En Suisse, les femmes malades sont majoritairement moins bien soignées que les hommes, elles sont moins présentes dans les études et sont encore victimes de biais liés au genre. Voici les différences de traitement que Carole Clair et Joëlle Schwarz – coresponsables de l’unité Santé et Genre d’Unisanté, à Lausanne – ont mis en lumière dans une récente étude. Deux motions ont été déposées cette semaine au Parlement pour parer à ces inégalités. Elles ont été acceptées au Conseil national et sont maintenant débattues au Conseil des Etats.
Comment expliquer ces différences entre les genres?
Quelles sont les conséquences sur la santé des femmes?
Entretien avec Docteure Elisa Geiser, médecin généraliste à Lausanne et médecin agréée à Unisanté.
Beaucoup de recherches médicales en Suisse sont réalisées uniquement sur des hommes. Pourquoi?
La norme, aujourd'hui encore, est androcentrée: les traitements sont souvent étudiés et pensés sur et pour les hommes. Historiquement, dès le début de la recherche médicamenteuse, dans les années 1900, on excluait les femmes à cause du risque tératogène premièrement (réd: on avait peur qu'elles soient enceintes et que les tests de médicaments engendrent des problèmes sur le foetus). Secondement, on craignait que les variations hormonales influencent les résultats.
On ne pouvait pas faire des tests de grossesse et adapter les recherches aux variations hormonales?
Bien sûr. C'est d'ailleurs évident aujourd'hui.
Quelles sont les conséquences de ce modèle androcentré?
Premièrement, les traitements développés provoquent fréquemment plus d'effets secondaires chez les femmes, et sont parfois moins efficaces sur elles. Secondement, on ne connaît pas assez bien certaines maladies qui les touchent majoritairement, ou uniquement.
Auriez-vous un exemple concret?
J'en ai même plusieurs. En chimiothérapies, les femmes souffrent plus d'effets secondaires, comme des diarrhées, des nausées ou de la fatigue.
La psychiatrie, en revanche, a été pensée pour les femmes. On croyait que les pathologies psychiatriques étaient «typiquement féminines» (sauf l'alcoolisme). Les troubles dépressifs sont donc moins détectables chez les hommes, raison pour laquelle on constate un taux de suicide plus élevé. Finalement, l'endométriose et la ménopause, deux entités qui touchent uniquement les femmes, sont peu connues par le corps médical. Il n'y a que très peu de recherche dessus, elles sont moins enseignées aux étudiants et, résultat final, on ne sait pas les traiter correctement.
Vous parlez de l'enseignement: qu'est-ce que vous mettez en place, à l'Université de Lausanne notamment, pour que les choses évoluent?
Les étudiants d'aujourd'hui sont les médecins de demain.
Alors durant mes cours, les élèves arrivent avec des situations concrètes que nous étudions.
Par exemple?
Nous regardons la différence de prise en charge selon le genre des patients et réfléchissons sur ces biais. Par exemple, il arrive parfois que des médecins n'osent pas demander à une femme de se déshabiller, ou qu'ils lui proscrivent des médicaments moins forts pour une douleur.
Des médicaments moins forts? Ah bon?
Oui, ça arrive. Dans notre société patriarcale, nous avons tendance à penser que les femmes «se plaignent pour rien». Elles sont moins prises au sérieux, alors que – et c'est là l'ironie –, biologiquement, elles ont un seuil de douleur plus bas que les hommes. Si elles souffrent à hauteur de 6 sur 10, elles recevront un traitement moins rapidement et moins fort.
C'est ironique, effectivement.
Il faut également savoir que les femmes sont poussées par les normes de genre à consulter plus souvent. La société attend d'elles qu'elles prennent plus soin d'elles. Un homme, en revanche, aura tendance à être éduqué à ne pas se plaindre, à ne pas dire qu'il souffre.
Outre l'enseignement, quels changements faut-il encore opérer?
Il faut que la politique entre en jeu. En Suisse, nous sommes extrêmement en retard comparé à d'autres pays.
C'est-à-dire?
Il est possible de déposer un projet de recherche qui ne prend en compte que des hommes. Des études sont, aujourd'hui encore, publiées par des médecins qui ont réalisé des tests uniquement sur des souris mâles. Ce n'est plus possible de fonctionner comme ça! La recherche devrait obligatoirement intégrer les deux genres, séparer les résultats et les effets secondaires, pour ensuite imaginer des traitements adaptés à tous. Il faudrait également que des fonds soient débloqués pour réaliser des études sur les maladies féminines.