On ignore si Kwasi Kwarteng s'attendait à fêter son nouveau poste avec flûte de champagne et petits fours. Mais, au Royaume-Uni, l'heure n'est pas aux réjouissances. C'est un plat de résistance qui a été déployé sur la table du «nouveau chancelier de l'Echiquier»: récession, inflation, taux d'intérêt en hausse, factures qui enflent et défauts de paiements massifs, sur fond de crise de l'énergie historique.
En résumé: les pires perspectives pour l'économie britannique depuis le krach bancaire de 2008. Un menu un peu lourd, vous en conviendrez. Heureusement, le numéro deux de Liz Truss a la dent dure, soif de défis et un solide appétit politique.
Un mètre 96, un look de «geek débraillé», un «rire tonitruant» et une «voix éclatante» qui résonne dans les halls de Westminster: Kwasi Kwarteng, libéral pur jus, apôtre de l'impôt faible et de l'économie de marché, est une figure incontournable de la politique britannique.
Sa personnalité flamboyante, son esprit de libre-penseur, sa langue bien pendue et son cerveau pas tout à fait branché comme le nôtre lui valent le sobriquet de «Boris noir» - même s'il refuse de thématiser sa couleur sa peau. «Il n'aime pas les trucs de politique identitaire», témoigne un ancien collègue au Evening standard.
Comme Boris Johnson, ce trublion de la politique britannique est coutumier des couverture des tabloïds. Ce, depuis son plus jeune âge: en 1995, l'adolescent fait la une du Sun à l'occasion du BBC university challenge, genre de Questions pour un champion à la sauce universitaire. Pas tant pour sa victoire écrasante que pour avoir appuyé sur le buzzer... un peu trop vite.
Ne vous fiez pas aux origines «modestes» de ses parents, étudiants immigrés du Ghana dans les années 60: Kwasi Kwarteng s'est formé sur les bancs confortables des plus prestigieuses universités. Pour ne citer qu'elles: Eton college, Cambridge, Harvard.
N'en déplaise à son prénom, Akwasi (traduisez: «né un dimanche»), l'adolescent est un acharné du travail: il alimente son cerveau hyperactif et son CV en alignant diplômes et bourses d'études. (En fait, il est né un lundi.)
On le dit débordant d'assurance. Parfois à l'excès. A 17 ans, au moment d'entrer au Trinity college, il lance au tuteur chargé de son entretien d'admission, arrivé en retard: «Ne vous inquiétez pas Monsieur, je suis sûr que vous vous en sortirez très bien».
Son doctorat d'histoire économique en poche, le trentenaire «ingouvernable et échevelé» travaille sa patte et sa plume en tant qu'analyste financier et chroniqueur au Daily telegraph. Avant de céder aux sirènes de la politique, «qui l'a toujours attiré», selon ses propres mots. Après un échec en 2005, Kwarteng devient enfin député.
Huit ans de persévérance et de travail dans sa circonscription du Surrey plus tard, Kwasi Kwarteng accède enfin au Parlement britannique avec la fameuse «classe 2010», volée de politiciens qui comptent Liz Truss, Priti Patel et Sajid Javid. En 2016, son engagement actif pour le Brexit lui vaut une promotion: le poste de ministre-adjoint au département de la sortie de l'Union européenne (UE).
Vous vous en doutez, Kwasi Kwarteng ne remplit pas ses (rares) moments de temps libre comme le commun des mortels. Tandis nous nous plantons passivement devant une série sur Netflix, ce polyglotte (qui se pique de parler grec, français, latin, italien et allemand) se détend en écrivant des livres et des poèmes (en latin, sinon ce ne serait pas drôle).
Mais rassurez-vous: même l'homme le plus cérébral de la Terre a besoin de son lot quotidien de plaisirs physiques. Parmi ceux du ministre: le cricket.
Et sinon? Les femmes politiques. Outre une passion pour Margaret Thatcher, à laquelle il a consacré un livre, Kwasi Kwarteng s'est taillé une réputation de séducteur au sein du parti conservateur. Parmi les personnalités de haut rang qu'il a fréquentées (c'est plus commode de trouver l'amour sur son lieu de travail), rien de moins que l'ancienne ministre de l'Intérieur Amber Rudd. Leur romance intermittente vaut au couple de collègues de figurer dans le fameux «sexminster», enquête d'iNews sur la vie amoureuse et le harcèlement sexuel au sein des députés.
Mais c’est avec une avocate (dont la longueur du CV rivalise avec le sien), Harriet Edwards, que Kwazi Kwarteng compte finir ses jours. Mariés depuis 2019, ils sont les heureux propriétaires d'une maison victorienne avec jardin, à quelques millions de livres au cœur de Londres, et parents d'une petite fille, née l'année dernière.
Outre Margaret Thatcher, s'il est une femme qui a définitivement marqué Kwasi Kwarteng, c'est son amie et collaboratrice de toujours: Liz Truss.
C'est peu dire que «Batman et Robin», ainsi surnommés, partagent la même vision du monde, un libéralisme exacerbé à la sauce thatchérienne, au point d'écrire un livre à quatre mains, Britannia unchained, en 2012. Leur conclusion?
Le 6 septembre 2022, l'ancien faucon fiscal devient le nouveau chancelier de l'Echiquier du Royaume-Uni. Avec la lourde tâche de garantir les prix de l'énergie aux ménages et aux entreprises. «Il y a beaucoup de pression sur Kwasi Kwarteng», confirme début septembre Tony Travers, professeur à la London school of economics, interrogé par l'Agence France-presse (AFP). En effet, sa performance est intrinsèquement liée à la longévité politique de Liz Truss.
C'est mal parti: son plan budgétaire au nom gentillet de «mini-buget» a eu vite fait de mettre le feu aux poudres et les marchés en émoi. En plus d'un soutien massif aux ménages pour leurs factures d'énergie, ce plan «audacieux» (selon son concepteur), promet des baisses d'impôts très coûteuses qui font frémir les investisseurs. Verdict: une chute de près de 10% de la livre sterling.
Le désaveu de sa première ministre, lundi 3 octobre, en abandonnant la mesure phare de son plan ne fait pas osciller d'un centimètre le cap de Kwasi Kwarteng. Pour lui, cette baisse d'impôts pour les plus riches «était une énorme distraction» qui éclipsait «un ensemble solide de mesures».
Le jour-même, sur la BBC, Kwarteng exclut de démissionner et de reconnaître son erreur. Fort (ou faible) de sa confiance, le chancelier passe peut-être à côté d’une évidence: il ne joue pas seulement sa carrière, mais l’économie de son pays.