ukraine». Le monde risque d'être divisé comme cela a été le cas pour la dernière fois avant la chute du mur de Berlin.
La caractérisation du conflit ukrainien par Maurer comme une guerre par procuration entre l'Alliance occidentale et la Russie est surprenante et contredit clairement la position officielle du Conseil fédéral. Immédiatement après le début de l'invasion russe en Ukraine, le 24 février, le Conseil fédéral avait condamné avec la plus grande fermeté l'«agression militaire» de la Russie et a parlé sans équivoque d'une «violation majeure du droit international».
Stellungnahme der Schweiz zu Entwicklungen in der #Ukraine pic.twitter.com/eWbxvpW3Ij
— EDA - DFAE (@EDA_DFAE) February 24, 2022
Lors de son intervention en Appenzell Rhodes-Extérieures, le ministre des Finances suisse a également pris ses distances avec ses collègues du Conseil fédéral en matière de politique de sanctions. Faisant allusion au refus de la Russie d'approuver le mandat de puissance protectrice de la Suisse pour les Ukrainiens vivant en Russie, Maurer a dit:
Cette déclaration insinue que la Suisse a renoncé à sa neutralité en adoptant les sanctions de l'UE contre la Russie. En mai déjà, en marge du World Economic Forum (WEF) à Davos, Ueli Maurer avait exprimé sa difficulté à approuver cette décision. Avec les sanctions, son département des Finances applique «ce que le Conseil fédéral a décidé dans son infinie sagesse», avait alors déclaré Maurer au Tages-Anzeiger avec une ironie qui ne pouvait être ignorée.
Lors de son intervention devant ses collègues de parti à Bühler, le membre le plus ancien du Conseil fédéral a, en outre, qualifié la Stratégie énergétique 2050 - décidée par le Conseil fédéral et acceptée par le peuple en 2017 - de «gros point faible». Et il a contredit l'évaluation de la ministre de la Défense, Viola Amherd. Celle-ci avait déclaré peu après le début de la guerre, fin février, dans la NZZ am Sonntag qu'elle considérait comme improbable l'utilisation d'armes nucléaires même si la Russie attaquait un pays membre de l'Otan et que l'alliance militaire se trouverait alors en guerre directe avec la Russie.
Lui-même ex-ministre de la Défense, Maurer, s'est montré nettement moins optimiste vendredi soir. Il espère vraiment que la situation en Ukraine ne s'aggravera pas davantage, a-t-il déclaré à la fin de son intervention. Il a ajouté:
Au Parlement, la prestation de Maurer est mal perçue. Le conseiller national Balthasar Glättli (ZH), chef de file des Verts, a des mots très clairs. Selon lui, les forces de la Suisse sont sa démocratie, son gouvernement collégial et son engagement pour la démocratie, les droits de l'homme et le droit international. «Ueli Maurer ne se soucie manifestement pas de tout cela», dénonce Glättli. Avec ses déclarations, Maurer va trop loin en tant que conseiller fédéral.
Le ministre des Finances, en accord avec son parti, va manifestement dans le sens des populistes de droite européens lorsqu'il qualifie la guerre d'agression unilatérale de la Russie – qui est menée contre la volonté des Ukrainiens – de guerre par procuration. Les Ukrainiens attaqués souhaitent un engagement beaucoup plus fort de l'Occident et de l'Otan, explique Glättli:
Le conseiller national PS de Bâle-Campagne et spécialiste de la politique étrangère Eric Nussbaumer émet lui aussi de vives critiques:
La Russie a lancé cette guerre et les dirigeants russes ont déjà dit eux-mêmes à plusieurs reprises qu'il était question de conquérir le territoire ukrainien. Le Conseil fédéral a eu raison de nommer clairement cette violation majeure du droit international par la Russie ainsi. «La Suisse est ici clairement du côté du droit international», déclare Nussbaumer. Le fait que Maurer semble s'écarter de cette position dans une situation de guerre «est indigne d'un conseiller fédéral».
«Il ne s'agit pas d'une guerre par procuration, mais d'une guerre d'agression massive de la Russie contre un Etat souverain», a déclaré le conseiller aux Etats lucernois Damian Müller (PLR), contredisant lui aussi les déclarations d'Ueli Maurer. Selon lui, l'Otan n'a certainement pas entrepris d'activités guerrières sur le dos de l'Ukraine:
Interrogé dimanche par CH Media, le porte-parole d'Ueli Maurer, Peter Minder, ne souhaite pas commenter les déclarations de son chef. Le ministre des Finances s'exprime toujours librement lors d'événements externes, raison pour laquelle le DFF ne peut pas non plus mettre à disposition un manuscrit du discours, ajoute Minder. (bzbasel.ch)