Une douce soirée de juin, il y a quatre ans. Il est déjà plus de 19h lorsque le Conseil national approuve, par 95 voix contre 94, un quota non contraignant pour nommer des femmes dans les conseils d'administration et les directions.
Un quota de femmes dans une Suisse libérale? L'idée relevait de la mission impossible, tout comme les mesures pour l'égalité salariale. Personne ne pensait que Simonetta Sommaruga parviendrait à faire passer ces dossiers au Conseil fédéral et au Parlement.
Des conseillères nationales de tous les partis se félicitent mutuellement, euphoriques mais aussi un peu incrédules, sur le balcon du Palais fédéral. Une seule reste sur la retenue: la conseillère fédérale en charge du dossier, Simonetta Sommaruga.
Elle parle d'une décision raisonnable. Il fallait un signal, car la proportion de femmes dans les directions d'entreprise diminue. Le Conseil national l'a remarqué. Point final. Triomphante? Non. Soulagée, tout au plus. Interrogée sur la recette de son succès, elle déclare le soir-même:
Voilà une partie de la vérité. Pour le reste, Sommaruga est une technicienne de précision douée pour le pouvoir. Une artisane de la politique. Son compagnon de route, l'ancien conseiller national socialiste et surveillant des prix Rudolf Strahm, décrit sa méthode comme une stratégie de persuasion politique basée sur la coopération, le compromis et la persévérance.
Cette même méthode lui a presque valu une défaite au Conseil fédéral, dans le dossier de la loi sur l'égalité des salaires. Elle retire l'objet pour éviter une mise au pilori publique, avant d'obtenir gain de cause au deuxième essai. Pour obtenir l'accord du Parlement, elle accepte que seules les entreprises de plus de 100 employés soient tenues de réaliser des analyses de rémunérations. Une politique de concession qui lui a valu des critiques, émanant de la gauche.
Les tables rondes font également partie intégrante de la méthode Sommaruga: inviter tous les acteurs pertinents, les écouter, examiner les propositions des uns et des autres, définir des objectifs et déterminer le chemin à suivre pour les atteindre. Faire appel à l'intelligence collective. Chercher des compromis. Obtenir un engagement contraignant.
Les exemples de ces tables rondes ne manquent pas: pour le droit de garde et d'entretien ou l'indemnisation des enfants placés, pour la grande réforme de l'asile ou, plus récemment, pour le développement de l'énergie hydraulique.
La conseillère fédérale doit peut-être sa méthode à sa conviction profonde que les compromis sont la seule façon d'aboutir à de bonnes solutions. Mais aussi au fait que Sommaruga, en tant que femme socialiste, fait de la politique dans une position minoritaire. Une position qui marque les esprits; au Parlement déjà, elle a l'habitude de se mettre en retrait et laisse les représentants d'autres partis intervenir pour engranger des succès. C'est sans doute aussi pour cela que cette femme de 62 ans est passée maître dans l'art du «self-control». Jusque dans ses mimiques et dans ses gestes.
Elle a appris à s'exprimer en public, à moduler sa voix. De grave à enjoué: son timbre ne s'emballe jamais dans les situations importantes et s'adapte au sujet.
La politique, c'est aussi et surtout de la communication. Pas seulement lorsqu'on apprend à prendre la parole. Sommaruga a toujours choisi ses mots de manière ciblée.
«Maintenant, il faut qu'une secousse traverse le pays», déclare-t-elle en tant que présidente de la Confédération en mars 2020, lorsqu'elle décide, avec ses collègues du gouvernement, de quasiment confiner la Suisse. Elle a également prononcé cette phrase en français et en italien. Une habitude pour celle qui souhaite que chaque journaliste du pays comprenne le message principal qu'elle veut faire passer.
Ses phrases marquent parfois par leur symbolique un peu lourde, prétendument pédagogique. L'UDC Hans Fehr dit un jour qu'elle a «le charme d'une maîtresse d'école». En effet, la politicienne n'hésite pas à allier le geste à la parole: en prenant le train de nuit pour une visite d'Etat à Vienne, le car postal quand ses collègues optent pour le jet ou l'hélicoptère, ou en prenant la pose devant des glaciers avec la skieuse Michelle Gisin, avant la votation sur le CO2.
En 1993, Simonetta Sommaruga prend la tête de l'équivalent alémanique de la Fédération romande des consommateurs. Auparavant, cette pianiste de formation a travaillé comme professeur de piano et dans un foyer pour femmes.
Comme Strahm l'a écrit dans un essai à l'occasion du 60e anniversaire, le conseil de fondation de l'organisation, alors insignifiante, la choisit par manque de moyens. Pourtant, la Bernoise introduit de nouveaux thèmes et se fait connaître. En 1998, Simonetta Sommaruga est élue à l'exécutif de Köniz, une commune de la banlieue bernoise, où elle est responsable des pompiers et de la protection civile.
En 1999, elle est élue au Conseil national. Comme l'écrit Strahm, le PS ne cherche pas particulièrement à lui faire gravir les échelons: «Sa carrière politique a été possible grâce au peuple». Fille d'un directeur d'usine Lonza, Sommaruga n'a pas été biberonnée à la social-démocratie, ni au syndicalisme, ni au féminisme.
En mai 2010, Sommaruga présente avec le politologue Wolf Linder, l'historien biennois Tobias Kästli et le maire de Köniz Henri Huber le manifeste du Gurten, dix thèses pour une «politique nouvelle et progressiste». On peut y lire que «Le PS est trop étatiste et trop sceptique vis-à-vis du marché», ou encore que «Le PS tolère une limitation de l'immigration».
Les réactions au sein du parti sont dures. On parle de «manifeste des concombres». Au sein du groupe parlementaire du Conseil national, Sommaruga est snobée, ses voisins de siège ne lui adressent plus la parole. Son élection au Conseil des Etats en 2003 a donc pris des allures de fuite.
En 2010, Sommaruga se porte candidate à la succession de Moritz Leuenberger. Elle s'impose clairement face à Jacqueline Fehr, son ancienne voisine de siège au Conseil national.
Son entrée en fonction fait grand bruit: les conseillers fédéraux bourgeois font alors en sorte que Sommaruga reprenne le Département de la justice, plutôt que celui de l'économie. Le président du PS Christian Levrat s'emporte - comme s'il pressentait déjà combien les années suivantes allaient être difficiles, marquées par des luttes épuisantes avec l'UDC.
La Bernoise touche le fond avec la défaite du 9 février 2014, lorsque l'initiative contre l'immigration de masse a été acceptée dans les urnes. Avant ce vote, Sommaruga pense pourtant renforcer les mesures d'accompagnement, mais elle se heurte à ses collègues bourgeois du Conseil fédéral, qui partent du principe que la gauche sera de son côté.
Alors qu'elle est encore ministre de la Justice, Sommaruga est confrontée à la crise des réfugiés. Elle met en place une nouvelle réforme de l'asile, réduisant les procédures de 1400 à 140 jours. En contrepartie, elle renforce la protection juridique des demandeurs d'asile. Un système qu'elle continue d'appliquer aujourd'hui. Presque dans la foulée, Sommaruga révise également le droit civil. Le droit de garde, le droit d'entretien et le droit successoral s'adaptent à l'évolution de la société.
Sommaruga, qui travaille dur et relève des défis, ne s'est jamais cachée derrière une quelconque mission. Dans une interview accordée au Tages-Anzeiger, elle parle ouvertement de son goût pour le pouvoir et de son rapport décomplexé à celui-ci: «Le pouvoir offre la possibilité d'exercer une influence et de changer les choses».
Lorsque Doris Leuthard se retire en 2018, Sommaruga saute sur l'occasion et rejoint le Département des infrastructures (Detec). Elle réalise rapidement que la Suisse mise trop sur les importations en matière d'énergie et prend en main le développement des énergies renouvelables. La guerre en Ukraine donne un véritable coup d'accélérateur à son projet. Elle réagit à la menace de pénurie d'électricité. Avec un programme en quatre points qu'elle serine comme un mantra à chaque apparition depuis le printemps.
Les débuts au Detec s'avèrent pourtant difficiles. La défaite sur la loi sur le CO2 est spectaculaire. La loi sur les médias se voit aussi rejetée. Certains regrettent l'absence d'une combattante au tempérament bien trempé, comme l'était Doris Leuthard. Dans l'entourage de Sommaruga, on rejette la faute sur le Parlement. Une loi CO2 trop surchargée. Trop peu équilibrée. Trop peu «Sommaruga».
Publiquement contestée à de nombreuses reprises, la ministre n'a pas donné l'impression de se lasser de son mandat. Lorsqu'on lui demande si elle aurait fait quelque chose différemment, elle répond: «Ce n'est pas mon genre de regarder en arrière». Et: «J'ai toujours aimé le faire».
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker