International
Union Européenne

Comment les firmes suisses profitent de la guerre en Ukraine

ARCHIV - ZU DEN JAHRESZAHLEN VON GLENCORE -- Der Hauptsitz von Glencore am Donnerstag 14. April 2011 in Baar im Kanton Zug in der Schweiz. (KEYSTONE/Urs Flueeler)
Glencore a réalisé au premier semestre 2022 un bénéfice de 846% supérieur à celui de l'année précédente.image: keystone

Les firmes suisses qui profitent de la guerre ne payent pas de taxes spéciales

Les négociants en matières premières enregistrent actuellement les plus gros bénéfices de leur histoire. De nombreux pays européens prélèvent des impôts spéciaux sur ces recettes. La Suisse ne veut pas (encore) en entendre parler.
26.09.2022, 06:2526.09.2022, 16:30
Dennis Frasch
Dennis Frasch
Dennis Frasch
Suivez-moi
Plus de «International»

La guerre en Ukraine fait des ravages dans le porte-monnaie de millions de personnes. Conduire une voiture, chauffer son appartement, recharger son téléphone portable – tout devient sensiblement plus cher.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres, devrait-on dire à ce stade. Car certaines entreprises profitent énormément de la hausse des prix de l'énergie. Surtout dans notre pays.

En cause: la Suisse sert de plateforme mondiale au négoce de matières premières. Elle est ainsi leader sur le marché planétaire de différents produits agricoles – 50% de tout le sucre et de toutes les céréales sont négociés en Suisse. Pour le pétrole, la part du marché mondial atteint 35%, et même 60% pour les métaux. Les cinq plus grandes entreprises helvétiques (d’après leur chiffre d'affaires) sont actives dans le commerce des matières premières. Et elles vivent actuellement l'une des meilleures années de leur histoire.

Prenons Glencore: la plus grande firme de notre pays a réalisé un bénéfice de plus de 12 milliards de dollars au premier semestre 2022. Pour la même période l’an dernier, ce chiffre était encore d'à peine 1,3 milliard. Soit un accroissement de 846%. La situation est similaire chez Gunvor: l'entreprise genevoise de négoce de pétrole a enregistré un bénéfice d'un peu plus de 2 milliards entre janvier et juin. L'année dernière, la somme se montait à 642 millions. De son côté, Vitol avait déjà annoncé une année record en 2021 avec 4,2 milliards de dollars de bénéfices. Au premier semestre 2022 – soit à mi-parcours – il était déjà de 4,5 milliards.

Les quelque 550 négociants en matières premières de Suisse devraient connaître une situation similaire. Une analyse précise reste néanmoins complexe, car la plupart des entreprises ne sont pas cotées en bourse et ne publient volontairement aucune recette. Le secteur se fait extrêmement discret.

Des bénéfices pour une décennie d'investissements dans le renouvelable

Ces gains énormes sont communément appelés «windfall profits», soit bénéfices aléatoires. Dans un rapport, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que près de 2000 milliards de dollars seront générés de la sorte cette année. Et ce uniquement dans le secteur du pétrole et du gaz.

Image

Selon l'AIE, ce montant suffirait à financer près d'une décennie d'investissements dans les combustibles à faibles émissions et les technologies de capture du carbone. La réalité est, toutefois, différente: les compagnies pétrolières et gazières vont certes investir beaucoup plus dans les énergies renouvelables, mais en comparaison, cela reste une goutte d'eau dans l'océan. En 2022, les investissements s'élèveront à environ 16 milliards.

De nombreux Etats occidentaux prennent des mesures

Ces derniers mois, ces circonstances ont suscité des critiques dans le monde entier. Et pas seulement dans les milieux de gauche. Le président américain Joe Biden et le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres ont tous deux accusé les multinationales du pétrole et du gaz de «cupidité grotesque». Ce dernier a donc demandé une «windfall tax», c'est-à-dire un impôt sur les bénéfices aléatoires. Guterres a appelé les gouvernements à taxer les bénéfices excédentaires réalisés et à utiliser l'argent pour soutenir les personnes en danger.

De nombreux pays l'ont déjà fait: le gouvernement espagnol a décidé, fin juillet, l’instauration d’un impôt supplémentaire de 1,2% pour les grandes entreprises du domaine de l’énergie. Le gouvernement conservateur du Royaume-Uni a introduit une taxe similaire début septembre. Presque au même moment, l'Allemagne lui a emboîté le pas. L'Italie, la Grèce, la Roumanie et la Hongrie se sont également jointes au mouvement. Désormais, l'UE dans son ensemble veut introduire une taxe sur les gains aléatoires et récolter ainsi 140 milliards d'euros. L'argent des «profits anormalement élevés» doit servir à réduire les coûts énergétiques.

Et que fait la Suisse?

Dans notre pays, la situation devrait être plus difficile. Le Département des finances d'Ueli Maurer a fait savoir à la Wochenzeitung qu'un tel impôt «n'est pas à l'ordre du jour actuellement». Le Conseil fédéral dans son ensemble a également jusqu’à présent rejeté l’idée. Fin mai, le président du Centre Gerhard Pfister a demandé au gouvernement s'il envisageait une «windfall tax» pour les gains aléatoires.

L’exécutif a répondu par la négative. Selon lui, aucune mesure supplémentaire n'est nécessaire pour le moment. Ainsi, la délimitation des «gains exceptionnels» est difficile et un impôt spécial nécessiterait une modification de la Constitution. Les recettes exceptionnelles sont par ailleurs déjà imposées. De plus:

«L'impôt spécial pénaliserait la place économique. Les entreprises tiendraient compte de cet impôt spécial dans leurs réflexions sur le lieu d'implantation et renonceraient éventuellement aux investissements correspondants en Suisse.»

Dominik Gross, responsable de la politique fiscale et financière auprès de l'ONG Alliance Sud, voit donc peu de chances pour une «windfall tax» dans notre pays. «En Suisse, le secteur des matières premières est important et absolument central pour certains cantons. Leur lobby est très fort. Une «windfall tax» aura donc beaucoup de mal à voir le jour», a-t-il déclaré au média alémanique Beobachter.

Il faut également tenir compte du fait que d'autres pays se trouvent dans des situations très différentes. La population espagnole ou britannique est beaucoup plus touchée par la hausse des coûts de l'énergie que la population helvétique. Il est donc nécessaire de réfléchir aussi à ce que l'on veut faire de cet argent.

Une conseillère fédérale se penche sur le dossier

L'idée n'est, toutefois, pas complètement farfelue. Depuis l'annonce par l'UE de l'introduction d'un impôt sur les gains aléatoires dans toute l'Europe, il semble qu'un vent de réforme souffle également en Suisse.

La semaine dernière, le Département de l'environnement et de l'énergie (Detec) de la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga a annoncé:

«La Confédération examine quelles mesures d'amortissement financier sont possibles pour les cas de rigueur et si d'éventuels bénéfices excédentaires pourraient être prélevés pour un financement partiel.»

Parallèlement, le président des Verts, Balthasar Glättli, a déposé une initiative parlementaire lors de la session d'automne qui se déroule actuellement. Le texte demande une «windfall tax» pour les secteurs de la production et du commerce de l'énergie, du commerce des matières premières et de la production d'armement. Il n’explicite pas clairement comment les recettes fiscales supplémentaires seraient utilisées. Mais Glättli présente toute une palette de possibilités:

  • Amortissement social de la hausse des prix de l'énergie et de l'inflation pour les particuliers.
  • Soutien aux entreprises menacées de faillite.
  • Injection de fonds dans l'assurance-chômage.
  • Participation à la reconstruction de l'Ukraine.
  • Atténuation de l'explosion des prix des denrées alimentaires de première nécessité à l’étranger.

Le succès de cette initiative demeure incertain. Il en va autrement du succès des négociants en matières premières. Avec la poursuite de la hausse des prix de l'énergie, Glencore et consorts sont en bonne voie pour engranger encore plus de bénéfices en 2023.

À Interlaken, un youtubeur de l'extrême fait du vélo sur le pont de l'Aar
Video: watson
3 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
3
L'assistant d'un politicien AFD accusé d'être un espion chinois
La justice allemande a annoncé l'arrestation d'un agent chinois présumé au coeur du Parlement de l'Union européenne. Cela nourrit les craintes autour de l'espionnage de Pékin avant les élections européennes de juin et dans les secteurs stratégiques.

Un agent chinois présumé au cœur du Parlement de l'UE a été arrêté lundi à Dresde, en Allemagne. L'annonce est intervenue mardi, au lendemain de l'arrestation par les autorités allemandes de trois ressortissants, accusés d'espionner pour le compte de la Chine, et de l'inculpation de deux hommes à Londres pour des suspicions similaires.

L’article