C’est, si l’on peut dire, tout frais. «J’ai donné un cours sur le nazisme aujourd’hui même», rapporte Patrick Willisch, joint mardi par watson. Ce professeur d’histoire enseigne au Lycée-Collège des Creusets, à Sion. Mercredi sort en librairie une réédition de «Mein Kampf», le manifeste d’Adolf Hitler, paru en 1925 et 1926. Rien à voir avec l’édition originale. La présente, munie d’un imposant appareil pédagogique, porte le titre suivant: «Historiciser le mal. Une édition critique de Mein Kampf». Fayard, maison française, en est l’éditeur.
Germanophone de naissance, Patrick Willisch a parcouru la réédition allemande, dûment critique elle aussi, à sa sortie en 2017 – la version première reste interdite en Allemagne. Republier «Mein Kampf», même entouré de toutes les précautions, est-ce bien raisonnable? Lorsque l’idée a germé en France comme en Allemagne au début des années 2010, les polémiques ont fait rage. Ce n’est visiblement plus le cas à présent.
Mais comment enseigner l’idéologie du mal à des gymnasiens, leur parler de celui qui l'incarnera pour toujours? «Je fournis une biographie d’Hitler très succincte à mes élèves, une page. Mon cours en tant que tel n’est pas focalisé sur la personne d’Hitler. Je préfère leur faire comprendre ce qu’a été le national-socialisme comme système, comme structure », explique Patrick Willisch.
Patrick Willisch enseigne dans un établissement bilingue français-allemand. «La plupart de mes élèves découvrent l'histoire du nazisme. Certains en ont acquis quelques notions dans des films.» Le professeur replace cette histoire dans ce qui l’a précédée, la République de Weimar, parenthèse entre les deux empires germaniques. Cette année, il s’est particulièrement attardé sur le fascisme italien et sa figure tutélaire, Mussolini. «Je fais des liens entre Hitler et Mussolini, entre Hitler et Staline, de façon à montrer ce qu’était et ce que peut être aujourd’hui encore un Etat totalitaire.»
On reste à Sion et on se rend virtuellement dans la classe d’histoire de Pierre Pannatier, professeur au Lycée-Collège de la Planta. Il explique à watson comment il s’y prend pour intéresser ses élèves à une matière en soi spectaculaire. «Je leur parle des conditions de l’avènement du fascisme et de sa forme allemande, le nazisme. Je leur fais voir comment un mouvement a surfé sur la frustration d'une population après le traité de Versailles, avec, en passant, une réflexion sur le populisme et la démagogie en politique aujourd'hui», relate Pierre Pannatier.
«J’attire leur attention sur l’idéologie et le fonctionnement du fascisme: l'anticapitalisme, l’antiparlementarisme, l’anticommunisme, le rejet de la démocratie, l’impérialisme, le racisme, etc.», poursuit-il. Comme Patrick Willisch, Pierre Pannatier compare le fascisme et le nazisme avec d'autres formes de totalitarisme.
Une histoire spectaculaire, faite d’horreurs. Pierre Pannatier n'en cache rien. Il évoque les grands faits de la Deuxième Guerre mondiale. Il consacre deux cours au génocide des juifs d’Europe. «J'utilise à dessein des images très brutales: morts à même le sol dans le ghetto de Varsovie, tas de cadavres découverts dans les camps. La Shoah ne doit pas être quelque chose d'abstrait pour les jeunes. J’enseigne l’historique de l'antisémitisme, la conférence de Wannsee qui aboutit à la solution finale, je nomme les acteurs principaux de cette entreprise d’extermination.»
En conclusion de ses cours sur le fascisme, le professeur d’histoire de la Planta aborde ses résurgences, tels le mouvement néofasciste grec Aube dorée, le suprémacisme blanc aux Etats-Unis, le néonazisme en Allemagne. Il utilise des supports audiovisuels comme l’émission «Géopolitis», de la RTS.
Les deux professeurs, Patrick Willisch et Pierre Pannatier, affirment n’avoir jamais entendu, chez leurs élèves, des propos ambigus ou clairement antisémites dans leurs cours sur le nazisme. L’antisystème ou le conspirationnisme contemporain ne semble pas non plus avoir franchi la porte de leurs classes. «Dans la mienne, j’ai quelques élèves qui appartiennent à des jeunesses politiques, témoigne Pierre Pannatier. Ils s’intéressent aux cours dont je viens de parler. Je sens que cela peut les éclairer dans leur engagement, aujourd’hui.»