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«Les navires des pays riches volent le poisson des plus pauvres»

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«Les navires des pays les plus riches volent le poisson des gens les plus pauvres»

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20.05.2021, 17:0720.05.2021, 17:56
Corsin Manser
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Peter Hammarstedt passe la majeure partie de l'année en haute mer. Il traque les bateaux de pêche illégale pour l'ONG Sea Shepherd. Depuis le succès du documentaire Netflix Seaspiracy, le thème de la surpêche est également devenu un grand sujet en Suisse. Peter Hammarstedt, qui apparait dans Seaspiracy, s'est confié à watson sur son travail.

Il explique pourquoi l'Europe est aussi un acteur du problème et raconte une découverte improbable sur un bateau de pêche espagnol au large des côtes du Liberia. Le skipper de 37 ans explique également ce qui se passe lorsque les mers sont surpêchées et se demande si nous ne devrions pas tous complètement renoncer au poisson.

On s'est entretenu avec Hammarstedt par Zoom, qui est à Los Angeles, où il vit lorsqu'il n'est pas en mer.

Vous savez quel était mon plat préféré quand j'étais étudiant et que je n'avais pas d'argent?
Peter Hammarstedt: Non, dites-le-moi.

Des spaghettis avec du thon en boîte et de la mayonnaise.
Ok...

Mais, plus tard, en regardant le documentaire de Netflix Seaspiracy, je me suis senti assez mal en repensant à ces repas d'étudiants.
Oui, Seaspiracy a fait réfléchir beaucoup de gens sur la problématique de la surpêche. Paul McCartney a dit un jour: «Si les abattoirs avaient des murs en verre, nous serions tous végétariens». Quant à la pêche industrielle, elle se pratique à des centaines ou des milliers de kilomètres des côtes, ce qui explique que les gens y pensent encore moins qu'à la production de viande. Je suis très heureux qu'il y ait maintenant des discussions sur l'état de nos océans.

Mais, mon thon en conserve était accompagné d'un label de durabilité. Que pensez-vous de ces étiquettes?
Les labels seraient une véritable aide si les règles en mer étaient également respectées. Si elles ne sont pas respectées, les étiquettes sont trompeuses pour les consommateurs.

Vous faites également une apparition dans Seaspiracy, où vous dites que les étiquettes masquent ce qui se passe réellement sur les océans du monde. Qu'est-ce que vous entendez par là?
Je vais vous donner un exemple concret: il y a environ trois ans, nous avons soutenu les garde-côtes du Liberia. Nous avons arrêté un bateau appelé le Star Shrimper XXV. Il s'agissait d'un navire nigérian qui était entré dans les eaux libériennes sans autorisation. Ce navire pêchait des crevettes et disposait d'un certificat de durabilité pour l'exportation vers les Etats-Unis et l'Europe. Selon ce certificat, le navire aurait dû avoir un dispositif dans son filet pour protéger les tortues. Le dispositif dit «d'exclusion des tortues» (TED), qui leur permet de s'échapper du filet. En fait, il y avait un TED à bord, mais l'équipage ne l'a pas utilisé pendant la pêche. C'est pourquoi les inspections en mer sont si importantes.

Nous reviendrons plus tard sur la "piraterie maritime". Après tout, le documentaire fait également l'objet de certaines critiques. Mais d'abord, parlons de l'ONG Sea Shepherd, pour laquelle vous avez travaillé en tant que capitaine. Quel est exactement votre travail?
Nous avons des missions dans le monde entier. Mais restons en Afrique de l'Ouest. Nous y avons des partenariats avec huit pays. Nous aidons les garde-côtes, en mettant à leur disposition nos navires et notre expertise. Ainsi, nous avons pu arrêter 68 navires pratiquant la pêche illégale ces dernières années. Au large du Liberia et du Gabon, nous avons pratiquement pu mettre fin à la pêche illégale au cours des cinq dernières années.

Pourquoi faut-il une ONG comme Sea Shepherd? Les pays ne peuvent-ils pas contrôler leurs propres eaux?
Les pays avec lesquels nous travaillons ont des garde-côtes, mais ils n'ont pas forcément les navires nécessaires pour surveiller les eaux. Je vais vous donner un autre exemple...

Je vous écoute.
En 2015, nous avons suivi le bateau de pêche le plus célèbre du monde, le Thunder. Celui-ci a réalisé un bénéfice de 60 millions de dollars US en dix ans, grâce à la pêche illégale. Nous avons chassé le Thunder de l'Antarctique à l'Afrique de l'Ouest. Dans le golfe de Guinée, son capitaine a finalement renoncé et a coulé le navire pour détruire les preuves. Nous avons sauvé l'équipage du Thunder et l'avons remis aux garde-côtes de São Tomé. Cependant, les garde-côtes ne disposent que de deux navires qui ne peuvent s'éloigner de la côte que de 20 milles nautiques au maximum. Comme le Thunder avait coulé à 80 miles nautiques de la côte, les garde-côtes de São Tomé n'auraient pas été en mesure de patrouiller à cet endroit. La zone économique exclusive de São Tomé s'étend même jusqu'à 200 miles nautiques en mer.

Vous faites principalement référence aux problèmes de l'Afrique de l'Ouest. Quelle est la situation de la surpêche en Europe?
La flotte de pêche européenne est actuellement environ deux fois et demie trop importante pour pratiquer une pêche durable dans ses propres eaux. C'est pourquoi les navires européens se déplacent vers l'Afrique de l'Ouest. La pêche européenne et la surpêche en Afrique de l'Ouest sont très liées.

Vous arrêtez donc aussi les navires européens au large de l'Afrique de l'Ouest?
La majorité des 68 navires que nous avons arrêtés étaient des navires chinois. Les Chinois disposent d'une flotte de 17 000 navires qui pêchent loin de chez eux, car les stocks de poissons en Asie du Sud-Est se sont en quelque sorte effondrés. Mais certains des navires venaient aussi d'Europe.

Quels pays?
Principalement d'Espagne.

Des navires partent donc de Malaga pour pêcher au large de l'Afrique de l'Ouest?
La Commission européenne signe des contrats dits «fish-for-money» avec des pays en développement du monde entier. Elle verse une certaine somme d'argent en échange des droits de pêche. Les pays reçoivent environ cinq à dix pour cent de la valeur du poisson pêché. La plupart du temps, il s'agit de thon.

Mais ce n'est pas illégal...
Si les navires respectaient les règles. Mais c'est difficile à vérifier, comme expliqué précédemment. Sur les 68 navires que nous avons arrêtés, environ la moitié pêchait trop près des côtes.

Qu'est-ce que ça veut dire?
En Gambie, environ 200 000 des deux millions d'habitants vivent directement de la pêche. Les gens pêchent principalement dans de petits bateaux au large de la côte. Pour protéger les moyens de subsistance de la population côtière, le gouvernement a établi une zone de neuf milles nautiques dans laquelle aucune pêche industrielle n'est autorisée. Cependant, comme le gouvernement ne dispose pas des navires nécessaires pour contrôler cette zone protégée, les pêcheurs locaux signalent chaque nuit que de grands navires de pêche s'approchent à moins d'un mille marin de la côte. Avec des conséquences fatales pour la population locale.

Lesquelles?
Les gros navires détruisent les filets des petits pêcheurs et éperonnent les canots. Les gens se noient encore et encore. En outre, les stocks de poissons diminuent, ce qui crée des problèmes alimentaires pour la population locale. Les navires des nations industrielles les plus riches volent le poisson des personnes les plus pauvres du monde.

Des navires européens allant à huit miles nautiques dans des eaux abritées?
C'était surtout des navires chinois. Les navires européens sont surtout plus éloignés pour la pêche au thon. Mais il y a des violations ici aussi.

Par exemple?
Avec les garde-côtes libériens, nous avons pu arrêter un navire espagnol. Il avait en fait une licence pour la pêche au thon. Mais il n'y avait pas un seul thon à bord, seulement des requins et des ailerons de requins. Il y avait également une usine de production pour extraire l'huile des foies de requin. Tous les 18 jours, ce navire produisait 50 tonnes d'huile de foie de requin. Pour produire cette quantité, il faut tuer 66 000 requins des grands fonds. Donc ce bateau tuait plus d'un demi-million de requins par an.

Et maintenant, Sea Shepherd est censé résoudre ce problème? Avec tout le respect que je vous dois, votre ONG ne peut prétendre sauver les océans...
Non, Sea Shepherd ne va pas sauver tous les océans. Mais nous n'avons pas à le faire.

Que devrions-nous faire?
Il n’est pas question de sauver tous les océans. On devrait protéger les zone sensibles à la biodiversité. Beaucoup de gens se font une fausse idée de la pêche.

Alors expliquez-nous.
Beaucoup de gens pensent que l'on peut attraper du poisson n'importe où dans l'océan. Mais la plupart des poissons se rassemblent sur le plateau continental, sur les systèmes de récifs et dans les zones proches de la côte. 85% des poissons sont capturés dans les eaux d'un pays. Nous devons identifier les zones critiques et les protéger. Sur terre, nous avons réalisé que nous avions besoin de parcs nationaux. Nous avons donc également besoin désormais de ce que l'on appelle des parcs marins, ou des aires marines protégées, qui sont patrouillés pour créer une résilience écologique.

Vous avez l'air confiant. Les océans peuvent-ils réellement se reconstituer avec de nouveaux parcs marins, ou est-il déjà trop tard?
Non, les océans peuvent se rétablir incroyablement vite. Les poissons sont très productifs...

...si on leur en donne l'occasion.
Exactement. Des efforts sont actuellement déployés pour déclarer 30% des océans en zones protégées d'ici 2030. C'est un objectif qu'il faut absolument poursuivre. A l'heure actuelle, seuls un peu moins de 3% des océans du monde sont protégés.

Alors revenons à Seaspiracy. Dans le documentaire, il est dit que les océans du monde seront épuisés d'ici 2048. Mais ce chiffre est très controversé...
Bien sûr, vous pouvez discuter de ce chiffre. La réalité est que nous vivons une crise des océans. Au cours des 50 dernières années, la population de requins a diminué de 90%. Selon l'ONU, 90% des zones de pêche ont été exploitées. Et pour couronner le tout, il y a le changement climatique. Les Nations unies estiment que la population de poissons au large du Nigeria diminuera de 85% d'ici 2100, uniquement en raison du réchauffement de l'eau. Mais je sais que d'autres numéros du film sont également controversés.

Par exemple, la quantité de plastique dans les océans du monde qui est censée provenir des filets de pêche. Le documentaire affirme que ce pourcentage est d'environ 50%.
Prenons une estimation plus prudente, selon laquelle seulement 20% du plastique présent dans les océans du monde provient des filets de pêche. Cela représente tout de même des millions de tonnes de plastique conçu pour tuer des animaux. Nous pouvons débattre des détails, mais nous perdons alors la vue d'ensemble. A savoir, que nous avons un problème.

«Si l'océan meurt, nous ne serons pas en mesure de survivre»

Que se passe-t-il réellement si nous vidons complètement les océans?
Environ 50% de la population mondiale vit sur la côte. Pour la plupart de ces personnes, le poisson est la principale source de protéines. Si les stocks de poissons s'effondrent, nous assisterons à des flux migratoires massifs. En outre, les océans produisent une grande partie de notre oxygène et absorbent une grande quantité de CO2. Si nous retirons les poissons de l'océan, cela affectera le phytoplancton et la quantité de CO2 que les océans peuvent absorber. C'est un problème important pour nous. Avec un océan mort, nous ne sommes pas en mesure de survivre.

Une autre critique du film est qu'un homme privilégié dit au monde entier d'arrêter de manger du poisson. Pourtant, des millions de personnes n'ont pas le choix, elles dépendent des protéines de la pêche.
Oui, mais il faut se rappeler que c'est un film Netflix. Le public de Netflix est en grande partie occidental et vit dans des zones urbaines. Je ne pense pas que l'intention des réalisateurs était d'interdire aux Libériens de manger du poisson. Le film met également l'accent sur les types de poissons que les gens comme vous et moi achètent au supermarché. Comme le thon en boîte que tu vous mangiez avec des spaghettis et de la mayonnaise.

Recommanderiez-vous également de complètement arrêter de manger du poisson?
Je suis végétalien depuis 19 ans. J'ai choisi de ne pas manger de poisson, mais je suis également conscient de ma position privilégiée. Je pense que la plupart des habitants de Suisse et du monde occidental pourraient facilement passer à une alimentation à base de plantes. Dans les pays en développement comme le Liberia, ce n'est pas réaliste. Mon expérience en haute mer m'a montré que lorsque vous achetez du poisson au supermarché, dans la plupart des cas, vous ne pouvez pas savoir avec certitude d'où il vient et comment il a été pêché.

Ce que disent les détaillants suisses
Nous avons demandé aux détaillants suisses comment ils gèrent les rapports critiques sur les labels tels que le MSC. Voici leurs réponses (quelque peu abrégées):

Coop:
«Chez Coop, tous les produits de la pêche sont inspectés par le WWF en ce qui concerne les matières premières utilisées. Il existe également une chaîne de traçabilité complète, du navire de capture à Coop. Cela garantit que notre poisson portant le sceau MSC provient d'une pêcherie durable certifiée. La part du MSC dans notre gamme de prises sauvages est de 70,1%. Toute notre gamme de poissons et de fruits de mer provient de sources auditées par le WWF et classées comme recommandables ou acceptables.»

Migros:
«Aujourd'hui, une grande partie de tous les poissons et fruits de mer vendus à Migros proviennent de sources durables. En outre, Migros mise sur des labels de confiance (MSC, ASC et Migros Bio), qui posent actuellement les exigences les plus strictes. Migros a également fait œuvre de pionnier en convertissant l'ensemble de l'assortiment de thon rose de ses propres marques à la pêche durable dite à la canne. Le WWF inspecte chaque année l'ensemble de l'assortiment de Migros. Si les nouveaux stocks sont menacés par la surpêche, ils sont retirés de la liste ou changent d'origine. [...]

Pour Migros, MSC est donc un pas dans la bonne direction. Le MSC reste également – toujours selon le WWF – la norme la plus stricte au monde en matière de capture sauvage durable. Migros est toutefois d'avis que la norme présente encore des lacunes et qu'elle doit être développée et améliorée en permanence. C'est pourquoi nous nous engageons activement auprès du MSC et proposons des mesures d'amélioration.»

Aldi:
«En proposant une gamme croissante de produits certifiés MSC, ALDI contribue à une gestion plus durable des pêches commerciales en tenant compte de la santé à long terme des stocks de poissons et des impacts sur les écosystèmes. Nous considérons que MSC est le meilleur système de certification actuellement disponible sur le marché pour faire progresser la pêche durable. [...] Toutefois, nous considérons également que certaines critiques sont justifiées et que des améliorations sont possibles dans certains domaines. En tant que négociant de produits certifiés MSC, nous plaidons donc activement pour que le MSC travaille à l'amélioration de la norme et à la mise en œuvre des exigences. [...] Tant que nous pouvons comprendre que le MSC prend au sérieux les critiques justifiées et travaille efficacement à des améliorations, nous continuons à soutenir la norme et à recommander à nos clients d'opter pour des produits certifiés MSC.»

Lidl:
«Lidl Suisse partage l’avis de son partenaire WWF Suisse: bien que le MSC ne réponde actuellement pas entièrement aux exigences de durabilité demandées par le WWF, les produits certifiés MSC sont clairement préférables aux produits conventionnels sans label. [...]

Lidl considère la préservation des écosystèmes marins et la protection des stocks de poissons pour les générations futures comme l'un des principaux défis de notre époque. Grâce à notre gamme de produits, nous soutenons les efforts des organisations internationales de normalisation telles que le MSC. En même temps, nous exigeons que le MSC s'améliore sans cesse et nous échangeons constamment avec les responsables.» (cma)

Article traduit de l'allemand par Sejla Besic.

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source: sda / gian ehrenzeller
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