L’antivax et l’antisémite. Bigard et Dieudonné. L’affiche était à la fois monstrueuse et prometteuse. Reconnaissons-le: elle déchirait. Les deux bonshommes ont leurs défauts, mais ils ont de la bouteille. Du cent ans d’âge. C’était digne du Voyage au bout de la nuit de Céline illustré par Tardi: de l’humanité toute bousillée, hilare comme à la foire; du saltimbanque à ne pas faire asseoir sur son sofa; du soldat comme on ne veut pas en voir. Foutu pour foutu, tel était le nom de ce futur spectacle associant un proscrit, Dieudonné, et un gueulard qui risquait la proscription à son tour. Bigard a préféré renoncer.
«J’avais pourtant prévenu Jean-Marie que ce spectacle, Foutu pour foutu, qui porte bien son nom, allait être l’ultime combat de deux bouffons, deux gueules cassées du rire, engagées dans un combat à mort contre les forces brutales de l’argent, du mensonge, de leurs politiques et de leurs médias», partage Dieudonné dans sa dernière vidéo postée le 10 août sur YouTube.
Dit comme ça, on peut comprendre que Jean-Marie Bigard se soit retiré du «projet». Il n’avait peut-être pas envie de vivre ses derniers instants. Antisystème à ses heures, mais pas kamikaze.
Au début, le 29 juillet, quand l’annonce de ce spectacle est sortie des tréfonds, on n’y a pas vraiment cru, comme le rapporte le 6 août Libération, qui suspecte alors l’arnaque et l’escroquerie – Dieudonné peut donner des leçons de morale sur l’argent, avec le fric, c’est pas un manche.
Entre le 29 et le 6, Bigard a eu le temps de se raviser: «Coucou les amis! Il n’y a pas de spectacle avec Dieudonné! Tout le monde peut reprendre des activités normales !» Jean-Marie le couillu la joue distant. En réalité, il pétoche. Des «amis» l’auraient dissuadé de monter sur scène avec le sulfureux Dieudo: Laurent Ruquier, Laurent Baffie, Elie Semoun.
Ça ne se passera pas comme ça! La productrice de Bigard, Chrystel Camus, précédemment celle de Dieudonné, a engagé de l’argent: 72 dates de représentation seraient déjà fixées, 30 000 billets auraient été écoulés auprès de la fanosphère en à peine dix jours. Camus réclame 800 000 euros à Bigard pour prix de sa dédite.
N’appréciant pas ce lâchage sur la route du succès – quelle affiche, il est vrai –, Dieudonné, en roi des matous, commet une première vidéo où il s’en faut peu qu’il ne traite Bigard de petite bite. Mais surtout, il donne des preuves que Bigard s’est bel et bien engagé pour Foutu pour foutu. A coups de pied dans le cul s’il le faut, il tiendra son rôle de gueule cassée, le Jean-Marie.
En mode «silencieux» depuis le 30 juillet, Bigard, acculé par Dieudonné, réagit, mardi, sur sa page officielle Instagram. Il l’admet: il devait monter sur scène avec Dieudonné, «mais après réflexion, compte tenu des pressions…» La suite, on la connaît, il renonce. Au passage, il rend un hommage mi-lard mi-cochon à Dieudonné, «l’un des humoristes les plus doués de sa génération». Il aurait pu dire «le meilleur de sa génération», quand même.
Pas grave, Dieudonné le réprouvé prend le demi-compliment pour une reconnaissance de la profession – après tout, Bigard, malgré son complotisme, n’est pas tout à fait encore un banni.
Si bien que dans sa vidéo du 10, Dieudonné se montre magnanime avec son ex-futur partenaire, sans manquer de se grandir lui-même à l’évocation du forfait de ce dernier. «C’était si grand, dit-il sitôt après avoir glissé une quenelle dans son propos, qu’ils ont exercé sur le maillon le plus faible de notre duo une pression inimaginable.»
Trahison avouée à moitié pardonnée? Bigard, qui aurait des ennuis d’argent, serait «épuisé».
Dieudonné n’abandonne pas la partie. Tel un directeur de cirque dont le chapiteau aurait brûlé, il annonce que la tournée de Foutu pour foutu aura tout de même lieu. Non plus avec un seul partenaire, mais avec une ribambelle d’humoristes qui, excités à l’idée de remplacer Bigard, se relaieront de ville en ville aux côtés du maître.
Y’a pas à dire, l’affiche première, celle de Bigard et Dieudonné pour effrayante qu’elle fût, avait une sacrée gueule.