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Bassem Youssef: «Les Palestiniens sont durs à tuer»

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Bassem Youssef: «Les Palestiniens sont durs à tuer, j'en ai épousé une!»

Ce célèbre cardiologue et comédien égyptien a propagé un humour noir plutôt coriace, à la télévision anglaise, en donnant son avis pro-palestinien sur les violences entre Israël et le Hamas. Morceaux choisis.
19.10.2023, 18:5520.10.2023, 08:15
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Bassem Youssef? Un sacré personnage.

Oui, vous avez raison, un bref curriculum s'impose pour mieux comprendre sa performance à la télévision anglaise mardi soir.

Aujourd'hui âgé de 49 ans et exilé à Los Angeles avec femme et enfant, notre homme est un satiriste, écrivain et producteur originaire des quartiers cossus du Caire. Depuis 2011, il injecte l'encre de sa plume acide et féroce dans les tuyaux de YouTube, puis des chaînes CBS et MBC en Egypte. Cardiologue de formation, il dit n'avoir jamais définitivement posé le scalpel, retournant parfois bosser à l'hosto entre deux émissions de télévision. Who knows?

Son succès sera à ce point instantané qu'en 2013, Time Magazine le glissera dans sa liste des «100 personnes les plus influentes dans le monde». Petit détail personnel qui aura toute son importance: la femme de Bassem Youssef, Hala, avec qui l'humoriste aura une fille, est originaire de Gaza.

«Personne ne devrait être au-dessus de la satire»
Bassem Youssef, sur EuroNews, expliquant qu'il a commencé à se moquer des puissants sur YouTube, et notamment des dirigeants de son pays, juste après la révolution égyptienne de 2011. Ses émissions seront régulièrement déprogrammées et censurées.

Mardi, Bassem Youssef fut l'invité de la célèbre émission du provocateur et conservateur anglais Piers Morgan. Il faut savoir que le journaliste, qui adore Donald Trump et déteste Meghan Markle, est une sorte de Tucker Carlson trempé dans la sauce Worcestershire, qui officie sur la chaîne TalkTV lancée par Rupert Murdoch.

En conviant le satiriste égyptien à s'exprimer sur le conflit qui fait rage entre Israël et le Hamas, il visait évidemment toutes ces étincelles de buzz qui bouteraient rapidement le feu à son audience. Et il a eu fin nez. Dans une interview en duplex depuis les Etats-Unis, qui durera près de trente minutes, Bassem Youssef offrira une pluie d'humour noir, notamment dans sa manière de décrire «la propagande israélienne» et la situation des habitants de Gaza.

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Avant de tout démolir sur son passage, avec une finesse inouïe, il commencera pourtant de façon assez classique.

«La famille de ma femme vit à Gaza. Leur maison a aussi été bombardée. Nous n'avons pas pu communiquer avec eux depuis trois jours, les lignes sont coupées»
Bassem Youssef

C'est sans doute ce lien du cœur qui lui permettra, ensuite, de dérouler son argumentaire pro-palestinien et de mettre particulièrement mal à l'aise un Piers Morgan qui, d'ordinaire, n'est pas le premier à se laisser déstabiliser. Car ce qui suit emprunte sans ceinture l'autoroute de la répartie.

«Vous savez, les Palestiniens sont toujours un peu dramatiques: "ooooh Israël nous tue!" Mais ils ne meurent jamais, ils reviennent toujours. Ils sont très difficiles à tuer. Je le sais, je suis marié à l'une d'entre elles!»
Bassem Youssef

Le journaliste anglais, qui tripote ses fiches pour se donner une contenance, tente alors de se fondre dans la satyre de son interlocuteur en affirmant «comprendre pourquoi» il verse ainsi dans «l'humour noir». Mais Bassem Youssef tournait déjà en bouche sa réponse, cinglante, qui repose sur un argumentaire souvent empoigné par Israël au sujet de la technique du Hamas.

«Oh ce n'est pas de l'humour noir. J'essaie moi-même de la tuer, mais je n'arrive pas à m'en débarrasser. Elle utilise nos enfants comme boucliers humains»
Bassem Youssef

On sourit, certes un peu jaune, et le malaise est à couper au sécateur. L'aisance avec laquelle l'humoriste égyptien évite constamment la sortie de route est à l'image de l'impuissance du maître de cérémonie à reprendre la main sur son émission. Piers Morgan, «pour revenir à un peu de sérieux», décide donc de le questionner sur la «réponse proportionnée à donner» à l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre. En toile de fond, il y a évidemment le bombardement de l'hôpital de Gaza, qui gronde entre les syllabes.

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Bassem Youssef dégaine alors un graphique qui comptabilise les morts d'un côté comme de l'autre ces dernières années: «Ça change tous les ans, vous savez, ça fluctue aussi rapidement que les cryptomonnaies. Alors ma question est la suivante: quel est le taux de change idéal, aujourd'hui, pour une vie humaine?» On le sait, surtout quand le sujet est aussi sensible, un invité qui retourne une question telle une reprise de volée sur terre battue, c'est le cauchemar de tout journaliste de télévision.

Piers Morgan se bornera à préciser que son travail «ne consiste pas à répondre aux questions». L'échange sera aussi long qu'extrêmement tendu entre les deux hommes.

«Mais si vous étiez Israël, quelle serait votre réponse proportionnée?»

«Oh, je ferais comme Israël fait: tuer le plus de gens possible, puisque le reste du monde me laisse le faire»
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Malin, Bassem Youssef anticipera la prochaine question du polémiste anglais: «Est-ce que je condamne le Hamas pour ses atrocités? Oui, je condamne le Hamas. Le Hamas est la source de tous les maux». Alors que Piers Morgan a manifestement toutes les peines du monde à définir précisément le niveau d'ironie de l'humoriste, ce dernier embraie en lui tendant un piège rhétorique:

«Vous savez quoi? Imaginons un monde sans le Hamas. A quoi ressemblerait ce monde? Donnons-lui un nom: la Cisjordanie. Le Hamas n'a aucune emprise sur ce territoire. Pourtant, durant les six premiers mois de l'année, 37 enfants palestiniens ont été tués. Pas de festival de musique, pas d'agresseurs en parapente, pas de Hamas. Depuis l'occupation de la Cisjordanie, 7000 Palestiniens ont été tués.»
«J'ai entendu Ron DeSantis et Ben Shapiro dire qu'Israël est la seule force armée qui avertit les civils avant de les bombarder. Putain comme c'est mignon! Avec cette logique, si la Russie faisait pareil avec l'Ukraine, plus de problème avec Poutine, n'est-ce pas?»
Bassem Youssef
Le provocateur de l'alt-right américaine Ben Shapiro, chez Piers Morgan, la semaine dernière.
Le provocateur de l'alt-right américaine Ben Shapiro, chez Piers Morgan, la semaine dernière.

«Israël devra tuer un maximum de fils de p*te»

Ce Ben Shapiro n'est pas cité par hasard par le satiriste égyptien. Le commentateur politique américain d'extrême droite était, lui aussi, face à Piers Morgan, une semaine plus tôt. Durant l'entretien, il avait dévoilé sa «solution» pour «s'assurer que l'attaque du 7 octobre ne puisse plus jamais se reproduire»: «Israël doit annexer Gaza et tuer le plus possible de fils de p*te. Tous ceux qui appellent à un cessez-le-feu doivent être considérés comme des sympathisants du Hamas». Bassem Youssef mettra alors la patience du journaliste anglais définitivement à terre.

«Dieu m'en garde, je ne veux surtout pas être considéré comme un sympathisant des terroristes! Alors je suis d'accord avec Ben Shapiro. Il faut qu'on tue un maximum de fils de p*te. Pour l'instant, 3500 fils de p*te ont déjà été tués, dont un tiers d'enfants.»
«Combien de fils p*te doit-on encore liquider pour que Ben Shapiro soit heureux?»
Bassem Youssef

L'humoriste égyptien n'avait en réalité qu'un seul objectif, en acceptant l'invitation de Piers Morgan: déstabiliser le débat et renvoyer le journaliste à ses lacunes géopolitiques, à ses propres contradictions. Bien sûr, il lui fallait surtout démonter soigneusement la «propagande israélienne». Dans une conclusion qui déboulera à grande vitesse, Bassem Youssef parviendra à tout faire d'un coup.

«Piers, si vous étiez palestinien...»

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Et la dernière salve est particulièrement retorse: «Si vous pensez qu'Israël bombarde Gaza afin que les habitants se retournent contre le Hamas, vous êtes alors en train de comparer Israël à Daesh, car c'est ainsi qu'ils opèrent! "Ooooh, Piers compare Israël à ISIS, ooooh" Vous savez, Israël, c'est comme un psychopathe narcissique: il parvient à vous faire croire qu'il est la victime.»

«Vous voyez sans doute Israël comme Superman alors qu'en réalité c'est Homelander»

Bassem Youssef fait ici référence à l'odieux personnage sadique de la série de super-héros The Boys.

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C’est ce qu’on appelle une démonstration par l’absurde. Sans ouvrir le débat sur le fond, la longue performance du comédien égyptien est, sur la forme, impressionnante. Les sympathisants de la cause palestinienne font désormais de Bassem Youssef leur nouvelle mascotte, considérant que cette interview «restera dans l'histoire», comme une «mise au point capitale» ou «une sévère humiliation des médias occidentaux». D'autres louent simplement le «talent» et «l'intelligence» du bonhomme. La séquence, elle, a été visionnée et partagée plusieurs dizaines de millions de fois sur les réseaux sociaux en à peine quelques heures, jusqu'au fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, jeudi midi.

N'étant jamais parvenu à reprendre la main sur sa propre émission, Piers Morgan, qui aime autant les clics que les clashs... a été généreusement servi.

«Les Palestiniens sont durs à tuer, je le sais, j'en ai épousé une!»
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