Ce mardi, l'Université de Zurich a publié un rapport qui retrace l’histoire des abus sexuels dans l’Église catholique en Suisse depuis les années 1950 jusqu'à 2022. L'enquête a été mandatée par trois organes catholiques et a été réalisée par une équipe d'historiens indépendants.
Un «coup de pied dans la fourmilière nécessaire» selon Denis Müller, professeur honoraire de théologie et d'éthique aux Universités de Lausanne et de Genève. Au bout du fil, il commente pour watson ce rapport historique et inédit en Suisse.
watson: Quelle est l'importance d'un tel rapport?
Denis Müller: Il est fondamental. Une des bonnes nouvelles de cette étude est qu'elle a été commanditée directement par l'Eglise catholique, qui enquête ainsi sur elle-même. Les scandales d'abus sexuels sont toutefois un problème connu au niveau mondial depuis toujours.
Un retard sur le sujet qui s'explique, comme évoqué dans le rapport, par la culture du silence et l'omerta qui règnent au sein de l'Eglise catholique.
Un autre fait inédit est justement la mise à disposition d'archives tenues secrètes auxquelles seuls les évêques ont accès.
Effectivement. Cette mise à disposition paraît cependant évidente dès le moment où l'Eglise catholique a mandaté l'enquête. Les historiens devaient pouvoir travailler de manière indépendante et les recherches devaient être faites dans les règles.
Cette publication est un pavé dans la mare. Quelles seront ses suites?
Le but ici est de crever l'abcès, d'amener le problème des abus sexuels au sein de l'Eglise catholique sur le devant de la scène publique suisse et de commencer à faire un grand nettoyage. Il faudra voir comment la situation évolue ces prochains temps. Une notion essentielle dans le catholicisme est celle de «réception»: comment est-ce que l'Eglise va-t-elle recevoir ce rapport? Surtout, comment sera-t-il appliqué?
Pensez-vous que l'Eglise catholique va réellement faire un tri dans ses rangs?
Imaginez-vous: vous écoutez un prêtre qui récite son sermon lors d'un mariage ou lors d'un enterrement. En tant que paroissien, vous devez pouvoir avoir confiance en lui. De plus, des millions de catholiques sont choqués par ces crimes qui divisent les paroisses et déchirent les familles.
Plusieurs recommandations sont faites par les historiens, comme la possibilité de mener des recherches supplémentaires et un meilleur accès aux archives ecclésiastiques – de nombreux documents qui relatent des cas d'abus sexuels ont en effet été détruits par l'institution. Le travail ne fait que commencer?
Je l'espère. Le problème des abus sexuels au sein de l'Eglise catholique est vieux comme le monde et ne va pas disparaître du jour au lendemain. Mais le message envoyé par cette étude est positif:
Le pape François a également un rôle à jouer: il pourrait donner cet ordre à l'ensemble de l'Eglise catholique.
Parmi les 510 personnes accusées dans l'étude, 90% d'entre elles ont pu être identifiées. Seront-elles poursuivies pénalement?
Au sein de l'institution, le droit canonique s'est révélé insuffisant. Dans un cas de dissimulation d'abus sexuel par exemple, le responsable pourrait être démis de ses fonctions ou condamné. Ces sanctions ont toutefois souvent tardé à être appliquées, comme le confirme le rapport de l'Université de Zurich. Mais lorsque des crimes contraires à la loi suisse surviennent, une enquête doit être ouverte et les coupables doivent être jugés par un tribunal laïque. Les membres de l'Eglise sont des citoyens comme les autres.