De Rafaela Roth
Ces jours-ci les Témoins de Jéhovah célèbrent leur fête la plus importante. Non pas Pâques, comme les chrétiens, mais la mort et le chemin de la croix de Jésus. Est-ce que vous y repensez encore?
S.T.*: Si vous m'en parlez, oui. Ça me fait frissonner. Pour moi, en temps qu'enfant, c'était terrifiant et très triste. La plus grande des fêtes est une mort atroce. C'est complètement fou, n'est-ce pas? Mais les Témoins de Jéhovah vivent pour la mort. Armageddon, la fin du monde, a lieu juste avant. Je vivais juste pour survivre à Armageddon et pour ensuite accéder au paradis. Toutes les autres fêtes chrétiennes, considérées comme diaboliques, n'étaient pas fêtées. Aujourd'hui je les fête toutes aussi intensément que possible. Je pense que c'est ainsi que se manifeste mon opposition contre les Témoins de Jéhovah.
Vous protestez encore? Vous vous êtes retirée il y a 20 ans.
Oui, imaginez-vous : Il m'a a fallu pratiquement une moitié de vie pour trouver la force de protester vraiment contre les Témoins de Jéhovah. Il y a cinq ans encore, je n'aurais pas pu donner une interview comme celle-ci.
Vous sentez vous trahie?
Oui, absolument. Je trouve que les Témoins de Jéhovah devraient être punis pour m'avoir volé la moitié de ma vie. J'ai été victime des pires violations des droits de l'homme. On m'a privée de mes droits d'autodétermination, de liberté, d'éducation et d'information...
Pouvez-vous expliquer ceci plus en détail?
Je suis née dans un monde où tout était en noir et blanc. Tout ce qui était extérieur à la communauté était profane, diabolique et dangereux. Je ne pouvais presque pas passer de temps avec des gens de l'autre monde ; ils étaient après tout des morts vivants. Lire ou entendre quelque chose de l'autre monde était mal. Je devais tout le temps me dévouer à Jéhovah. Aspirer à quelque chose dans la vie, se former, se développer, s'épanouir, c'était absolument sans valeur, car la fin du monde est proche.
Vous n'avez donc pas appris de métier?
Toutes mes envies ont été étouffées dans l'oeuf. Il y avait toujours une bonne raison pour me contredire. Je n'avais aucune chance. C'est ce qui est tragique : celui qui parvient à s'échapper de la communauté Témoins de Jéhovah finit soit dans la dépendance, soit au service social, soit au cimetière.
Où avez-vous atterri?
J'ai atterri au service social. Les suicides et les tentatives de suicide sont très répandus dans le cercle des Témoins de Jéhovah. Mon père s'est fait dénoncé aux plus anciens à deux reprises ; il avait un problème d'alcool. La première fois, il s'est fait exclure. Après avoir regretté, il s'est fait à nouveau intégrer. Il n'a pas surmonté la deuxième exclusion. Il s'est donné la mort. L'exclusion est la pire chose qui puisse arriver à un Témoin de Jéhovah.
Avez-vous encore des contacts avec votre famille?
Non.
Quel est votre souvenir le plus marquant de votre enfance?
Le sentiment d'être fausse. Mes doutes sur la communauté ont commencé tôt. Aussi parce que j'ai vu et subi des violences corporelles. J'ai cependant essayé d'être une bonne Témoin de Jéhovah; ce qui n'était pas du domaine du possible. J'était très malheureuse et très seule.
Pourquoi avez-vous dû avoir 25 ans pour quitter définitivement la communauté?
J'ai dû rassembler assez de force pour être prête à payer le prix. Et je devais être sûre à cent pour cent. Enfant, j'ai développé une stratégie de survie. Aujourd'hui, je sais qu'elle s'appelle "dissociation" et que c'est connu chez les victimes de traumatismes : je me suis complètement isolée du monde extérieur, j'était comme pétrifiée et j'ai arrêté de parler. J'ai juste répondu aux questions.
Y a-t-il eu un élément déclencheur à ce retrait?
J'avais 21 ans. J'étais présente à une réunion et j'écoutais un ancien tenir un discours. C'est là que cette pensée m'a traversé l'esprit : «Tu mens! Comme tu mens! ». C'est alors que j'ai su que je devais partir le plus vite possible. J'avais besoin d'un plan.
Quel était ce plan?
Si on veut quitter la communauté ou si on est exclu, on doit passer devant les anciens. Je l'ai vécu une fois et je me suis sentie comme au tribunal. Je savais que je n'aurais pas tenu le coup, parce que je ne pouvais pas parler. Je me suis donc donné une date à laquelle je n'irais pas à la réunion et à partir de laquelle je n'y retournerais plus jamais. Je me suis mise en grève. Chez les Témoins de Jéhovah, cela veut dire "inactif". C'est possible. Je ne me suis définitivement retirée que quatre ans plus tard. J'ai démissionné par écrit.
Comment votre vie s'est-elle poursuivie ?
J'ai d'abord mis les voiles. Beaucoup d'années de dérive ont suivi. C'est seulement ces dernières années que le calme s'est rétabli dans ma vie.
Que faites-vous maintenant?
Je donne de l'amour à mes deux filles. Je leur donne tout l'amour que je n'ai jamais reçu. Je leur donne des racines et des ailes ; ça ne fonctionne qu'avec l'amour. C'est pour moi le plus important. Aussi, je désire tellement pouvoir vivre le jour où les Témoins de Jéhovah devront payer.
*Nom connu de la rédaction
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