Au lendemain de Noël, l'œsophage encore encombré de dinde, le «Département de l'efficacité gouvernementale» s'est sans doute heurté pour la première fois à la difficulté de gouverner un pays. Se sentant pousser des ailes depuis leur nomination à la tête du «Doge», Elon Musk et Vivek Ramaswamy pensaient sans doute être acclamés par la base MAGA à chacun de leurs rots sur X. Et, jusqu'ici, il faut avouer que le binôme ne s'en sortait pas trop mal. Du moins dans ses intentions, puisque ce «département» ne sera effectif qu'à l'investiture de Donald Trump, le 20 janvier prochain.
Leur mission initiale? Drainer les dédales de l'administration, virer les tire-au-flanc, glorifier les bosseurs, simplifier les procédures, fermer les «agences inutiles» et économiser des milliards de dollars. De quoi faire saliver bon nombre d'électeurs en colère contre le fonctionnement (l'existence?) de l'Etat.
Cependant, jeudi, l'assurance crâneuse des deux chiens de garde du 47ᵉ président a méchamment vacillé. La faute à une violente charge contre la «culture américaine» lancée par Vivek Ramaswamy, sur le réseau social d'Elon Musk, au cœur d'un débat sur l'attribution des visas H-1B aux petits génies étrangers. Pour faire court, l'ancien adversaire de Donald Trump durant la primaire républicaine intime aux Américains d'ouvrir des bouquins et de se coucher tôt, plutôt que de «regarder Friends en boucle», s'ils veulent rivaliser avec l'excellence des ingénieurs que le pays importe chaque année.
Au revoir les «soirées pyjama» et les «journées à zoner dans les centres commerciaux». Pour Vivek, il s'agit désormais de mieux éduquer les mioches, car «la culture américaine a vénéré la médiocrité au détriment de l'excellence pendant bien trop longtemps». Autrement dit, l'entrepreneur milliardaire justifie et défend l'engagement d'une main-d'œuvre étrangère qualifiée par le fait que l'Amérique a eu tort de glorifier le garçon populaire de l'école, au détriment du premier de classe.
The reason top tech companies often hire foreign-born & first-generation engineers over “native” Americans isn’t because of an innate American IQ deficit (a lazy & wrong explanation). A key part of it comes down to the c-word: culture. Tough questions demand tough answers & if…
— Vivek Ramaswamy (@VivekGRamaswamy) December 26, 2024
S'il précise bien que l'intelligence des citoyens n'est pas en cause, Vivek Ramaswamy a tout de même frôlé l'idée que les Américains seraient bêtes comme leurs pieds. C'est du moins ainsi que les apôtres MAGA et certains électeurs républicains l'ont accueilli, critiquant surtout un message que Donald Trump pourrait ne pas approuver.
Le puissant influenceur trumpiste Rogan O'Handley est allé plus loin. En réponse à cet uppercut culturel, le propriétaire du compte @DC_Draino a mis ses deux millions d'abonnés au garde-à-vous pour gronder le milliardaire.
Conscient que son copain venait de donner un grand coup de godasse dans une fourmilière sensible, Elon Musk est venu à la rescousse en jetant doucement de l'huile sur le feu, traitant plus ou moins les Américains de fainéants. Selon le patron de SpaceX, lui-même au bénéfice d'un visa H-1B à son arrivée aux Etats-Unis, «le nombre d'ingénieurs super talentueux ET super motivés aux Etats-Unis est bien trop faible». Bam.
En fouillant un peu, on réalise que 20% de la main-d'œuvre, dans les domaines des sciences, des technologies, de l'ingénierie et des mathématiques, est d'origine étrangère. Elon Musk, sans doute pour calmer un jeu qu'il ne maîtrisait plus, a sorti la carte basket-ball pour essayer de clarifier son point de vue.
Si Musk et Ramaswamy se disent pour le renvoi massif des immigrés illégaux – la priorité politique de Donald Trump, le son de cloche est tout autre au moment de zoomer sur les travailleurs hautement qualifiés, qu'ils engagent eux-mêmes depuis de nombreuses années. Un message qui se brouille très vite dans l'esprit des électeurs d'extrême droite, pointant ici un double discours. D'autant que leur culture se retrouve piétinée par deux milliardaires.
Même Nikki Haley, l'autre ancienne adversaire de Trump durant la primaire, a remis Vivek à l'ordre en lui rappelant les priorités des républicains:
Alors que le mouvement MAGA existe principalement grâce à la classe ouvrière blanche moins instruite, il est désormais sous le contrôle des milliardaires de l'industrie et de la tech, comme le rappelait notamment Axios vendredi matin. Cette lutte des classes était invisible quand elle se planquait derrière le dossier de l'immigration illégale, mais devient explosive quand deux riches entrepreneurs, eux aussi issus de l'immigration, envisagent de recadrer l'éducation des petits Américains.
Depuis la diatribe de Vivek Ramaswamy, le «Département de l'efficacité gouvernementale» semble vouloir privilégier l'excellence américaine à la préférence nationale. Alors que beaucoup d'électeurs de Trump traduisent «Make America Great Again» par rendre l'Amérique aux Américains, la clique à Musk aspire à écraser ses adversaires, qu'importe les armes à disposition.
Sur X, Donald Trump est resté très silencieux sur le sujet. Pas un mot depuis le 25 décembre, date à laquelle il a publié un GIF pour célébrer Noël... à sa manière.
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) December 25, 2024
Si cette guerre fratricide ne s'est pour l'heure pas étendue au-delà des algorithmes d'Elon Musk, considéré par ses détracteurs et les démocrates comme le «vrai président des Etats-Unis», elle augure peut-être un début de mandat plus compliqué qu'escompté. Musk n'a jamais été un trumpiste et Trump ne sera jamais un magnat de la tech. Un mariage arrangé dans lequel ils ont eu besoin l'un de l'autre. A un moment donné.
Le 20 janvier prochain, le 47e président des Etats-Unis aura tout intérêt à rappeler qui est le patron. Car les électeurs MAGA pourraient bien être les premiers à se réjouir d'un fracassant divorce.