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Coolio et «Gangsta's Paradise»: la rédemption pop d'un voyou du rap

Coolio, au début.
Coolio, au début.

«Gangsta's Paradise» de Coolio, pause pop dans la guerre des gangs

Stevie Wonder en avait fait un tube, Coolio l'a transformé en hymne. Le rappeur américain est mort, mercredi, à l'âge de 59 ans. Retour sur un morceau qui a plongé le rap US dans la pop, à une époque où ses stars peu fréquentables disparaissaient les une après les autres dans le sang.
29.09.2022, 17:0829.09.2022, 18:41
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Nous sommes en 1995. Oklahoma City est secouée par le deuxième attentat terroriste le plus meurtrier de l'histoire des Etats-Unis et Monica Lewinsky, 21 ans, fricote pour la première fois avec son maître de stage, un certain Bill Clinton. Jay-Z n'a pas encore sorti le moindre album.

Le 1er août, Artis Leon Ivey Jr., alias Coolio, fête ses trente-deux ans. Sept petits jours plus tard, il entrera dans la légende avec la sortie officielle de Gangsta's Paradise (1995). Pour clore le contexte, l'année suivante, 2Pac se fera descendre froidement en pleine rue. Suivi de Notorious B.I.G. en 1997.

Anciens amis, The Notorious B.I.G (gauche) et 2Pac (droite) sont devenus rivaux dans une guerre de gang.
Anciens amis, The Notorious B.I.G (gauche) et 2Pac (droite) sont devenus rivaux dans une guerre de gang.dr

Aujourd'hui, Orelsan tricote des rimes sur sa mamie chérie, en prime-time. Dans les années nonante, le rap joue sa peau dans les caves de l'oncle Sam et dans les deux coasts d'un pays qui n'est pas tout à fait prêt à servir guerre des gangs et pauvreté avec le rôti du dimanche. Los Angeles et New York se chamaillent les trophées dans le flow et le sang. Les textes sont rêches, les beats sont durs. Puis, soudain, blottie contre les violons de Stevie Wonder, une étrange accalmie pointe le bout de son archet.

«J'ai 23 ans maintenant, mais est-ce que je vivrai assez longtemps pour en voir 24? Au train où vont les choses, je ne sais pas»
Extrait de Gangsta's Paradise

Membre très actif des Baby Crips, l'un des gangs les moins gentils des Etats-Unis, Coolio n'a jamais véritablement envisagé de racheter les errances de ses congénères entre deux sachets de coke. Mais, le temps d'un hymne, celui qui a poussé son premier cri dans un bled paumé de Pennsylvanie parvient à faire taire les flingues, soupeser la colère des blacks kids et hisser les ghettos au sommet des hits-parades.

La rédemption:

«Dis-moi pourquoi nous sommes trop aveugles pour voir que ceux que nous blessons, c'est toi et moi?»
Extrait de Gangsta's Paradise

A la même époque, tous ses copains refilaient des sueurs froides à la droite conservatrice américaine et collectionnaient les allers-retours en cellule. Et notamment Ice-T, par son brûlot contestataire Cop Killer (1992), dans lequel il s'avance en «tueur de flics pour la liberté» et souhaite sobrement la mort des membres de la maréchaussée, «ces porcs brutaux».

Certes, Coolio n'a jamais été un ange. Mais le fait qu'il fixe son double maléfique dans le blanc des yeux a permis de relâcher (un peu) la tension. Sans rien perdre en crédibilité, Gangsta's Paradise a poussé le rap dans la pop. Tout en évitant le tsunami de sucre propagé par les blancs becs bien coiffés of America: le groupe de bébé Timberlake, N'Sync, est né trois petites semaines après l'assassinat de 2Pac.

Comme ça vous l’aurez aussi dans la tête:

«Coolio Iglesias», comme le surnommait ses potes bien avant sa célèbre rengaine de crooner hip-hop, a eu pourtant fort à faire pour profiter grassement de son succès. Gangsta's Paradise est en quelque sorte une version tatouée du tube de Stevie Wonder Pastime Paradise (1976), sorti dans les années septante.

Tout y était déjà, ou presque. La mélodie, le sample légendaire. Manquait simplement une réalité sociale moins glossy.

Coolio privé de vulgarité

Mais Wonder fut exigeant. Hors de question, par exemple, d'accueillir des insanités dans son groove, sous prétexte qu'un rappeur avait flashé sur son boulot. Résultat, Coolio a sué, en studio, pour trousser des phrases correctes et chasser le moindre «fuck» de son timbre guttural.

Le roi de la soul voulait aussi se tailler la part du lion, flairant la machine à cash: 95% des droits de la reprise, sinon rien. Enfin, le patron du label du rappeur lui a interdit de glisser le tube dans son propre album. Un coup de génie, en réalité, puisqu'en faire la bande-son du film Esprits Rebelles (1995), avec Michelle Pfeiffer en prof des quartiers difficiles, a offert à Coolio sa carrure de star de la pop dans le monde entier. (Alors que le morceau devait initialement rythmer les bêtises de Will Smith et Martin Lawrence dans Bad Boys (1995).

«Je voulais un clip moins gentil, avec des low-riders, des trucs de gangstas et plein d'autres conneries. Durant le tournage, je sentais que Michelle n'était pas tout à fait à l'aise avec autant de rappeurs noirs autour d'elle»
Coolio.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, aujourd'hui, le refrain de Gangsta's Paradise, gravé dans les nuages par le tendre et joufflu Larry Sanders («Teeeelllll meeeee whyyyyyy are weeeee») est à ce point capable de nous faire lever le majeur très haut et mimer vaguement les paroles. Qui que nous soyons, où que nous soyons, quoique vous fassions. Coolio injecte dans nos veines de fêtards mieux nés que les héros de ses paroles, un surprenant élan d'espoir, alors que son hymne n'en contient pas un gramme.

Nous ne sommes pourtant pas dupes: remettre en question la violence des gangs, le temps d'un immense succès musical, n'a jamais vacciné la moindre petite frappe d'un avenir gris foncé. Mais si nous rêvons tous de lendemains conquérants à chaque fois que Gangsta's Paradise envahit nos tympans, c'est que tout y est réuni pour qu'on y croit très fort. Les violons, l'espoir déguisé, la beauté balafrée de Coolio et la blondeur maladroite de Pfeiffer devant le tableau noir.

Alors quand le morceau retentit, on plisse les yeux comme un gangsta en carton, on campe la racaille de Los Angeles sous nos sages boules à facettes et on se laisse bercer volontairement par une réalité devenue universelle, mais qui n'a jamais été la nôtre.

«Been spendin' most their lives, livin' in the gangsta's paradise»
«Ils ont passé la plupart de leur vie à vivre dans le paradis des gangsters.»

Et, en musique, ce petit miracle qui vient du ventre, c'est souvent amplement suffisant.

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Video: watson
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