En Russie, les opposants au régime de Poutine n'ont pas la vie facile. Depuis le début de la guerre en Ukraine, il y a un an, la situation est devenue encore plus tendue. Ceux qui élèvent leur voix risquent de longues peines de prison, et avec la «mobilisation partielle» de septembre, la vis a encore été serrée.
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Beaucoup n'ont d'autre choix que de fuir à l'étranger. Un million de Russes auraient quitté le pays depuis le début de la guerre. Comme les visas pour l'Union européenne sont devenus difficiles à obtenir, beaucoup sont partis en Arménie, en Géorgie ou au Kazakhstan. Ils ont souvent été aidés par un réseau d'aide qui s'organise en ligne.
L'organisation In Transit («en transit» en français), basée à Berlin, en fait partie. Selon le New York Times, cette dernière a été fondée par trois femmes de Saint-Pétersbourg, dont l'identité est gardée secrète pour des raisons de sécurité. Leur démarche rappelle celle de l'Underground Railroad qui avait aidé les esclaves noirs à fuir vers le Nord avant la guerre civile américaine.
Le quotidien américain a suivi l'exil de trois jeunes femmes âgées de 16, 17 et 19 ans, originaires de Vladivostok, dans l'est de la Russie. Elles faisaient partie d'un groupe de discussion antiguerre et ont été accusées par un membre d'avoir planifié un incendie criminel contre un centre de recrutement de l'armée.
Elles se sont cachées dans la maison d'un ami et sont entrées en contact avec l'organisation. Le groupe aide notamment à trouver des voitures, de l'argent, des hébergements et des visas pour le passage de la frontière. Dans le cas des filles, la destination était le Kazakhstan, à environ 6500 kilomètres de Vladivostok. Elles y sont arrivées après une odyssée de six jours dans six voitures différentes.
Un exil, c'est loin d'être une promenade de santé. C'est même un parcours semé d'embûches. Par exemple, l'un des chauffeurs aurait roulé tellement vite qu'il aurait «livré» les jeunes femmes six heures avant l'heure prévue dans une ville de Sibérie. Les personnes qui ont aidé à la fuite ont dû improviser une cachette pour que les jeunes filles ne tombent pas entre les mains de la police.
D'autres Russes partagent l'expérience de ces trois femmes. Comme cette économiste de 60 ans, appelée Irina par le New York Times. Elle s'était occupée d'un groupe de réfugiés de Marioupol en Ukraine et s'était retrouvée dans le collimateur des services secrets FSB, le successeur du KGB soviétique.
Après un interrogatoire d'une heure, Irina a été emmenée dans une forêt et battue. «On va t'enterrer ici!», aurait crié l'un des hommes du FSB. Cinq heures plus tard, elle est finalement relâchée et décide à son tour de quitter le pays grâce à In Transit et à un visa humanitaire délivré par l'Allemagne aux opposants au régime.
Ce n'est apparemment pas un hasard si de nombreuses femmes s'engagent dans l'aide aux réfugiés. Autre exemple: le réseau «Résistance féministe contre la guerre» qui, selon la Deutsche Welle – le service international de diffusion de l’Allemagne –, est actif dans une centaine de villes en Russie et à l'étranger. Il est coordonné par Lilija Weschewatova, qui vit aujourd'hui à Erevan, dans la capitale arménienne.
Lilija Veshevatova avait été arrêtée deux fois après des manifestations contre la guerre et avait quitté le pays en mars. Depuis, elle soutient tous ceux qui veulent fuir. Après l'épisode de mobilisation partielle, les hommes aussi ont eu besoin de fuir. Du travail supplémentaire pour les féministes de l'organisation qui ont «conseillé, acheté des billets, organisé des bus et hébergé des personnes», explique Lilija Weschewatova.
Plusieurs centaines de femmes activistes en Russie et à l'étranger ont été impliquées, a confié Lilija Veshevatova à la Deutsche Welle. Elle a elle-même aidé 60 hommes à émigrer. L'exemple d'Oleksandr, un acteur russo-ukrainien âgé de 32 ans et originaire de Donetsk, montre à quel point la situation peut être tendue.
Après la prise de pouvoir des séparatistes avec l'aide de la Russie en 2014, il avait déménagé à Moscou. Dès le début de la mobilisation, ses employeurs municipaux l'ont envoyé dans un centre de recrutement en lui assurant que les citoyens ukrainiens ne devaient pas s'engager. Au lieu de cela, on a voulu le faire monter dans un bus.
Oleksandr a escaladé la fenêtre de la salle de bain et a sauté dans la rue. Il a couru pendant 30 minutes, persuadé d'être poursuivi. Par l'intermédiaire de l'«ami d'un ami», il a contacté In Transit et s'est enfui de Russie. Il a confié au quotidien new-yorkais être tourmenté par des cauchemars plusieurs mois après encore.
Pourtant, il ne regrette pas son choix. Plusieurs de ses amis sont morts au combat. In Transit n'aurait encore «perdu» aucun réfugié, contrairement à d'autres organisations.
La fuite est en partie déjouée par des dénonciateurs, parfois des membres de sa propre famille. Le réseau féministe en a fait l'expérience.
La vague d'exode se poursuit toujours. Elle touche même les plus hauts gradés, selon les déclarations du militant des droits de l'homme Vladimir Osetchkinev à CNN. Ce dernier vit en exil en France depuis 2015. De nombreux agents du FSB et des soldats ordinaires songeraient à s'enfuir, mais aussi un ancien ministre du gouvernement et un ancien général trois étoiles.
Vladimir Osetschkin apporte son aide et se met lui-même en danger. En septembre dernier, il a été victime d'une tentative d'assassinat alors qu'il servait le repas à ses enfants. «C'est à ce moment-là que j'ai compris ce que je faisais endurer à ma famille». Aujourd'hui, il se trouve sous protection policière 24 heures sur 24.
Mais cela ne l'empêche pas de continuer. En janvier, il a fait partie des personnes qui ont aidé le commandant de Wagner, Andreï Medvedev, à s'enfuir. Ce dernier aurait rejoint la Norvège à pied (les circonstances de sa fuite sont controversées). Vladimir Osetschkin sait que Moscou pourrait tenter d'infiltrer son organisation et de discréditer son travail.
Mais ni lui ni ses collègues passeurs n'envisagent d'arrêter. Car le risque de se faire intégrer de force à l'armée est toujours bien présent. Côté ukrainien aussi, la situation est tendue. Certains tentent d'échapper à l'enrôlement dans l'armée, malgré l'interdiction de quitter le territoire. La pression pèse donc sur les deux populations.