Penaud, pataud, avec un petit air nigaud. Si on utilisait les mêmes termes pour qualifier un labrador, on serait poursuivi par la SPA. Mais c’est Harry Maguire, le défenseur le plus cher de l’histoire - il en a pour son compte. C’est Harry Maguire, un physique de boxer avec des yeux de cockers (et voilà que nous nous moquons à notre tour).
Il fait tellement peur, avec son tempérament gaffeur, que Manchester United n'ose plus le sortir. Ou seulement pour les petites occasions. C'est ainsi qu'après des mois sans jouer, Maguire est réapparu la semaine dernière, plus en chair qu'en os, sorti de sa longue torpeur hivernale par une succession d'accidents (blessures simultanées de Varane, Martinez et Shaw). Manchester United n'avait plus le choix. Il n'avait plus que «lui». Et le pensable s'est produit... Maguire a commencé par un magistral autogoal contre Séville, en Europa League (2-2):
La scène fit dire à Paul Scholes que «Maguire est probablement le footballeur le plus poissard de Premier League». Le même Scholes qui, en janvier, prévenait avec une certaine compassion: «Ce gars a besoin d'être protégé. On ne peut pas le laisser seul.»
Nouvelles scènes embarrassantes dimanche, «face à une modeste équipe de Nottingham Forest» (selon l'expression consacrée). Maguire a tremblé de tout son mal-être sous les lazzis d'une foule atrabilaire, la foule qui tançait ses lenteurs, chantait ses erreurs, raillait ses dégagements à la hussarde. Après avoir inscrit le 1-0, Antony était parti pour embrasser toute l'équipe... jusqu'à ce qu'il tombe sur le visage de Maguire, qu'il ait un petit rictus d'effroi, qu'il tente d'échapper à l'affection balourde de son coéquipier et s'en tire avec une tape vaguement amicale sur la joue:
Maguire a appris incidemment que son club lui cherche une nouvelle destination, un endroit où il sera bien, comme on le dirait d’un chenil. Parce qu'au fond, à tout le moins officiellement, Erik Ten hag l'apprécie. L'entraîneur néerlandais le dit réceptif. Ce qui ne l'empêche pas de lui crier dessus.
Il est vrai, certes, que Maguire a traversé une mauvaise passe. Pas une petite. Des boulettes chaque week-end, des aboiements dans le vide, des grosses gamelles, la ba-balle qui lui glisse entre les pa-pattes. Mais est-ce une raison pour lui parler comme un chien? En aucune façon.
Il existe peu de défenseurs aussi volontaires, aussi forts et courageux qu'Harry Maguire. Peu de défenseurs aussi pressés de mettre leur corps en travers d'un appel en profondeur. Peu de têtes qui dépassent autant que la sienne, de toutes les mêlées imbéciles et tous les kick and rush bornés (18 buts de la tête en carrière). Peu de joueurs capables d'enchaîner autant de matchs sans maux dire, jamais mal, jamais peur, jamais fatigué.
Quand ses coéquipiers à Manchester font mine de défendre, il prend sur lui et colmate du mieux qu'il peut, sans rouspéter - ni secouer bêtement la tête, lui. C'est un dur. Un colosse. Un British à l'ancienne, forgé dans la bourbe et le crachin mauvais du vieux Nord, sorti d'une cité ouvrière avec une volonté de fer. Seul son prix est bidon. Car il y a bien erreur sur la personne: Harry Maguire n'est pas le meilleur défenseur de l'histoire.
Quand il était encore manager de Manchester, Ole Gunnar Solskjaer lui trouvait «une belle lecture du jeu et une forte présence dans la surface. Il reste calme sous la pression et garde son sang-froid avec le ballon». Maguire n'a rien perdu de ces qualités; sauf une, mais elle conditionne toutes les autres: le sang-froid. Donc la formidable capacité d'anticipation qui compensait sa lenteur.
No words can describe how bad Maguire is. He’s an absolute shocking footballer
— UE 🇶🇦 (@UtdEra_) April 16, 2023
Dès l'instant où le Royaume-Uni en a fait son souffre-douleur, «la pince Harry» a perdu la souveraine indifférence qui, à ses débuts, le rendait autoritaire. Et les critiques ont redoublé... Hué par son propre pays à Wembley alors qu'il tripotait nerveusement le ballon dans les pieds d'un attaquant allemand. Menacé par des alertes à la bombe jusque dans sa chambre à coucher. Condamné à 21 mois de prison avec sursis pour avoir protégé sa soeur de deux hommes armés de seringues. Humilié par la presse anglaise qui le compare tantôt à Averell Dalton, tantôt à Rantanplan.
«Je ne voudrais pas m'apitoyer sur mon sort, mais il est parfois difficile de ne pas ressasser les critiques, a reconnu Maguire dans une interview au Times, en novembre 2022. Je pense que les gens perçoivent les footballeurs comme des robots sans émotion, mais bien sûr que nous en éprouvons. Nous sommes déçus et affectés quand nous ne jouons pas bien.»
De petites bêtises en gros malentendus, Harry Maguire est devenu le plus grand des gaffeurs. Tellement étourdi qu'il en est venu à lever la main pour dénoncer une faute... de son coéquipier Nemanja Matic.
Maguire n’avait pas encore revêtu le maillot de Manchester United qu'il portait déjà sur ses épaules le prix insensé de son transfert. Quand il ratait une passe, c'était presque un méfait. Quand il manquait une interception, il en devenait surfait.
Le brassard de capitaine que Solskjaer a eu la curieuse idée d'accrocher à son bras fut à la fois un bel hommage et un funeste présage. Déjà qu'il était difficile de ne pas le remarquer (1,94 m), il est devenu impossible de ne pas le regarder. Hors de prix, Maguire est devenu à part. La tête qui dépasse, et pas seulement sur corner. Comme disait la grand-mère de Cantona: seuls les grands arbres sont exposés aux grandes tempêtes. Ici, le vent de contestation a tout emporté. Il ne fallait pas ajouter un statut à la stature.
Depuis le temps, surtout le mauvais, Maguire a tout entendu. Les moqueries sur ses tacles dégingandés. Les doutes sur son intelligence. Les méchancetés sur ses passes en retrait suicidaires. Alors que quand il avait la confiance de son maître, quand il était le préféré de Solskjaer, il défendait bravement son territoire.
Est-il brusquement devenu si nul? Certainement pas. A-t-il couté trop cher? Sans aucun doute. Est-ce sa faute? Non. Mérite-t-il qu'on le traite comme un chien? Au milieu de tous ces sifflets et ces cris, Dieu reconnaîtra les chiens.
Adaptation d'un article paru en novembre 2022 sur watson
