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Luana – Comment elle a dû épouser son violeur au Kosovo et le ramener en Suisse

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bild: watson/rafaela roth 

Luana – Comment elle a dû épouser son violeur au Kosovo et le ramener en Suisse

Une Albanaise, qui se sentait déjà depuis longtemps chez elle en Suisse, est abusée sexuellement au Kosovo. Elle ne se rend pas à la police. Au contraire: pour protéger son honneur, elle épouse son agresseur. Il la suit en Suisse et la pousse au bord du suicide. 
05.10.2015, 11:44
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Par Rafaela Roth

En décembre 2014, devant un tribunal d'instance suisse, Luana* raconte sa propre histoire. Les doigts de la Kosovare de 23 ans se contractent, ses mains se tordent. L'air ne rentre quasiment pas dans ses poumons, elle halète. Des larmes coulent de ses yeux, son cœur bat la chamade. 

Luana n'entend plus les questions du président du tribunal. Lui et les quatre juges d'instance sont assis comme des statues devant elle, jusqu'à ce qu'ils soient engloutis par la lumière éblouissant la jeune femme. Luana ferme les yeux et se prépare à mourir. 

Luana ne meurt pas. Pas cette fois, pas toutes les fois d'avant, pas même la fois où elle ne voulait que ça. Depuis son passage par l'enfer, les crises d'angoisse et de peur font partie de son quotidien. 

«C'est la maison de ma tante. Ici, nous sommes tranquilles, pas besoin d'avoir peur.»

L'enfer de Luana ne débuta pas pendant la guerre, mais douze ans plus tard, en 2011, durant une froide journée d'automne dans le sud du Kosovo. Elle a 20 ans et visite son pays natal. Quand sa cousine et le père de celle-ci l'invitent à une sortie nocturne au café, elle ne sait pas qu'elle est directement tombée dans un piège. 

Arsim* les rejoint au café. Luana ne le connaît pas. Peu après, le jeune homme veut discuter seul à seul avec elle. Luana hésite. «Vas-y seulement, c'est bon.», lui dit sa cousine. Luana a grandit avec. Devant le café, Arsim persuade Luana de monter dans sa voiture. Ils se rendent vers une maison vide. Dehors, il fait déjà nuit noire. «C'est la maison de ma tante. Ici, nous sommes tranquilles, pas besoin d'avoir peur.», dit Arsim. Luana a peur. 

A l'intérieur, Arsim veut embrasser Luana. Elle ne veut pas. Luana s'enferme dans la salle de bain et le prie de la ramener chez elle. Il le lui promet. Luana retourne au salon. Arsim ferme la porte à clé et commence à la déshabiller. Elle essaie de se défendre. «Je ne veux pas» crie Luana. Arsim la prend par les cheveux, la pousse sur le canapé, la tient par les bras et lui baisse le legging.

«Maintenant, tu es ma femme», lui dit Arsim après.

Luana sanglote. 

«Tu n'as pas le droit d'épouser quelqu'un d'autre», dit Arsmin. 

«Je veux rentrer chez moi», dit Luana. 

«On va vivre ensemble en Suisse», dit Arsim. 

Luana ne dit rien. 

«Si tu racontes ce qui s'est passé à qui que ce soit, tu peux oublier ta famille», dit Arsim.

La cousine de Luana ne demande rien lorsqu'elle découvre les bleus sur le corps de celle-ci le lendemain. Luana reste toute la journée au lit. La mère d'Arsim dit à son fils: «Maintenant tu es un vrai homme, avec une femme.»

«Ça sera mieux plus tard, quand je viendrai en Suisse.»

Luana rentre en Suisse. Mais la jeune femme de 20 ans est devenue plus sombre. Elle essaie de se ressaisir. Avec sa virginité, Luana sait qu'elle a aussi perdu sa liberté. «Quand on a eu des rapports sexuels avec un homme, on doit l'épouser. C'est comme ça chez nous», déclarait-elle quelques années plus tard lors de son témoignage à la police. 

Luana en est convaincue: aucun autre homme ne voudra l'épouser maintenant. Son père pourrait même la rejeter, s'il savait qu'elle n'était plus vierge. Il en perdrait la face. Ses cousines penseraient qu'elle est une salope.  

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bild: watson/rafaela roth 

«Le viol est une démonstration de pouvoir qui déclenche un sentiment de honte et d'impuissance chez la victime.», déclarera la thérapeute de Luana trois ans plus tard devant le tribunal. «Luana ne pouvait pas s'imaginer que quiconque serait de son côté et tombe dans un état semblable à la soumission envers son agresseur», ajoutera-t-elle. 

Arsim écrit à Luana tous les jours via Messenger.

«Tu ne seras pas heureux avec moi, je ne t'aime pas», écrit-elle. 

«Ça sera mieux plus tard, quand je viendrai en Suisse», écrit-il. 

«S'il te plaît, cherche-toi une femme qui t'aime et sois heureux avec», écrit-elle. 

«Tu es ma femme. Tu vas m'aimer», écrit-il. 

«Comment peux-tu faire une chose pareille si tu veux que je t'aime?», demande-t-elle. 

«Si tu parles de ça à qui que ce soit, je tue tes frères», écrit-il. 

Les frères de Luana sont restés dans la maison familiale au Kosovo lorsqu'elle quitta le pays à l'âge de 18 ans, accompagnée de sa sœur et sa mère lorsque celle-ci emménagea chez son père en Suisse. Elle a tout de suite aimé le pays et apprit l'allemand très vite. Une Suissesse l'aide à apprendre la langue, sans rien vouloir en retour. Luana fut très surprise. Elles devinrent amies. Mais elle ne pouvait pas lui raconter ce qui s'était passé. Elle ne pouvait raconter ça à personne. Des vieilles traditions albanaises avaient rattrapé sa vie en Suisse. 

En été 2012, Luana n'a aucune raison de ne pas venir en vacances au Kosovo avec sa famille. Aussitôt qu'elle est dans la maison avec ses frères, la voiture d'Arsim arrive. «Si tu ne sors pas, je leur raconte tout.», lui dit-il. Luana sort et couche de nouveau avec son violeur. «Je préfère souffrir seule que de faire souffrir toute ma famille» pense-t-elle. 

Quand Arsim, son père, son oncle et son cousin passent devant sa maison une journée d'août, Luana les rejoint. Arsim la prend par le bras devant le bureau de l'état civil. Elle lui promet de prendre son nom. Elle dit à la fonctionnaire qu'elle veut garder son nom. Arsim lui donne un coup de pied dans le tibia. Luana signe. Le père d'Arsim appelle le père de Luana et dit: «Tout est réglé». «Prend le contrat de certificat de mariage en Suisse et fais les papiers», dit Arsim à Luana. 

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«N'essaie pas de me rouler. Va travailler à l'usine.»

Presque toutes les semaines, la belle-mère de Luana lui demande de faire le nécessaire pour l'obtention d'un permis de séjour pour son fils. Arsim lui écrit quotidiennement sur Facebook. Luana essaie de gagner du temps. Elle espère qu'il tombe amoureux d'une autre femme, quand elle n'a pas de loin réuni tous les formulaires nécessaires.

« Pourquoi est-ce si long?», écrit Arsim via Messenger. 

«Je dois d'abord trouver un travail», dit Luana. 

«Ta mère a raconté à ma mère que tu travaillais», dit-il. 

«Ce n'est qu'un apprentissage», dit-elle. 

«N'essaie pas de me rouler. Va travailler à l'usine.», dit-il

L'apprentissage de Luana dans les soins se passe bien. Ses collègues l'apprécient, sa cheffe veut l'engager. Mais un poste fixe veut dire que les services de l'immigration accorderaient le permis de séjour à son mari. Le monde de Luana s'obscurcit. 

«Tu veux me tuer? Alors tue-moi!»

En décembre 2013, la vie de Luana se termine une deuxième fois. «Je vais mourir», est la seule pensée de la jeune femme de 22 ans lorsque son mari est dans un avion pour la Suisse. Le soir, lorsqu'elle rentre de son travail, son mari a emménagé chez elle.

Une semaine plus tard, Arsim et Luana sont assis sur le canapé et regardent la télévision. Arsim se rapproche. Il commence à embrasser Luana et la caresser. «Je ne veux pas», dit-elle. Arsim la retient et commence à lui enlever le pyjama. Luana le repousse, se lève, marche nerveusement dans la pièce, crie. Arsim la prend par les cheveux, la jette sur le canapé, la tourne sur le ventre, lui tient les bras et pousse ses épaules vers le bas. 

«Tu ne vas plus vivre longtemps», lui dit-il. 

Luana fait des heures supplémentaires pour ne pas devoir rentrer chez elle. Elle a cessé de manger, perds énormément de poids et commence à fumer. «J'étais morte à l'intérieur», dit-elle deux ans plus tard. Elle ne s'est encore confiée à aucune âme humaine.  

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Arsim s'était imaginé la vie en Suisse autrement. Il lui est difficile d'apprendre l'allemand. Il ne trouve pas de travail. Il reporte sa frustration sur sa femme. «Je te tue si tu ne me montres pas plus de sentiments», lui dit-il. Par trois fois, elle essaie de mettre fin à ses jours.

Son amie suisse sent que quelque chose ne tourne pas rond. En 2013, elle offre un livre à son amie. Dedans, Luana lit des choses à propos de l'amour, de l'amour de Dieu, de l'amour de Jésus. Ça lui donne la force de continuer. Elle raconte son histoire à Jésus. «C'est ce qui me manquait», dit Luana. «C'était comme si la lumière était revenue dans ma vie.» 

À la prochaine dispute avec Arsim, choisit la fuite. «Tu veux me tuer? Tue-moi!», crie-t-elle. «Mais je vais tout raconter avant.» Luana se précipite chez ses parents et ne cesse de parler, jusqu'à ce que tout soit dit. Dû à la peur de mourir, elle continue à courir, directement à la police. Luana s'enferme au poste de police jusqu'à ce que le premier policier entre en service. Elle va directement chez le gynécologue.  

«Elle ne faisait pas ma lessive, n'a jamais cuisiné, ne me parlait plus et passait tout son temps au travail.»

«Ment la plaignante?», demande le juge. 

«Oui», traduit l'interprète d'Arsim. «Je ne l'ai jamais violée.»

«Pourquoi l'affirme-t-elle donc?»,demande le juge.

«Elle veut divorcer et quand même garder la face devant sa famille», répond Arsim.

«Voulez-vous divorcer?», demande le juge.

«Non. Je l'aime.», dit Arsim.

«Vous l'aimez encore, malgré le fait qu'elle vous a porté plainte contre vous et vous accuse de l'avoir violée?», demande le juge. 

«J'ai tout laissé derrière moi et suis venu ici pour elle», dit Arsim. Ses yeux trahissent un frémissement nerveux. «Mais elle ne faisait pas ma lessive, n'a jamais cuisiné, ne me parlait plus et passait tout son temps au travail.»

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bild: watson/rafaela roth 

Ces déclarations d'Arsim, Luana ne les entend plus. Elle a quitté le tribunal après sa crise d'angoisse. Elle attend son avocat avec une amie dans le café d'en face. Elle tremble. Son petit corps prend encore moins de place que d'habitude. La porte s'ouvre et son avocat entre. 

Il sourit. «Il y a eu un verdict», dit-il. Luana le regarde, incrédule. Elle s'assure dans le regarde des autres que cela est synonyme de bonne nouvelle. Luana pose ses mains l'une sur l'autre comme pour prier puis envoie un bisous au ciel: «Merci.»

Le tribunal suisse a condamné Arsim pour viols à répétition, abus de force à répétition et menaces à répétition à une peine de quatre ans de prison et une amende de 1'800 francs. Dans sa décision, le juge déclara «qu'elle n'avait pas joué la comédie» et s'était clairement décidé en faveurs de la crédibilité de Luana. Arsim doit encore lui payer 10'000 francs de dédommagement. Lui et son avocat ont fait appel. 

Luana a retrouvé sa vie. Elle vit dans son propre appartement et a terminé sa formation. L'éclat et la joie de vivre sont revenus dans ses yeux. Des fois, quand elle est seule, elle pense qu'Arsim pourrait venir la retrouver. Les menaces de sa famille ont cessé. En fait, la jeune femme de 24 ans se verrait bien former une famille. «Mais je n'arrive pas à faire confiance aux hommes», dit-elle.

*Les noms des personnes concernées, ainsi que certains détails ont été modifiés pour protéger la vie privée de celles-ci. Veuillez rester objectifs dans vos commentaires, les remarques racistes ne seront pas autorisées.

Pour contacter l'auteure: rafaela.roth@watson.ch

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